La Bataille de la Roche-aux-Moines : L’autre victoire oubliée de 1214

Quand on évoque l’année 1214, c’est le nom de Bouvines qui vient immédiatement à l’esprit. La célèbre victoire de Philippe Auguste face à la coalition anglo-impériale, qui consacra la puissance capétienne et marqua un tournant décisif dans l’histoire de la monarchie française.
Mais dans l’ombre de cette éclatante bataille, un autre affrontement, pourtant fondamental, reste souvent méconnu : la bataille de la Roche-aux-Moines.

Quelques semaines seulement avant Bouvines, le roi d’Angleterre Jean sans Terre, déjà affaibli politiquement et militairement, subit un échec cinglant en Anjou. Contraint de fuir devant l’arrivée de l’armée française menée par le prince Louis, futur Louis VIII, cet épisode scella la fin de ses ambitions continentales.

bataille de la Roche aux Moines

 

Vidéo sur la Bataille de la Roche aux Moines

 

Plantagenêt contre Capétiens : Deux dynasties rivales

Depuis plusieurs décennies, le conflit entre les Plantagenêt, rois d’Angleterre mais aussi grands féodaux du royaume de France, et les Capétiens, rois de France, rythmait la politique de l’Europe de l’Ouest.

Les Plantagenêt dominaient un vaste ensemble de territoires : Anjou, Normandie, Aquitaine, Maine, Touraine, formant un véritable empire qui s’étendait des Pyrénées jusqu’à l’Écosse.
L’ascension de cette dynastie débute avec Geoffroy Plantagenêt, époux de Mathilde l’Emperesse, fille du roi d’Angleterre Henri Ier. Leur fils, Henri II, devient l’un des souverains les plus puissants d’Occident.

Mais au fil des règnes, divisions, trahisons, et luttes internes fragilisent la maison Plantagenêt. Après Henri II, Richard Cœur de Lion, puis Jean sans Terre, vont enchaîner crises politiques et revers militaires.

Jean sans Terre : un roi contesté et isolé

Jean d’Angleterre est un souverain mal-aimé. Impulsif, violent, et perçu comme peu fiable, il est rejeté par une partie de ses barons, tant en Angleterre que dans ses possessions continentales.
En 1203, il est soupçonné du meurtre de son neveu Arthur de Bretagne, un crime qui va profondément choquer la noblesse angevine et renforcer son isolement.

Ses relations avec le pape Innocent III tournent également au désastre : excommunié en 1208, Jean finit par se soumettre au Saint-Siège, devenant vassal du pape pour échapper à la croisade que Philippe Auguste s’apprêtait à lancer contre lui.

 

La France de Philippe Auguste : Une montée en puissance

En face, les Capétiens. Leur domaine royal est encore modeste au début du règne de Philippe Auguste, limité à l’Île-de-France et quelques provinces proches.
Mais grâce à une politique habile, jouant des rivalités entre grands féodaux, et par une série de conquêtes méthodiques, Philippe II consolide peu à peu son autorité.

Après avoir repris la Normandie, le Maine, l’Anjou et la Touraine, il laisse à son fils, Louis, la charge de défendre le sud du royaume pendant qu’il part au nord pour faire face à la coalition flamande et impériale.

La Roche-aux-Moines : Un verrou stratégique sur la Loire

La Roche-aux-Moines, perchée sur un éperon rocheux dominant la Loire, représente un point clé du dispositif de défense angevin.
Construit entre 1206 et 1212, sous la direction de Guillaume des Roches, sénéchal d’Anjou et fidèle du roi de France, le Château contrôle la route fluviale entre Angers et Nantes.

Avec ses tours massives et son donjon, la forteresse est conçue pour résister aux sièges les plus acharnés.

chateau de la Roche aux Moines Savennieres

Château de la Roche aux Moines inspiré d'un croquis de Jean Marcot ( voir sources en bas ).

Le siège de juin 1214 : Jean sans Terre face à Guillaume des Roches

En juin 1214, Jean sans Terre lance sa campagne de reconquête.
Débarqué à La Rochelle, il prend rapidement Ancenis, puis Angers, et tourne son attention vers la Roche-aux-Moines, où Guillaume des Roches résiste.

Jean installe son quartier général à Rochefort-sur-Loire, déploie ses machines de siège, et engage l’assaut. Gibets, menaces, escarmouches : tout est mis en œuvre pour faire tomber la place.

Mais Guillaume tient bon. Les assiégés résistent avec ténacité. Les Anglais, eux, peinent à maintenir la discipline parmi leurs troupes, essentiellement composées de mercenaires.

L’arrivée du prince Louis : La peur change de camp

Le 2 juillet 1214, le prince Louis arrive en Anjou, à la tête de plus de 3000 hommes et près de 1000 chevaliers.
La situation bascule brutalement.
Les barons poitevins et angevins, réticents à combattre contre leur suzerain naturel, refusent de suivre Jean dans une bataille ouverte face aux forces capétiennes.

Craignant d’être pris au piège entre les murailles de la Roche-aux-Moines et l’armée française qui s’avance, Jean ordonne la retraite.
La panique gagne son armée : machines de guerre, vivres et équipements sont abandonnés.
La Loire devient alors le théâtre d’une fuite désordonnée, où de nombreux soldats périssent noyés, alourdis par leurs armures.

Un chroniqueur rapporte :

« Apeurés, les assiégeants levèrent aussitôt le camp, abandonnant machines de guerre, tentes, chariots et vivres. Cavaliers et fantassins dévalaient les pentes du coteau au plus court et se jetaient en Loire, surnageant ou emportés par les remous du courant, et entraînés au fond sous le poids de leurs armures. »

Conséquences : Un tournant avant Bouvines

La victoire de la Roche-aux-Moines, bien que sans grande bataille rangée, fut un coup de maître stratégique.
Elle permit aux Capétiens de sécuriser l’Anjou, d’éliminer la menace anglaise au sud, et de concentrer leurs forces vers le nord pour la campagne de Flandre.
Trois semaines plus tard, Philippe Auguste triomphera à Bouvines, consolidant définitivement la suprématie du royaume de France sur les Plantagenêt.

Un site aujourd’hui presque disparu

Aujourd’hui, il ne reste que peu de vestiges de la forteresse de la Roche-aux-Moines, dont le site est situé en grande partie sur des propriétés privées.
L’accès au public y est limité. Mais face à ce promontoire, l’île de Béhuard, seul village insulaire de Loire, offre un point de vue unique sur les lieux du siège.

Riche de légendes et de spiritualité, Béhuard constitue une halte idéale pour les amateurs de patrimoine et de paysages ligériens.

 

Sources de la vidéo et du texte : 


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