Le Traité d'Arras : Une Étape Cruciale dans l'Histoire de France
Signé en 1435 entre le roi de France, Charles VII, et le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, le Traité d'Arras marque un tournant décisif dans l'histoire de la France médiévale. Cet accord met fin à la guerre civile qui opposait les factions des Armagnacs et des Bourguignons, ouvrant ainsi la voie à une période de stabilité et de reconstruction. Ne pas confondre la Paix d'Arras signée en 1414 et le traité d'Arras en 1435.
Contexte Historique
En 1435, le roi Charles VII, fort des victoires remportées grâce à Jeanne d'Arc, aspire à restaurer l'autorité royale sur le territoire français et à reconquérir les territoires perdus aux Anglais. Cependant, il réalise que la guerre civile avec les Bourguignons constitue un obstacle majeur à ses ambitions. De son côté, Philippe le Bon, duc de Bourgogne, aspire à consolider ses possessions et à mettre un terme aux hostilités avec la France.
Négociations et Développements
Les négociations préliminaires, débutées en 1433, aboutissent à une rencontre entre les représentants des deux parties à Nevers en janvier 1435. Les pourparlers sont marqués par une atmosphère détendue, mais les Orléans posent une condition sine qua non : la libération de Charles d'Orléans, détenu en Angleterre depuis plusieurs années.
La mort soudaine du régent anglais, le duc de Bedford, en juin 1435, précipite les pourparlers. Face aux changements politiques et économiques en Europe, notamment le rapprochement entre les Français et l'empereur Sigismond d'Allemagne, Philippe le Bon décide de tourner le dos à son alliance avec l'Angleterre et de se rapprocher de la France.
La conférence d'Arras, qui débute en août 1435, réunit une assemblée impressionnante de personnalités européennes, dont des représentants de la France, de la Bourgogne, de l'Angleterre, ainsi que des dignitaires ecclésiastiques. Sous la médiation du légat pontifical, les négociations sont intenses, mais les Anglais finissent par quitter la conférence avant la signature du traité.
Cachets des différents protagonistes du traité d'Arras.
Les participants du traité d'Arras
Pour les Anglais
John Kemp, archevêque d’York
Henry Beaufort, cardinal
John Holland, comte de Huntingdon
Guillaume de la Pole, comte de Suffolk
Walter Hungerford
William Alnwick, évêque de Norwich
Thomas Rodborne, évêque de St David’s
William Lyndwood, garde du sceau privé
Sir John Radcliff, sénéchal d’Aquitaine
John Popham, chevalier
Robert Shotesbrook, chevalier
William Sprever, docteur en droit
Pierre Cauchon, évêque de Lisieux
Jean de Rinel, secrétaire du roi
Nicolas de Mailly, bailli de Vermandois
Robert le Jeune, bailli d’Amiens
Guillaume Erard, docteur en théologie
Nicolas Fraillon, archidiacre de Paris
Raoul Roussel, docteur en droit, trésorier de Rouen
Thomas de Courcelles, ambassadeur de Paris
et leurs prisonniers, duc d’Orléans, comte d’Eu
Pour les Français
Représentant Charles VII :
Charles Ier, duc de Bourbon (chef d’ambassade titulaire et beau-frère du duc de Bourgogne)
Regnault de Chartres, archevêque de Reims, chancelier de France
Parmi les 58 personnes qui assistèrent à la présence des Français, Guidon VII, seigneur de la Roche Guyon, et Gilles de Duremont, abbé de Fécamp, étaient peut-être également présents.
Clauses Principales et Conséquences
Le traité d'Arras, signé le 21 septembre 1435, comporte plusieurs clauses cruciales. Charles VII reconnaît sa responsabilité dans l'assassinat du duc Jean sans Peur et cède plusieurs territoires au duc de Bourgogne, marquant ainsi une reconnaissance mutuelle de leurs autorités respectives.
Ce traité met fin à la querelle entre les Armagnacs et les Bourguignons, permettant à la France de se concentrer sur la reconquête des territoires occupés par les Anglais. Les villes cédées par Charles VII seront ultérieurement rachetées par Louis XI pour éloigner les Bourguignons de Paris.
Le Traité d'Arras représente un tournant majeur dans l'histoire européenne, marquant la fin d'une période de conflits internes en France et ouvrant la voie à de nouveaux développements politiques et territoriaux.
Bertrand DuGuesclin est né en Bretagne et a montré des qualités exceptionnelles en tant que bretteur et tacticien pendant la guerre de Cent Ans. Bien qu'il ait été capturé plusieurs fois, il a été libéré grâce au versement de rançons et a finalement été nommé Connétable de France en 1370. À la fin du règne de Charles V, les Anglais n'ont occupé que quelques villes en France. Du Guesclin est mort lors du siège de Châteauneuf-de-Randon, après avoir remporté de nombreuses victoires contre les Anglais. Le gouverneur de la ville anglaise a déposé les clés de la ville sur son cercueil et lui a offert les honneurs de la nécropole royale. Bien que Du Guesclin soit considéré comme un héros de l'histoire de France, il est encore aujourd'hui considéré comme un traître par certains Bretons.
Comte de Longueville, né vers 1320 au Château de la Motte-Broons, près de Dinan et mort le 13 juillet 1380 devant Châteauneuf-de-Randon, est un noble breton, connétable de France et de Castille. Ses origines sont incertaines.
Le gisant fut réalisé à la demande initiale de Charles V qui selon Froissart « il fait faire ses obsèques, aussi révéremment et aussi notablement comme si ce fût son fils ».
Charles V meurt cependant assez rapidement après Duguesclin, son gisant est donc effectué que dix ans plus tard à la demande de Charles VI. C'est Raymond du Temple qui en donna le dessin général, il est réalisé par Thomas Privé et Robert Loisel en 1397.
