Château de Beaulieu les Fontaines, Prison de Jeanne d'Arc


 

Jeanne d'Arc fut enfermée dans ce château à Beaulieu les Fontaines

Situé à 38km de Compiègne, dans le canton de Lassigny, Beaulieu les Fontaines est un petit village aujourd’hui connu pour avoir été l’un des endroits de captivité de Jeanne d’Arc, après sa capture à Compiègne le 23 mai 1430. Elle y fut enfermée vers le 28 mai sur une période probable de minimum 2 mois et au maximum de 3 mois et demi environ.

CB


Informations
  • Adresse : MFR du NOYONNAIS - 9, rue du Château - 60310 Beaulieu les fontaines
  • Téléphone :   03 44 43 40 16
  • Heures d'ouvertures & Visites : Le château appartient aujourd'hui à une école de formation par alternance : Les Maisons Familiales Rurales. Il n'est donc pas ouvert en visite libre sauf pour les Journées du Patrimoine et sur demande. Cependant l'accueil est très sympathique et un coup de fil sympa avant votre visite devrait vous permettre d'ouvrir les portes du château sans coup férir, mais uniquement hors périodes de vacances scolaires. Je tiens à remercier l'école pour l'accueil.  Le village a organisé en 2012, lors des Journées du Patrimoine, une manifestation locale avec comme thème Jeanne d'Arc et un marché médiéval.

 

Historique
sources : Leroy-Morel 1853 - sources diverses - Documentation dans l'école située dans le château - procès de condamnation - procès de réhabilitation - Eugène Lomier : Les prisons de Jeanne d'Arc.

 

Situé à une journée de cheval de Compiègne, Jean de Luxembourg décide de l'envoyer dans ce château, après l'avoir retenue dans son logis pendant 3 à 4 jours à  Margny-les-Compiègnes puis dans un logis à Clairoix, c'est donc probablement vers la fin mai, entre le 27 et 30 mai 1430, qu'elle se retrouve à Beaulieu-en-Vermandois.
 
Le château de Beaulieu les Fontaines appartenait au royaume de France, de 1428 jusqu'au début de l'année 1430. Jean de Sainte-Maure  en était le capitaine. Jean de Luxembourg va l'assiéger, dés le début 1430,  dans l'objectif  de soumettre les environs de Compiègne pour un éventuel siège de la ville.  Le capitaine de la place va très vite se rendre, vu les forces en présence,  avec une artillerie lourde qui aurait mis en pièces le château. Les assiégés quittent donc le château sans coup férir.

De taille modeste, il est alors entouré de douves ou fossés de 12 mètres de larges et pas loin de deux mètres de profondeur aujourd'hui ( sûrement plus avant ), d'un châtelet d'entrée avec pont-levis, d'un donjon octogonal d'une hauteur de 20 mètres environ ( peut-être plus ) qui est probablement du XIIIe car très courant à l'époque, d'une chapelle, d'un cellier qui semble dater du début  XIIIe également  et  d'au moins une tour. Avec la montée en puissance des canons, un ouvrage avancé protégeait le châtelet d'entrée avec peut-être une contre- escarpe en terre à certains endroits,  construit à une date indéterminée ( logiquement au XVIIe). L'ensemble du château possédait 12 canons .

Elle est probablement dans un premier temps enfermée dans le donjon octogonal dans un  étage ou dans un des bâtiments du château. Il faut préciser que Jean d'Aulon, son intendant et  l'un de ses plus proches compagnons qui la suit depuis Chinon jour et nuit, est enfermé avec elle également. Mais il semble qu'il n'y reste pas longtemps , en effet lors de son témoignage au procès de réhabilitation, il dira la chose suivante :

« Dit aussi il qui parle, lequel, par l’espace d’un an entier, par le commandement du roy nostre dit seigneur, demoura en la compaignie de ladicte Pucelle », sachant qu'elle rencontre le roi à la fin du mois de mai 1429, que Jean d'Aulon la rencontre quelques jours plus tard à la demande du Comte de Dunois et que le roi lui demande de la suivre avant son départ pour Poitiers, on peut considérer qu'il n'est plus avec elle probablement début Juin 1430 environ. On est sûr également qu'il est libéré rapidement puisqu'on le retrouve en 1431.

