Guillaume des Roches ( né vers 1155-1160 – 15 juillet 1222)

Guillaume des Roches  fut l’une des grandes figures politiques, militaires et administratives du royaume de France à la charnière des XIIe et XIIIe siècles. Seigneur de Longué-Jumelles, de Château-du-Loir, de Mayet puis de Sablé par mariage, il devint sénéchal héréditaire de l’Anjou, du Maine et de la Touraine. Fidèle successivement à Henri II, Richard Cœur de Lion puis au jeune Arthur de Bretagne, il joua un rôle central dans les luttes de succession opposant les Plantagenêt et Philippe Auguste. Naviguant entre diplomatie, guerre et administration, il fut tour à tour médiateur, stratège et bâtisseur. Sa rupture définitive avec Jean sans Terre, après l’assassinat d’Arthur, fit de lui un allié déterminant de la couronne capétienne. Vainqueur à la Roche-aux-Moines, artisan de la reconquête angevine et acteur clé de la croisade contre les Albigeois, Guillaume des Roches incarne le modèle du grand féodal au service du roi de France, mêlant ambition personnelle, fidélité fluctuante et sens aigu du pouvoir territorial.

guillaume des roches en priere

 Guillaume des Roches avec son blasonnement inspiré d'enleminure du XVe et traité en IA. Cette image n'a donc qu'un seul but d'illustration et ne reflète pas la réalité.


Origines familiales

Guillaume descend de la famille des seigneurs des Roches, implantée à La Rochecorbon depuis le Xe siècle, et issue d’une branche cadette de ce lignage. Ses biens principaux se trouvent dans le Maine, près de Château-du-Loir, comme en témoigne le micro-toponyme « Bois-Corbon », lié à une forêt lui appartenant. Le manoir du Houx, où il fonde son premier prieuré, se situe à Jupilles. Son aïeul, Herbert, pourrait être fils d’Hardouin des Roches, cité en 1040 au cartulaire de Vendôme. Son père est Baudouin, et sa mère, selon la chronique de Parcé, serait Alice de Châtellerault.

Au service des Plantagenêt : Henri II et Richard Cœur de Lion

On ignore tout de son enfance, mais il est probable que Guillaume ait reçu une formation militaire dès son jeune âge et soit entré au service du roi Henri II Plantagenêt vers 1170-1180. En 1189, il fait partie du dernier carré d’Henri II, replié dans le Maine selon « L’Histoire de Guillaume le Maréchal ». Sous Richard Cœur de Lion, il confirme ses talents militaires et politiques, au point d’être choisi parmi les quatre délégués pour négocier avec Philippe Auguste, lors de la libération du roi en juillet 1193.

Mariages et accession au rang de grand baron

 

Vers 1187-1189, certaines sources évoquent un premier mariage avec une nommée Philippe, fille d’Hilaire, mentionnée uniquement dans un acte de donation à l’abbaye de la Boissière. Toutefois, cette union est probablement une confusion avec un homonyme, comme l’a démontré le marquis de Brisay. En effet, cette autre Philippe épousa un Guillaume des Roches, vassal de Montsoreau, qui mourut avant 1217 et ne peut être identifié au futur sénéchal d'Anjou, lequel vécut jusqu’en 1222 et était dès 1198 marié à Marguerite de Sablé.

C’est vers 1190 que Guillaume épouse Marguerite de Sablé, fille et héritière de Robert IV de Sablé, alors Grand Maître de l’ordre du Temple. Ce mariage propulse Guillaume parmi les plus grands barons d’Anjou et du Maine. Il reçoit en dot les fiefs de Sablé, La Suze, Louplande (dans le Maine), ainsi que Briollay, Brion, Genneteil et Précigné (en Anjou), sans oublier Agon, en Normandie près de Coutances, hérité probablement des Mayenne-Dinan, ancêtres maternels de Marguerite.

Cette alliance semble avoir été facilitée par Richard Cœur de Lion, peu avant son départ en croisade. Il est à noter qu’à l’époque du mariage (1189 ou 1190), Marguerite n’était pas encore l’héritière présomptive. Son frère, Geoffroy de Cornillé, était vivant et devait le rester encore une dizaine d’années. L’abbé Angot avance l’hypothèse que Geoffroy était peut-être infirme ou incapable, car, à l’exception d’un rôle à la réception de l’abbé d’Évron en 1190, il ne semble impliqué dans aucun acte public, en dehors de quelques donations aux abbayes jusqu’à sa mort, survenue le 8 août 1200.

Dès avant 1195, voire avant, Guillaume des Roches administre et gère les domaines de sa femme. La dot de sa belle-sœur Philippe, limitée à 60 livres de rente, montre l’importance de la fortune concentrée entre les mains de Marguerite et de Guillaume.

En 1197, Guillaume renouvelle le douaire de Marguerite à Briollay, lui garantissant un droit sur tous ses biens présents et futurs. Ce geste atteste de l’importance de la fortune que Marguerite lui avait apportée, bien avant qu’il ne devienne sénéchal.