Les armoiries et l'écu ont été restaurés au XIXe..
1373, début du siège de Duguesclin devant le château de Gençay. « Gençay fut investi en même temps que Lusignan: mais Adam Chel ne capitula qu'au mois de mai de l'année 1375, sous la condition expresse que tous les biens et revenus dont sa femme et lui jouissaient au temps où le pays était sous l'obéissance du prince de Galles lui seraient expressément conservés. Ce fut Du Guesclin en personne qui accepta cette capitulation : il avait, quelques jours auparavant, pris d'assaut Montreuil-Bonnin, dont la garnison de Gençay s'était emparée au mois de janvier précédent. Ce dernier fait d'armes signala l'expulsion définitive des Anglais du Poitou ; il fut suivi, au mois de juin 1375, de la prise de Cognac ; et cette campagne de trois années dans laquelle se révélèrent le génie militaire et la prodigieuse activité du grand connétable, se termina par une trêve qui se prolongea jusqu'à la mort du roi d'Angleterre. »
1375, après la prise de Duguesclin, Morthemer et Gençay sont donnés au Duc de Berry. Catherine et sa mère Radegonde refusent, de gré ou de force, de reconnaître l’autorité du roi de France, elles sont contraintes de s’expatrier en Angleterre avec leurs maris. Après la mort du chevalier Anglais, Jean Herpedenne, Catherine revient en France et veut faire ses droits sur Morthemer et Gençay, le roi accepta pour Morthemer à la condition d’épouser un français proche du Duc de Berry : Etienne d’Aventois, seigneur de Saircergue et de Merry et qu’elle renonce à ses droits sur Gençay au profit du Duc de Berry.
Le gisant de Bertrand Duguesclin à la Basilique de Saint-Denis
sources : Église Abbatiale de Saint-Denis et ses Tombeaux, notice historique et archéologique, Paul Vitry et Gastron Brière - Tous les Rois de France par Jean-Charles Volkmann - Wikipédia - sources diverses - Tourisme 93
1320 : Naissance de Bertrand du Guesclin au Château de la Motte-Broons, près de Dinan.
Le château a été reconstruit plus moderne vers 1355 par Bertrand du Guesclin, né dans le château vers 1320, durant la guerre de Succession de Bretagne. Il était flanqué de quatre tours et doté de douves et d'un pont-levis. Après la mort de Bertrand, le château est passé dans les mains de son frère et héritier, Olivier du Guesclin, puis à Olivier V de Clisson, qui a dû le céder pour rançon à Jean IV de Bretagne avant de le récupérer l'année suivante. En 1420, Jeanne de France a ordonné la démolition du château, mais elle n'a pas été suivie d'effet. Le château a été assiégé en septembre de la même année par Charles de Montfort et est tombé le 14 après une résistance acharnée.
1337 : Il participe à un tournoi à Rennes, remporte anonymement plusieurs combats avant de refuser de combattre son père, devant qui il retire son heaume. 1356 : Lors du siège de Rennes (1356-1357), il ravitaille la ville et effectue plusieurs coups de main.
1359 : Il défend avec succès Dinan assiégée par les troupes anglaises. 18 juin : lors du siège de Melun, il fait la rencontre décisive avec le dauphin Charles.
1361 : Il est fait prisonnier à Juigné sur Sarthe, et libéré sur rançon.
1363: Il capture plusieurs villes occupées par les Anglais et attaque leurs bateaux à partir de Saint-Pol-de-Léon.
1364 : Avril : il prend Mantes le 7 avril, Rolleboise le 9 avril, Meulan le 11 avril puis Vernon, Vétheuil et Rosny. 16 mai : victoire de Cocherel.
29 septembre : il est fait prisonnier lors de la bataille d'Auray.
1365: Il est libéré après le paiement d'une rançon de 100 000 livres. Septembre : sur demande de Charles V de France, il part à la tête des grandes compagnies aider Henri de Trastamare pour devenir roi de Castille. Décembre : il franchit les Pyrénées au col du Perthus, et arrive le 20 à Barcelone.
1366 : Février : il arrive à Saragosse et entre en Navarre. Il reçoit le comté de Borjà Mars : il pénètre en Castille et marche contre Pierre le Cruel alors à Burgos. Mai : il entre à Tolède puis Séville. Juin : il est à Cordoue.
1367: Février : l'armée de Du Guesclin est à Santo Domingo de la Calzada. Avril : il est fait prisonnier lors de la bataille de Nájera et emmené en captivité à Bordeaux.
1368 : 17 janvier : Bertrand du Guesclin, est libéré contre une rançon de 100 000 doublons d'or de Castille. Printemps : sur demande du duc d'Anjou, frère du roi de France, il assiège Tarascon le 4 mars et y pénètre. Après dix-neuf jours de siège infructueux, il se retire et repasse le Rhône, non sans perdre Tarascon reprise par les troupes de Provence, puis il assiège Arles. Décembre : il est envoyé en Castille pour aider Henri de Trastamare, à garder son trône.
1369 : 14 mars : il est à la tête des troupes à la bataille de Montiel, qui voit la victoire franco-castillane. 1370 : 20 juillet : Bertrand du Guesclin est de retour en France après sa campagne d'Espagne.
Année 1370
20 juillet 1370 : Bertrand du Guesclin est de retour en France après sa campagne d'Espagne. 2 octobre 1370 : Bertrand du Guesclin est fait connétable de France, plébiscité par le Grand Conseil. 23 octobre 1370 : il signe un accord d'alliance avec Olivier V de Clisson à Pontorson. 1er décembre 1370 : Du Guesclin quitte Caen et se dirige vers les troupes de Robert Knowles et Thomas Granson positionnées entre Vendôme et Château-du-Loir sur le Loir. 4 décembre 1370 : il bat les troupes anglaises à la bataille de Pontvallain. 8 décembre 1370 : poursuivant les Anglais, il les défait devant Bressuire. 15 décembre 1370 : il continue sa poussée et fait tomber Saumur.