Selon Perceval de Cagny, Jeanne reste à Beaulieu entre trois et quatre mois. Perceval de Cagny est un chroniqueur du Duc d'Alençon, le témoignage  de la captivité de Jeanne à Beaulieu-les-Fontaines vient sûrement  de Jean d'Aulon. En effet Jean d'Aulon et la Pucelle ont  une discussion au château de Beaulieu qui est relatée par le chroniqueur :

« Ceste  poure ville de Compiengne que vous avez moult  amée, à ceste foiz sera remise ès mains et en la subjection des anemis de France. » Et elle lui répondit :
 « Non sera, car toutes les places que le roy du  ciel a réduit et remises en la main et obéissance du  gentil roy Charles par mon moien, ne seront point  reprises par ses ennemis, en tant qu'il fera dilligence  de les garder ». cette conversation est sûrement relatée pour le présage  qui se révèlera vrai, puisque Jean de Luxembourg ne peut prendre Compiègne malgré des mois de siège et le traité, qui initialement permet aux Bourguignons de prendre la ville.

Ses autres compagnons, capturés à Compiègnes également, sont libérés également après paiement d'une forte rançon. Pierre d'Arc, ( ou du Lys ) son frère,  est prisonnier du Bâtard de Vergy, il ne peut se libérer qu'en vendant l'héritage de sa femme. Il est possible que ça soit pour cette raison qu'il va feindre de reconnaître Jeanne des Armoises comme sa sœur, pour essayer de se refaire une santé financière. Cependant financièrement il va s'améliorer par la suite, grâce au  Duc d'Orléans en 1443 [ L8 – 284 ] qui lui offre la jouissance d'une île.

On peut cependant être assez surpris que Jean de Luxembourg n’ait pas cherché à éloigner d'avantage Jeanne d'Arc de Compiègne, car à une journée de cheval de la ville il n'était pas impossible d'avoir un plan pour récupérer la prisonnière. On peut supposer aussi que les Bourguignons espéraient un dénouement rapide de l'affaire par le paiement d'une rançon proportionnelle à la capture de Jeanne, comme il a été pour les autres prisonniers et qu'un éloignement était à ce moment-là peu opportun, d'autant que Compiègne est assiégée. On peut donc penser qu'à ce moment là le sort de Jeanne d'Arc n'est pas totalement scellé .

Le Duc de Bourgogne par ses engagements est tenu de livrer au roi d'Angleterre, pour une somme maximale de 10 000 écus, les prisonniers qu'il aurait capturés sur le territoire Anglo-Bourgignon... la messe est dite, bien que pour la somme de la rançon, cette « dicelle femme ne soit pas pareille à la prise de Roy, princes et autres gens de grand état », cette phrase est intéressante car elle démontre parfaitement que Jeanne, aux yeux des Anglo-bourguignons, n'est ni de sang royal ( voir la non affaire Jeanne d'Arc ) et n'a pas un statut réel, mais symboliquement  elle représente une plaie  pour Bedford.

Le problème de la rançon pour les Bourguignons devient plus complexe avec l'arrivée de l’Église, également sous la pression anglaise, qui veut faire condamner Jeanne pour hérésie avec une première lettre envoyée par le vicaire général de l'inquisition de France, le frère Martin, qui réclame dès le 26 mai la «  femme nommée Jeanne que les adversaires du Royaume appelaient la Pucelle ../.. soupçonnée véhémentement de plusieurs crimes sentens hérésie » . Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, vient lui-même avec 6000 livres devant Compiègne pour payer une partie de la rançon à Jean de Luxembourg et 200 à 300 livres pour le Bâtard de Wandonne, qui de simple archer  devient Capitaine de Nesle et de Beaulieu-les-Fontaines jusqu'à la mort de Jean de Luxembourg.[T1-Quicherat] [L8-284]. Pierre Cauchon propose encore en plus 10 000 écus du roi d'Angleterre, ce qui fait pas loin de 16000 écus, ce qui en temps de guerre est une somme conséquente.