Notons également qu’avant son mariage, Guillaume avait déjà fondé un prieuré de Marmoutier dans le manoir familial du Houx, à Jupilles. Cette première fondation remonte à environ 1187. À l’époque, Guillaume ne mentionne que ses parents et ses frères dans ses intentions, aucune allusion n’est faite à une épouse, ce qui confirme qu’il n’était alors ni marié à Philippe, ni à Marguerite.

 

Sénéchal et baron du roi de France

En mai-juin 1199, Guillaume est nommé sénéchal héréditaire d'Anjou et du Maine par Arthur de Bretagne, proclamé comte d’Anjou, du Maine et de Touraine avec le soutien de Philippe Auguste. Jean sans Terre, roi d’Angleterre, ratifie cette nomination entre décembre 1199 et juin 1200, avant la rupture d’août 1202. Il lui confère en plus la charge de sénéchal de Touraine.

En novembre 1203, Philippe Auguste confirme Guillaume dans ses fonctions de sénéchal et le nomme gouverneur et vicomte d'Angers (ou d'Anjou) en 1204.


Au service d'Arthur de Bretagne

Guillaume des Roches rejoint le jeune Arthur de Bretagne à la tête d'un contingent breton, ce qui laisse supposer qu’il exerçait déjà une fonction importante en Bretagne sous le règne de Richard Cœur de Lion. Il suit Arthur au Mans et reçoit, dès mai-juin 1199, le titre de sénéchal d'Anjou et du Maine, ainsi que la seigneurie de Mayet et la forêt de Bercé. Cette nomination souligne à la fois l’importance de son soutien militaire et la valeur de ses conseils stratégiques.

En octobre 1199, Guillaume commande les troupes d’Arthur — il est alors désigné comme princeps exercitus Arthuri — lorsqu'elles rejoignent l'armée de Philippe Auguste au Mans. Cependant, la destruction de Ballon par les troupes françaises l’amène à exprimer ouvertement son désaccord au roi de France, lui reprochant d’avoir ravagé les terres de son pupille Arthur. Constatant l’irritation du souverain, Guillaume se décide à œuvrer pour la réconciliation entre Arthur et son oncle, le roi Jean sans Terre. Cette médiation était sans doute déjà amorcée lors du camp d’Auvers-le-Hamon, près de Sablé.

La réconciliation se concrétise : dès le 26 décembre 1199, Guillaume réapparaît dans les actes royaux de Jean sans Terre avec son titre de sénéchal. Il obtient notamment du roi la création d’une foire à Angers et gagne les faveurs de la reine-mère Aliénor d’Aquitaine, qui, à cette époque, réalise plusieurs fondations pieuses à Fontevraud en mémoire de son fils Richard.

Le 24 juin 1200, Jean sans Terre confirme officiellement à Chinon la charge de sénéchal d'Anjou, du Maine et même de Touraine à Guillaume des Roches. Quelques mois plus tard, le 3 septembre, le roi est reçu par Guillaume dans son Château de La Suze. Durant cette période, Guillaume bénéficie de la confiance du souverain et se voit confier plusieurs missions importantes : il intervient auprès du chapitre d'Angers lors de l’élection de Guillaume de Beaumont à l’évêché (élection qui n’aboutira pas immédiatement), puis, en 1201, il est envoyé en mission conjointe avec le sénéchal de Poitou pour délivrer des lettres de sauvegarde aux sujets désireux de se rendre en Angleterre.

Le 3 novembre 1201, Guillaume est mandaté auprès de la garnison de Moncontour. En janvier 1202, toujours actif au service royal, il négocie à Rome, en accord avec Raoul de Beaumont, un emprunt au nom de Jean sans Terre afin de soutenir la candidature du roi pour l'élection épiscopale d'Angers.

La rupture avec Jean sans Terre

Pendant ce temps, Arthur, sous l’influence de sa mère, la duchesse Constance, reste à la cour de France. Refusant de faire hommage à Jean sans Terre malgré les injonctions de celui-ci, le jeune prince est sommé de venir à la cour anglaise. Jean exige en outre des otages de la part de ses soutiens les plus proches : Maurice III de Craon, Juhel de Mayenne, Guy de Laval, Guillaume des Roches lui-même, l’évêque du Mans et le vicomte de Beaumont (29 mars 1202), au cas où Arthur ferait défection.

Lorsque Arthur entame, en 1202, sa campagne pour reconquérir le Poitou — expédition qui conduira à sa capture lors du siège de Mirebeau — Guillaume des Roches met en garde Jean : s’il ne libérait pas Arthur et les autres prisonniers, il romprerait avec lui. Jean reste sourd à cet avertissement. Fidèle à sa parole, Guillaume se sépare du roi d’Angleterre et se rapproche de Philippe Auguste. Il refuse d’obéir à Jean qui lui ordonne de restituer les places fortes dont il avait la garde (18 août 1202) et qui le démet officiellement de sa charge de sénéchal (24 août).

L’ennemi déclaré de Jean sans Terre

Dans cette vidéo est évoqué la mort du Duc de Bretagne et les conséquences.