Avril 1371 : Olivier V de Clisson et du Guesclin mettent le siège devant Bécherel.
18 septembre : Du Guesclin signe le traité de Surgères avec la noblesse du Poitou et de la Saintonge. Novembre : Thouars repasse française.
1373 : Mars : Du Guesclin met le siège devant Chizé. La ville est prise après la bataille de Chizé. Avril : le connétable prend Niort, Lusignan, La Roche-sur-Yon, Cognac, Mortemer. Après le débarquement anglais à Saint-Malo, il se dirige sur la Bretagne. Juin : Du Guesclin assiège Brest tenue par les Anglais. 14 juillet : il attaque Jersey. Août-décembre : lors de la chevauchée de Lancastre, il harcèle avec d'autres capitaines les troupes anglaises.
1374 : Août-septembre : Du Guesclin et le duc d'Anjou lancent une offensive en Guyenne et prennent Penne-d'Agenais, Saint-Sever, Lourdes, Mauléon, Condom, Moissac, Sainte-Foy-la-Grande, Castillon, Langon, Saint-Macaire, Sainte-Bazeille, La Réole.
1377 : juillet : dès la fin de la Trêve de Bruges, il engage l'offensive terrestre contre les Anglais, en Bretagne et en Guyenne avec le duc d'Anjou.
1378 : Avril-juin : Du Guesclin et Philippe II de Bourgogne lancent une campagne contre les possessions normandes du roi de Navarre Charles le Mauvais allié des Anglais. Bernay, Carentan, Valognes, Avranches, Remerville, Beaumont, Breteuil, Saint-Lô, Évreux, Pacy-sur-Eure, Gavray, Nogent-le-Roi, Anet, Mortain et Pont-Audemer sont conquises. Novembre-décembre : le siège qu'il met devant Cherbourg est un échec.
1380 : Juin-juillet : Du Guesclin combat les Grandes compagnies qui sévissent dans le Bourbonnais et l'Auvergne et met le siège devant Chaliers du 20 au 26 juin. 13 j
Mort de Duguesclin
Juillet 1380 : Bertrand du Guesclin meurt, malade, lors du siège de Châteauneuf-de-Randon.
La Bataille de Formigny : Le Tombeau des Anglais !
La Bataille de Formigny, qui s'est déroulée le 15 avril 1450, marque un tournant crucial dans la Guerre de Cent Ans. Cette confrontation entre les forces françaises et anglaises a eu des conséquences profondes sur le cours de l'histoire européenne. Dans ce récit historique, nous plongerons dans les antécédents de la bataille, son déroulement et ses répercussions, mettant en lumière son importance dans le contexte plus large du conflit médiéval entre la France et l'Angleterre.
La Guerre de Cent Ans, qui a débuté en 1337, est un conflit prolongé entre la France et l'Angleterre pour la domination territoriale et politique. Ce conflit a été caractérisé par une série de batailles, de sièges et de conflits dynastiques, marqués par des moments de victoire et de défaite pour les deux camps.
Les Prémices de la Bataille
Au cours des décennies précédant la Bataille de Formigny, les Français ont progressivement regagné du terrain face aux forces anglaises, notamment grâce à des victoires stratégiques à Orléans et à Patay. Ces succès ont renforcé la position du roi Charles VII de France et ont affaibli la présence anglaise sur le continent.
Au début de l'année 1450, les possessions continentales anglaises sont dans une situation critique. Après des décennies d'indécision, le roi de France Charles VII décide de consolider son autorité et d'accélérer la reconquête des territoires tenus par les Anglais. Dans un premier temps, il cherche à consolider son alliance avec la Bourgogne, amorçant des négociations de paix. Le 21 septembre 1435, le traité d'Arras met fin à la guerre entre la France et la Bourgogne, avec le duc de Bourgogne Philippe le Bon reconnaissant Charles VII comme le roi légitime de France. En échange, Charles VII cède à Philippe le Bon les comtés de Mâcon et d'Auxerre, ainsi que plusieurs villes de la Somme telles qu'Amiens, Abbeville et Saint-Quentin. Malgré le tribut considérable à payer, cette entente offre à Charles VII la liberté d'affronter les Anglais.
Le 12 novembre 1437, Charles VII entre dans Paris, marquant un tournant dans sa quête pour consolider son pouvoir. En 1444, une trêve est conclue entre les deux camps, bien que de courte durée. Le 23 mars 1449, un aventurier aux services des Anglais, Surienne, surnommé l'Aragonais, s'empare de la ville bretonne de Fougères pour le compte du duc de Somerset, lieutenant du roi d'Angleterre en Normandie. Cette action, bien que réalisée alors qu'Arthur III de Bretagne, frère du duc de Bretagne, est connétable de France depuis plusieurs années, officialise l'alliance de la Bretagne avec la France.
Une coalition est formée entre le duc de Bretagne François Ier et le roi Charles VII pour mener une campagne en Normandie et libérer définitivement la province. Les forces anglaises subissent une défaite à Rouen le 29 octobre 1449 et se replient vers le Cotentin. Au 12 octobre, seules quelques places, telles qu'Avranches, Bayeux, Bricquebec, Caen, Cherbourg et Saint-Sauveur-le-Vicomte, sont encore aux mains des Anglais. À la fin de la campagne de 1449, les forces françaises ont reconquis plusieurs villes importantes de Basse-Normandie, dont Coutances, Carentan, Saint-Lô et Valognes, et ont infligé plusieurs défaites aux Anglais en Haute-Normandie sous le commandement de Dunois. À moins de recevoir des renforts, la totalité de la Normandie est sur le point de basculer aux mains des Français. Cependant, avec l'arrivée de l'hiver, les troupes bretonnes se retirent des rangs, promettant de revenir en Normandie dès le mois de janvier suivant.