En clair on se retrouve sur un problème quadripartite en pleine guerre de Cent-Ans : les Anglais, les Bourguignons , l'Eglise de la région alors contrôlée par le Duc de Bedford et de l'autre les Français. C'est dans ces conditions que Jeanne est donc enfermée au Château de Beaulieu-les-Fontaines , dont  le capitaine est peut-être Jacotan Estobert.

La tentative d'évasion de Jeanne d'Arc

On ne connaît pas grand-chose de la disposition du château de Beaulieu-les-Fontaines et il est difficile aujourd'hui d'imaginer où fut enfermée dans un premier temps la Pucelle de Lorraine, d'autant que le donjon ou la tour maîtresse a été détruit sans laisser de traces (à ma connaissance il n'existe pas de gravure ou document de ce château ). Il est en tout cas certain qu'elle est relativement bien traitée par les Bourguignons, au point d'ailleurs qu'ils la laissent faire sa ou ses prières à la Chapelle du château, ce qui ne sera pas le cas à Rouen.

C'est un fait qu'elle réussit à déjouer la surveillance de ses gardes en les enfermant dans la pièce ou la prison. Elle serait passée entre « deux pièces de bois », peut-être les solives  de l'étage, mais pour les déplacer (ou passer entre), il faut pouvoir démonter une partie du plancher sans éveiller les soupçons des gardiens, ce qui parait quand même assez invraisemblable sans négligence ou complicité dans le château. 

C'est en essayant probablement de sortir qu'elle va se faire voir du « portier », elle dira alors au procès le 15 mars 1431 qu'elle s'était alors dit lors de l'évènement : "Je vois qu'il ne plaît pas à Dieu que j'échappe aujourd'hui". Elle n'était pas enfermée, à mon avis,  dans une tour mais bien dans le Donjon au centre du château, car si elle avait voulu s'échapper d'une tour d'enceinte, elle serait sortie alors directement par le fossé ce qu'elle va tenter de faire à Beaurevoir.
 
 
Il est  difficile d'extrapoler son évasion en faisant des suppositions qui ne peuvent qu'être infondées, car comme je l'explique dans le paragraphe précédent, on ne connait quasiment rien du château pendant la captivité de Jeanne d'Arc. Pour finir on ne connait en réalité que son témoignage au procès , ce qui est peu.
 
Voilà son témoignage au procès le 15 mars 1431:

« qu'elle dist la manière comme elle cuida eschaper du chastel de Beaulieu, entre deux pièces de bois : respond qu'elle ne fut oncques prisonnière en lieu qu'elle ne se eschappast voulentiers ; et elle estant en icelluy chastel, eust confermé ses gardes dedans la tour, n'eust été le portier qui la advisa, et la recontra »

Il est incroyable par ailleurs qu'elle parle du portier de la tour et non du château. Cependant au vu du plan du XIXe, il est plausible que la forteresse de plaine possédait deux entrées : celle qui menait au village qui est plus petite ( un poterne ? ) et l'autre avec le pont-levis qui est l'entrée principale.
 
Château selon un plan du XIXe
Plan à partir d'un dessin du XIXe, il reste relativement imprécis. Les parties en rouge sont probablement le tracé de la forteresse lors de la captivité de Jeanne d'Arc.

Au sujet de l'entrée avec pont-levis, il est normalement relevé la nuit mais peut-être s'est-elle échappée la journée ? Mais je doute fort qu'elle se soit extirpée du donjon pour ensuite se diriger crânement vers la sortie principale...

Dans un château , il y a deux ou trois personnes qui sont nommés par le seigneur : le Bayle : qui a un rôle principalement administratif, juridique et de gestion; le Capitaine qui a un rôle proche du Bayle, mais qui normalement s'occupe de la garnison et de la protection militaire de l'ensemble et enfin le Portier qui est le garant des sorties et des entrées du château, c'est donc de  ce dernier que Jeanne d'Arc parle. Mais être « portier » ne veut pas dire forcément que c'est lui qui fait la sentinelle à l'entrée, c'est plus une fonction qu'il gère et surtout une responsabilité .
 