 

Dès lors, Guillaume des Roches devient l’un des ennemis les plus déterminés de Jean sans Terre, surtout après l’assassinat tragique d’Arthur de Bretagne (probablement en avril ou fin 1203). Il commence par conspirer avec les seigneurs bretons, puis prend les armes aux côtés des principaux seigneurs du Maine ayant rallié Philippe Auguste : Maurice III de Craon et Juhel de Mayenne.

Pendant que Jean sans Terre occupe le Château de La Suze (appartenant à Guillaume) de septembre 1202 à avril 1203, le sénéchal déchu prépare sa revanche. Le lundi de Pâques, le 7 avril 1203, Guillaume des Roches entre en Anjou, reprend Beaufort et Saumur dans le courant d’avril, puis Châteauneuf en août. En octobre 1203, il lance un assaut victorieux sur la ville d'Angers.

Le 1er novembre 1203, Philippe Auguste lui restitue officiellement la charge de sénéchal d’Anjou. Guillaume lui prête hommage dès août 1204, à Poitiers ou à Angers.

Peu après, il cède à la reine Bérengère de Navarre, comtesse douairière du Maine et veuve de Richard Cœur de Lion, la sénéchaussée de la ville du Mans. En contrepartie, Guillaume reçoit le douaire de la princesse à Château-du-Loir, transaction validée par Philippe Auguste en septembre 1204. La même année, le roi lui concède aussi Châteauneuf-sur-Sarthe.


La bataille de la Roche-aux-Moines (1214)

En juillet 1214, à la tête de 4000 hommes, Guillaume contraint Jean sans Terre à lever le siège de la Roche-aux-Moines, place forte qu’il gouverne. Cet épisode se déroule quelques semaines avant la victoire décisive de Bouvines. Guillaume est alors un fidèle du roi de France, contrairement à de nombreux seigneurs angevins et manceaux.


Rôle de sénéchal et carrière administrative

Guillaume incarne le sénéchal par excellence : il garde les châteaux, préside des cours de justice à Angers, au Mans et à Tours, scelle des actes, intervient dans les conflits féodaux et ecclésiastiques, et administre les finances royales locales. Il participe également à la politique matrimoniale du royaume, notamment lors de l’affaire de l’héritière de Laval en 1211.

Son rang le place au-dessus du maréchal de France, à égalité avec les comtes et parfois même au-dessus des pairs de France en fonction.

Guillaume fut un sénéchal influent, son rang étant supérieur à celui de maréchal, équivalent à celui des comtes, voire supérieur aux pairs de France en certaines occasions. Ses revenus incluaient 50 livres par prévôté des trois provinces, un tiers des amendes et exploitations, ainsi que la garde des châteaux.

Il scelle des actes, rend des jugements au Mans, à Angers et à Tours, protège l'Abbaye de la Couture (1211), traite avec Guillaume de Sillé (1210), et intervient dans de nombreuses affaires locales, notamment à Laval en 1211.

En 1213, il statue sur la juridiction d’Outillé. En 1218, il est caution pour Élisabeth d’Amboise auprès de Bérengère, comtesse de Troyes. Il a plusieurs lieutenants, dont Hamelin de Rorte à Ballon.

Pour contrôler la Loire, il fait bâtir La Roche-aux-Moines à Savennières.


Fondations religieuses et dernières années

Guillaume fonde plusieurs abbayes et prieurés : le Houx (avant 1187), la Boissière (avant 1190), le Perray-Neuf en 1209 (en transfert depuis Bois-Renou), et surtout Bonlieu en 1219, fondation cistercienne destinée à sa famille.

Il participe également à la croisade contre les Albigeois en 1209 et de nouveau en 1218-1219.


Fin de vie et mort

Guillaume meurt le 15 juillet 1222, jour de son anniversaire, et est enterré dans l’abbatiale de Bonlieu, auprès de ses deux épouses ou de ses deux filles selon certaines sources. Sa tombe, détruite à la Révolution, était entourée de monuments funéraires dédiés aux membres de sa famille.


Postérité et descendance

De son mariage avec Marguerite de Sablé, il laisse :

  • Robert, mort jeune.

  • Jeanne des Roches, épouse d’Amaury Ier de Craon, qui hérite de Sablé et de nombreuses seigneuries.

  • Clémence des Roches, épouse de Thibault de Blois, puis de Geoffroy VI de Châteaudun.

Ces alliances feront de leurs descendants les maîtres de plusieurs grandes baronnies du royaume.


Marguerite de Sablé

Marguerite survit à son mari et poursuit ses œuvres pieuses. Son dernier acte connu date de juin 1238. Selon certaines sources, elle serait décédée en 1246. Son cœur repose à Bonlieu, aux côtés de son époux.


Sigillographie

Les sceaux de Guillaume des Roches présentent un écu à la bande vivrée ou fuselée chargé d’un lambel à cinq pendants. La légende varie entre « Sigillum Guillelmi de Rupibus » et « Willelmi ». Son contre-sceau figure une tête bandée incisée sur pierre antique. Le sceau de Marguerite de Sablé la représente tenant un oiseau, avec au revers un écu à l’aigle contournée, héritage de son père Robert IV de Sablé.


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