Les Forces en Présence
Lorsque la bataille s'annonce à Formigny, les forces françaises sont dirigées par le talentueux commandant Arthur de Richemont, également connu sous le nom de Connétable de Richemont. En face, les Anglais, sous le commandement de Sir Thomas Kyriell, comptent sur des troupes expérimentées mais sont affaiblis par des années de conflit prolongé.
Profitant d'une brève accalmie dans les hostilités, le duc de Suffolk réussit à rassembler des fonds pour financer l'envoi d'environ 3 500 hommes, placés sous les ordres de sir Thomas Kyriell. Cette force débarque à Cherbourg le 15 mars avec pour objectif initial de rejoindre la garnison anglaise de Caen, forte de 2 000 hommes. En chemin, ils rencontrent Valognes, tenue par les partisans français. Le 20 mars, les troupes anglaises entament le siège de la ville, renforcées par des contingents provenant d'autres garnisons anglaises sous le commandement de Matthew Gough. Alerté, le roi de France mobilise rapidement une armée de 3 000 hommes sous le commandement de Jean II de Bourbon, comte de Clermont, avec l'intention d'être rejoint par une seconde armée dirigée par le connétable de Richemont.
La première armée, conduite par le comte de Clermont, atteint Carentan le 12 avril, apprenant la reddition de Valognes survenue deux jours auparavant. Pendant ce temps, le comte de Richemont, mobilisant les forces bretonnes, est informé de la situation seulement vers le 25 mars. Avec son frère, ils lèvent une armée de 4 000 hommes, mais le 8 avril, arrivé à Dol-de-Bretagne, le duc décide de retenir la moitié de l'armée bretonne en Bretagne. Ainsi, le 10 avril, il avance en Normandie avec une armée réduite à 2 000 hommes.
Le 13 avril, Richemont atteint Coutances, où il reçoit un message du comte de Clermont concernant la situation. Cependant, interprétant mal les mouvements de l'armée anglaise, il croit à tort qu'elle se dirige vers Saint-Lô. Comme le rapporte Guillaume Gruel, écuyer d'Arthur de Richemont, celui-ci semble avoir été désorienté par les messages qu'il a reçus :
« Monseigneur de Clermont, Monsieur de Kastres, de l'amiral de Coitivi, et du grant Seneschal [...] lui escripvoient que les Angloys avoient prins Valoignes, et que encore estoient au dit lieu, et qu'il leur sembloit qui devoit tirer à Saint-Lo.[...]; et il tira à Saint Lo. »
En réalité, le commandant anglais Thomas Kyriell a décidé de contourner Saint-Lô, préférant trouver un passage à gué dans les marécages de la baie du Grand Vey. Dans l'après-midi du 14 avril, il arrive au village de Formigny où il érige des fortifications pour établir une étape.
Le 14 avril, le comte de Clermont est informé du passage des Anglais mais n'agit pas immédiatement. Ce n'est que dans la soirée qu'il envoie un messager à Richemont, qui ne reçoit l'information que le matin du 15 avril.
Le Déroulement de la Bataille
La Bataille de Formigny débute dans la matinée du 15 avril 1450, lorsque les forces françaises lancent une attaque déterminée contre les positions anglaises. Les Français, soutenus par une cavalerie bien organisée et une artillerie efficace, parviennent à briser les lignes ennemies. Malgré une résistance acharnée, les Anglais sont peu à peu repoussés.
Le matin du 15 avril 1450, alors que les troupes anglaises se préparent à reprendre leur marche vers Bayeux, elles sont confrontées à l'armée du comte de Clermont venant de l'Ouest, déterminée à leur barrer la route.
Fidèle à la stratégie anglaise, Kyriell organise ses troupes en formation de bataille, plaçant les archers en avant, protégés par des pieux. Tous les cavaliers descendent de leurs montures, seuls ceux de la réserve restent à cheval, positionnés sur le flanc gauche. Pour renforcer le flanc droit, Kyriell ordonne la construction d'un petit retranchement fortifié, le "Taudis", en avant de sa position. Il prend personnellement le commandement du flanc droit, tandis que Mathieu Goth, dit "Matago", capitaine de Bayeux, dirige le flanc gauche, contrôlant ainsi la route menant à Bayeux.
La stratégie de Thomas Kyriell est simple : se retrancher et laisser les cavaliers français s'approcher pour les décimer sous une pluie de flèches. Il espère répéter les succès de Crécy et d'Azincourt, mais les Français ne tombent pas dans le piège.
L'Artillerie Française
L'artillerie française entre en action, mais le comte de Clermont maintient son armée à distance des flèches anglaises, n'avançant que 60 lances et deux couleuvrines sous le commandement de Louis Giribaut. Ces dernières commencent à causer des ravages parmi les archers anglais, tirant un coup toutes les huit minutes. Leur objectif est de prendre le contrôle d'un pont et d'un gué proches pour sécuriser la rivière séparant les deux corps de l'armée anglaise. Cependant, cette tentative est lancée avant l'arrivée de l'armée bretonne commandée par le connétable de Richemont, encore à quelques lieues de là.