 
Cachot de Jeanne d'Arc à Beaulieu les FontainesCachot dans la porte de Nevers à Saint Valery sur Somme
 
A gauche le cachot à l'état actuel à Beaulieu les Fontaines, on voit très nettement la différence entre la forteresse du temps de Jeanne d'Arc en pierre blanche et la reconstruction au XVIIe en brique. A droite on a le cachot dans la porte de Nevers à Saint Valery sur Somme, où selon la légende locale elle aurait pu être enfermée quelques heures avant de partir pour le château d'Arques la Bataille.

Jeanne, après ce coup fameux, est enfermée dans une cellule plus exiguë et mieux surveillée, qui est peut-être celle que nous connaissons aujourd'hui. Même si je n'ai aucune idée des éléments qui peuvent affirmer que c'est bien cet endroit, j'ose imaginer que les fouilles qui ont pu être faites à cette époque ont démontrées qu'il n'y avait aucun doute. Après mon voyage en Picardie et en Normandie, j'ai été étonné de constater que d'autres châteaux comportaient ce même type de cellule dans un châtelet d'entrée, je pense notamment à Saint-Valery sur Somme qui possède le même type de cachot dans l'entrée de la citée médiévale, ce cachot en question aurait peut-être servi à enfermer Jeanne pendant quelques heures.

Par contre ce qui est étrange aussi, c'est le dispositif de la pièce avec peut-être un siège, voir une étagère, pour une prison de l'époque ça me parait très confortable. Les prisonniers étaient rarement dans des conditions de vie agréable mais cela dépendait de leurs moyens financiers.

Il est possible que cette étagère servait de double emploi en cas de siège ou d'utilisation en prison. De toute façon en temps normal, ce type de cachot était utilisé pour des temps relativement courts, souvent avant d'être jugé. En tout cas la disposition actuelle du « cachot » ne se prête pas vraiment à un élément défensif . Mais rien ne dit que cette pièce n'a pas été totalement modifiée ultérieurement sans prendre en compte le cachot d'origine et que la reconstruction  du XVIIe ne soit pas faussée.
 
Je me demande d'ailleurs si cette pièce ne servait pas initialement d'emplacement de surveillance de l'entrée, avec une ouverture relativement discrète ou meurtrière, d'autant qu'elle se situe dans la tour d'entrée à côté d'une salle ou logis qui pouvait abriter soit le capitaine d'armes soit le seigneur. Il est possible également qu'elle fut enfermée dans ce cachot car proche justement de la salle d'armes.
 
 
Ce cachot a donc pu  connaitre un double emploi, ce qui est courant dans les petites fortifications, je pense notamment à la Tour Neuve à Saint-Lucien qui abritait notamment la fosse à latrine et une meurtrière...

Après sa tentative,  elle est probablement rapidement transférée au château de Beaurevoir qui, lui, est bien plus éloigné de Compiègne , mais surtout possède un donjon bien plus imposant, une meilleure fortification et une surveillance accrue plus fiable. Mais ça ne l'empêchera pas de presque réussir, une nouvelle et dernière fois,  à s'évader en manquant de peu de se tuer. Ce qui dénote de sa part une farouche volonté de s’enfuir et une certaine intelligence alliée à une vivacité d'esprit pour y parvenir.
 
 

Chapelle de Jeanne d'Arc à Beaulieu les Fontaines, construite en son honneur

Chapelle de Jeanne d'Arc construite en 1930 . Elle est très raffinée et semble avoir été faite avec minutie. 

Pierre de la tour des Champs du Château de Bouvreuil à Rouen, dernier lieu d'emprisonnement de Jeanne. Puit dans le Cellier Forteresse de Beaulieu les fontaines, beau reste de l'enceinte et de son fossé

Sur la gauche une pierre de la Tour des Champs du château de Bouvreuil à Rouen, dernier lieu de captivité de Jeanne d'Arc. Elle fut achetée par un musée américain à New-York et offert le 14 juillet 1935 à Beaulieu les Fontaines. Au centre le puit du cellier, les briques trahissent sa modification au cours du XVIIe, mais peut-être existait-il à l'époque de Jeanne. Les pierres qui forment un carré au dessus proviennent à mon avis du puits extérieur. Sur la droite un beau reste de la fortification et du fossé.

 
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