Matthieu Goth réagit rapidement en lançant une contre-attaque. Les hallebardiers anglais chargent et atteignent l'artillerie française, tandis que Pierre de Brézé intervient pour la dégager avec ses hommes d'armes des compagnies d'ordonnance, ramenant les archers qui étaient sur le point de fléchir. Bientôt, toute l'armée française est engagée dans la bataille mais se trouve en difficulté. Pendant ce temps, Arthur de Richemont, alerté par des paysans du début des combats, hâte le pas de ses troupes. Du côté anglais, seul le corps de Goth est engagé, Kyriell gardant le second corps en réserve. Bien que les Anglais semblent avoir pris l'avantage en neutralisant l'artillerie française et en submergeant les premières positions du comte de Clermont, Kyriell surprend en ne lançant pas d'attaque générale qui aurait pu écraser l'armée française, malgré son infériorité numérique.
Le Tournant de la Bataille
Un moment crucial survient lorsque les Français parviennent à percer les défenses anglaises, entraînant une confusion et un désordre dans les rangs ennemis. Les archers anglais, qui étaient traditionnellement redoutables sur le champ de bataille, se retrouvent isolés et vulnérables face à l'avancée française.
L'Arrivée Triomphale du Connétable de Richemont
Après près de trois heures de combat acharné, l'horizon s'illumine soudain de l'apparition de 2 000 hommes sur une colline au sud. Dans un premier temps, un cri de joie s'élève des rangs anglais, qui croient à l'arrivée de renforts de la garnison caennaise sous le commandement d'Edmond de Somerset.
Cependant, leur allégresse se transforme en désillusion lorsque les bannières bretonnes se déploient à l'horizon. Il s'agit en réalité de l'armée bretonne du connétable de Richemont, accompagnée de sa cavalerie, dévalant la colline en une charge redoutable sur la réserve de cavalerie anglaise. Cette arrivée inattendue suscite un soulagement palpable dans les rangs français, comme en témoigne l'amiral de Coëtivy quelques jours plus tard :
"Je crois que Dieu nous a envoyé le connétable, car s'il n'était pas venu à ce moment et de cette manière, je crains que nous n'aurions pas échappé à des dommages irréparables, car ils étaient deux fois plus nombreux que nous."
Déconcertés, les Anglais battent en retraite vers leurs retranchements, mais l'avant-garde bretonne menée par Tugdual de Kermoysan les assaille vigoureusement. De nombreux soldats sont tués ou blessés pendant leur repli. Pendant ce temps, le connétable de Richemont rejoint les forces du comte de Clermont et lance un assaut général.
Pierre de Brezé renverse les défenses anglaises du "Taudis", tandis que la ligne de front anglaise est percée et désorganisée, forçant les fuyards à se réfugier dans le village de Formigny. L'armée bretonne vient d'infliger le coup de grâce à l'armée anglaise. Profitant du chaos qui règne chez les Anglais, les Français les poursuivent à travers les jardins du village. Les archers gallois, redoutant d'être capturés et mutilés, se battent jusqu'au bout.
Si les soldats réguliers français épargnent la vie aux Anglais qui se rendent, les paysans, eux, se montrent impitoyables. Certains récits relatent le massacre de 500 archers gallois acculés, demandant grâce, mais tués jusqu'au dernier par des paysans normands. Thomas Kyriell et ses principaux officiers sont faits prisonniers. Seul Mathieu Goth parvient à s'échapper vers Bayeux avec quelques cavaliers.
Cette bataille est souvent évoquée comme celle où l'usage du canon a eu un effet décisif pour la première fois. Cependant, il semble que ce soit plutôt l'arrivée de l'armée bretonne d'Arthur de Richemont, avec sa charge de cavalerie imposante sur l'arrière de l'armée anglaise, qui ait véritablement scellé le destin de la bataille et précipité la défaite anglaise.
La Victoire Française
Finalement, la supériorité numérique et tactique des Français l'emporte. Les troupes anglaises, épuisées et désorganisées, sont contraintes de battre en retraite. La bataille se termine par une victoire décisive pour les Français, marquant un point tournant majeur dans la Guerre de Cent Ans.
Le Tombeau aux Anglais
Cotte de Maille d'un soldat Anglais mort à la bataille de Formigny, retrouvée en 1812. Elle fut trouvée dans le fameux Tombeau aux Anglais où furent enterrés plusieurs milliers d'Anglais. Mis en lumière lors de l'exposition temporaire au musée de Cluny, les Arts en France sous Charles VII, exposition qui aborde aussi la victoire du roi de France. L'épée fut retrouvée sur les lieux de la bataille de Castillon.
Selon l'historien Léopold Delisle, les pertes anglaises lors de la bataille de Formigny sont estimées à 3 774 morts, avec 1 200 à 1 400 prisonniers. Ces soldats anglais sont inhumés dans un champ qui gardera le nom de "Tombeau aux Anglais".
En ce qui concerne les pertes françaises, les rapports varient. Jean Chartier, l'historiographe officiel du règne de Charles VII, affirme que seulement huit Français ont été tués, ce qui semble peu plausible étant donné l'intensité des combats et les pertes subies par les Anglais. Le chroniqueur Jacques du Clercq estime quant à lui que les pertes françaises se situent entre six et huit cents hommes, ce qui semble plus crédible.
Suite à cette victoire, le comte de Clermont et le connétable de Richemont conquièrent successivement Vire le 23 avril, Avranches le 12 mai, Bayeux le 16 mai, et enfin Caen le 25 juin. À l'été 1450, la totalité de la Normandie est rapidement reconquise par le royaume de France. La prise de Cherbourg le 12 août met fin à la présence anglaise en Normandie, marquant ainsi la fin de la guerre de Cent Ans dans le Nord de la France.
En récompense de ses exploits, Arthur de Richemont reçoit du roi la seigneurie de Vire.
Le connétable de Richemont fait enterrer les morts, on ne sait pas si dans ce cas il s'agit d'Anglais ou Français ou les deux. Dessin du XVIIe siècle tiré d'une tapisseries réalisée par Richemont au XVe siècle. Les tapisseries ont disparus. Mis en exposition de l'exposition temporaire au musée de Cluny, les Arts en France sous Charles VII, exposition qui aborde aussi la victoire du roi de France.
Les prémices avant la bataille de Castillon
Trois ans après la bataille de Formigny, l'armée française remporte une nouvelle victoire décisive à la bataille de Castillon, mettant ainsi fin à la présence anglaise dans le sud de la France. En 1475, malgré une tentative de reconquête des territoires perdus, le roi d'Angleterre Édouard IV préfère négocier avec Louis XI. Le traité de Picquigny est signé, reconnaissant Louis XI comme le seul roi légitime de France et mettant définitivement fin à la guerre de Cent Ans. Les Anglais, quant à eux, se retirent définitivement de France, ne conservant que Calais jusqu'en 1558. Ainsi, la guerre de Cent Ans prend fin, marquant une nouvelle ère dans l'histoire franco-anglaise.
Les Conséquences de la Bataille
La victoire à Formigny renforce la position de Charles VII en France et affaiblit considérablement la présence anglaise sur le continent. Cette défaite marque le début de la fin pour les ambitions anglaises en France et pave la voie à la conclusion du conflit plusieurs années plus tard.
La Bataille de Formigny reste un événement crucial dans l'histoire de la Guerre de Cent Ans. Son importance réside non seulement dans sa signification immédiate en tant que victoire française, mais aussi dans ses répercussions à long terme sur le cours de l'histoire européenne. Cette bataille a contribué à façonner les relations politiques et territoriales en Europe occidentale, et son héritage perdure encore aujourd'hui.
Libération des villes normandes
La nouvelle de la défaite de Formigny est un coup dur pour l'Angleterre, marquant le début de la fin de sa domination en Normandie. Les garnisons anglaises, privées de tout espoir de secours, sont désormais condamnées à la reddition.
Clermont et Dunois s'allient pour entrer dans Bayeux.
Caen se rend à Dunois le 1er juillet. Charles VII y fait son entrée le 6 août, accordant une amnistie aux habitants et même aux marchands de Bernay qui avaient approvisionné les Anglais.
Falaise capitule le 21 juillet après une brève résistance de Thierry de Robessart.
La dernière place forte anglaise en Normandie est Cherbourg.
Le siège de Cherbourg, entamé en juillet avec l'utilisation de grosses bombardes, prend fin le 12 août après des tractations. Les Anglais quittent la ville deux jours plus tard. Ainsi, la Normandie entière est récupérée par la France à l'été 1450, marquant la fin de la guerre de Cent Ans dans le nord du pays.
Bilan des Sièges en Normandie en 1450 :
12 avril 1450 : Valognes reprise par les Anglais, puis rendue le même jour.
25 mai 1450 : Bayeux prise par Charles VII.
26 avril 1450 : Vire prise aux Anglais.
Mai 1450 : Avranches et Tombelaine rendues par les Anglais.
20 juin 1450 : Caen capitule après un siège.
23 juillet 1450 : Falaise se rend après un siège.
2 août 1450 : Domfront prise par les troupes françaises.
12 août 1450 : Cherbourg capitule après un siège de deux mois.
sources : Wikipedia, Dictionnaire de la Guerre de Cent-Ans par Jean-Marie Moeglin, Musée de Cluny, Formigny.free.fr
Au nom du Seigneur, ainsi soit-il. Ici commence le procès en matière de foi contre défunte femme Jeanne, appelée vulgairement la Pucelle.
A tous ceux qui les présentes lettres verront, Pierre Cauchon, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, et frère Jean Lemaître, de l’Ordre des frères prêcheurs, commis, dans le diocèse de Rouen, et chargé spécialement, eu qualité de vice-inquisiteur, de suppléer dans ce procès religieuse et prudente personne maître Jean Graverent, dudit Ordre, docteur distingué en théologie, inquisiteur de la foi et de la plaie hérétique, député, par délégation apostolique, au royaume de France; salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ auteur et consommateur de la foi.
Il a plu à la céleste Providence qu’une femme nommée Jeanne et vulgairement la Pucelle ait été prise et appréhendée par les gens de guerre dans les bornes et limites de nos diocèse et juridiction.
Or, c’était un bruit public que cette femme, au mépris. de la pudeur et de toute vergogne et respect de son sexe, portait, avec une impudence inouïe et monstrueuse, des habits difformes convenant au sexe masculin.
On disait encore que sa témérité l'avait conduite à faire, dire et semer beaucoup de choses contraires à la foi catholique et aux articles de la croyance orthodoxe. Ce faisant, elle s'était rendue gravement coupable tant dans notre diocèse que dans plusieurs autres lieux du royaume.
L'Université de Paris ayant eu connaissance de ces faits, ainsi que frère Martin Belorme, vicaire général de mon dit seigneur l'inquisiteur ès perversité hérétique, s'adressèrent aussitôt à l'illustre prince monseigneur le duc de Bourgogne et au noble seigneur Jean de Luxembourg, chevalier, qui tenaient ladite Pucelle sous leur puissance et autorité. Ils requirent lesdits seigneurs, par sommation, au nom du vicaire, sous les peines juridiques, de nous rendre et envoyer ladite femme ainsi diffamée et suspecte d'hérésie, comme au juge ordinaire.
Nous, évêque susdit, remplissant notre office pastoral, travaillant de toutes nos forces à l'exaltation et promotion de la foi chrétienne, avons voulu nous livrer à une en- quête légitime sur les faits ainsi divulgués et procéder , avec mûre délibération, conformément au droit et à la raison, à la conduite ultérieure qui nous paraîtrait légitime.
C'est pourquoi nous avons à notre tour, et sous les peines de droit, requis lesdits prince et seigneur de remettre à notre juridiction spirituelle ladite femme pour être jugée.
A son tour, le sérénissime et très chrétien prince notre maître, le roi de France et d' Angleterre 1 , a requis lesdits seigneurs, pour parvenir au même résultat. Enfin le très illustre duc de Bourgogne et le seigneur susnommé Jean de Luxembourg, accordant favorable accueil auxdites monitions et désirant, dans leurs âmes catholiques, accorder leur aide à des actes ayant pour but l'accroissesement de la foi, ont livré et envoyé ladite Pucelle à notre dit seigneur et à ses commissaires.
Ledit seigneur, dans son zèle et sa royale sollicitude en faveur de la foi, nous a ensuite délivré ladite femme, pour que nous soumettions les faits et dits de la prévenue à une enquête préalable et approfondie, avant de. procéder ultérieurement. En suite de ces actes, nous avons prié l'illustre et célèbre chapitre de Rouen, détenteur de toute la juridiction spirituelle et administration, le siège épiscopal vacant, de nous accorder territoire dans cette ville de Rouen, pour y déduire ce procès: ce qui nous a été gracieusement et libéralement concédé.
Avant de procéder contre ladite Pucelle à la procédure ultérieure, nous avons jugé raisonnable de nous concerter, par une grave et mûre délibération, avec des personnes lettrées et habiles en droit divin et humain, dont le nombre, grâce à Dieu, en cette ville de Rouen, est considérable.
1. Henri VI d’Angleterre
1.1. PREMIÈRE JOURNÉE DU PROCÈS 9 JANVIER 1431
Le jour de mardi, 9e du mois de janvier de l'an du Seigneur mil quatre cent et trente (1), selon le rite et comput de I’Eglise de France, indiction 9e, la quatorzième année du pontificat de notre très saint père et seigneur Martin V, pape par la divine Providence, dans la maison du conseil royal proche du Château de Rouen, nous, évêque susdit, avons fait convoquer les maîtres et docteurs qui suivent, savoir:
Messeigneurs:
Gilles [de Duremort], abbé de Fécamp, docteur en théologie; Nicolas [Le Roux], abbé de Jumièges, docteur en droit canon; Pierre [Miget], prieur de Longueville, docteur en théologie; Raoul [Roussel], trésorier de l’Eglise de Rouen, docteur en l’un et l’autre droit; Nicolas [de Venderès], archidiacre d’Eu, licencié en droit canon; Robert [Barbier], licencié en l’un et l’autre droit; Nicolas [Coppequêne], bachelier en théologie, et Nicolas [Loiseleur], maître ès arts.
1. L'année commençait alors à Pâques; ainsi jusqu'à la date de cette fête tombant cette année-là le 1er avril, les actes portent le millésime 1430, que nous corrigeons partout en 1431.
Ces notables personnages étant réunis, nous leur avons exposé les diligences qui avaient été faites et qui ont été dites ci-dessus, leur demandant de nous éclairer de leurs lumières sur le mode et la conduite à suivre. Ces maîtres et docteurs, en ayant pris connaissance, jugèrent qu’il fallait avoir des informations touchant les faits et dits imputés à cette Pucelle. Déférant à cet avis, nous leur avons représenté les enquêtes déjà faites par nos ordres à ce sujet et nous avons décidé d’en faire poursuivre de nouvelles. Nous avons encore ordonné que toutes ces informations ensemble et à jour fixe déterminé par nous fussent présentées au conseil, afin de le bien éclairer sur la conduite à tenir dans le traitement de toute l’affaire. Pour mieux et plus convenablement opérer ces informations et le reste, il a été délibéré qu’il était besoin de certains officiers spéciaux chargés personnellement de s’y entremettre. En conséquence, sur l’avis et délibération du conseil, il a été élu par nous, évêque, conclu et délibéré que: Vénérable et discrète personne maître Jean d’Estivet, chanoine des Églises de Beauvais et de Bayeux, remplirait l’office de promoteur ou procureur général en la cause. Scientifique personne maître Jean de la Fontaine, maître ès arts et licencié en droit canon, a été nommé conseiller commissaire et instructeur. Prudentes et honorables personnes Guillaume Colles, autrement dit Bois-Guillaume 1, et Guillaume Manchon, prêtres, greffiers de l’officialité de Rouen, d’autorité impériale et apostolique, rempliraient l’office de greffiers ou scribes. Maître Jean Massieu, prêtre, doyen de la cathédrale de Rouen, a été constitué exécuteur des exploits et convocations à émaner de notre autorité. Le tout en vertu de ce qui est contenu tout au long dans les lettres de création données pour chacun de ces offices 1.
1. Ou Bosc Guillaume.
1.2. DEUXIÈME JOURNÉE DU PROCÈS
13 JANVIER 1431.
Lecture des informations prises sur la Pucelle.
Le lundi suivant [treizième de janvier], nous, évêque susdit, avons rassemblé en notre domicile à Rouen messieurs et maîtres: Gilles, abbé de la Sainte-Trinité de Fécamp, docteur en théologie; Nicolas de Venderés, licencié en droit canon; Guillaume Haiton, bachelier en théologie; Nicolas Couppequene, bachelier en théologie; Jean de la Fontaine, licencié en droit canon, Et Nicolas Loyseleur, chanoine de l’Eglise de Rouen. En présence desquels nous avons exposé ce qui s’était
1. Suivent les diverses lettres closes et patentes mentionnées dans les actes qui précèdent, ce sont :
1° lettre de l’Université de Paris au duc de Bourgogne (14 juillet 1430) ;
2° lettre de l’Université à Jean de Luxembourg (14 juillet 1430);
3° lettre du vicaire général de l’Inquisition au duc de Bourgogne (26 mai 1430); 40 sommation faite par nous, évêque susdit, au duc de Bourgogne et à Jean de Luxembourg (14 juillet 1430) ; exploit de signification de la sommation qui précède (14 juillet); lettre de l’Université à l’évêque de Beauvais (21 novembre) ; lettre de l’Université au roi d’Angleterre (21 novembre) ; ordre du roi d’Angleterre de nous livrer ladite Jeanne (3 janvier 1431) ; lettres de territoire à nous accordées par le vénérable chapitre de l’Eglise de Rouen, pendant la vacance du siège (28 décembre 1430); lettres d’institution des notaires (9 janvier 1431); lettres d’institution d’un conseiller, commissaire et ordonnateur des témoins (9janvier); lettres d’institution de l’appariteur (9 janvier).
Tous ces documents se trouvent dans J. Quicherat et les trois traductions françaises.
fait dans la précédente séance, en leur demandant avis sur la marche ultérieure à suivre. Nous leur avons, en outre, fait donner lecture des informations recueillies au pays natal de cette femme et ès autres lieux, ainsi que de diverses notes sur divers points, les unes stipulées dans ces informations, les autres alléguées par la rumeur publique. Tout cela vu et entendu, lesdits maîtres ont délibéré qu’il serait dressé là-dessus des articles ou propositions en due forme, afin que la matière pût être distinguée d’une manière plus précise et que l’on pût mieux examiner ultérieurement s’il y a motif suffisant d’introduire citation et instance en cause de foi, Conformément à cet avis, nous avons résolu de faire dresser de tels articles, et avons commis à ce soin certains docteurs notables dans l’un et l’autre droit, pour y pourvoir avec les notaires 1. Ceux-ci, nous obtempérant avec diligence, ont procédé les dimanche, lundi et mardi qui suivirent.
1. Bois-Guillaume et Manchon.
1.3. TROISIÈME JOURNÉE DU PROCÈS
23 JANVIER 1431.
Conclusion de faire enquête préparatoire.
Le mardi 23, au même lieu, comparurent les assesseurs dénommés en la précédente séance Nous leur avons fait donner lecture des articles rédigés, en leur demandant avis sur la suite. Ces assesseurs déclarèrent alors que ces articles étaient rédigés en bonne forme et qu’il convenait de procéder aux interrogatoires correspondant à ces articles. Ensuite ils dirent que nous pouvions et devions procéder à l’enquête préparatoire sur les faits et dits de la prisonnière. Acquiesçant à leur avis et attendu que nous sommes occupés ailleurs, nous avons délégué à cette enquête le commissaire ci-dessus Jean de la Fontaine.
1.4. QUATRIÈME JOURNÉE DU PROCÈS
13 FÉVRIER 1431.
Prestation de serment par les officiers de la cause.
Le mardi 13, au même lieu, présents:
Gilles, abbé, etc., Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Nicolas Midi, Pierre Maurice, Gérard Feuillet, Nicolas de Venderès, Jean de la Fontaine, William Heton, Nicolas Couppequêne, Thomas de Courcelles, Nicolas Loyseleur; Avons mandé les officiers de la cause, savoir: Jean d’Estivet, promoteur: Jean de la Fontaine, commissaire; Guillaume Boisguillaume, Guillaume Manchon, notaires; et J. Massieu, appariteur; lesquels, sur notre requête, ont prêté serment de bien et fidèlement remplir leurs offices.
1.5. CINQUIÈME, SIXIÈME ET SEPTIÈME JOURNÉES
14, 15, 16 FÉVRIER 1431.
Enquête préparatoire.
Les mercredi, jeudi, vendredi et samedi suivants, par le ministère de maître Jean de la Fontaine, commissaire, assisté de deux notaires, il a été procédé à ladite enquête.
1.6. CINQUIÈME SÉANCE DU PROCÈS
19 FÉVRIER 1431.
Le ministère de l’Inquisition sera invoqué.
Le lundi après les Brandons comparurent, à environ 8 heures du matin, dans notre dite maison d’habitation: Gilles, abbé de Fécamp; J. Beau père, Jacques de Touraine, N. Midi, Pierre Maurice, Gérard Feuillet, docteurs en théologie; N. de Venderès, Jean de la Fontaine, licenciés en droit canon; G. Haiton, N. Coupequesne, Th. de Courcelles, bacheliers en théologie; Nic. Loyseleur, chanoine de Rouen. Nous, évêque susdit, avons exposé en leur présence qu’une instruction préalable avait été faite par nos soins contre cette femme pour voir s’il y avait lieu à suivre l’action. Nous avons ensuite fait lire, séance tenante, devant lesdits présents, la teneur des articles et dépositions des témoins contenus dans cette information préalable. Lesquels conseillers, cette pièce ouïe, en délibérèrent longuement, et, sur leur avis, nous avons prononcé qu’il y avait matière suffisante pour faire livrer la prévenue en cause de foi. En outre, par égard pour le Saint-Siège apostolique, qui a spécialement institué MM. les inquisiteurs pour connaître des affaires de ce genre, nous avons décidé, de l’avis des mêmes assesseurs, que M. l’inquisiteur du royaume serait appelé et requis, pour s’adjoindre, s’il lui plaisait, à nous, dans le procès. Et comme le dit inquisiteur pour lors était absent de cette ville de Rouen, nous avons ordonné que son vicaire, présent à Rouen, serait mandé en son lieu et place.
1.7. SIXIÈME SÉANCE DU PROCÈS
19 FÉVRIER 1431.
Réquisition du vicaire de l’inquisiteur.
Le même jour, vers quatre heures après midi, comparut audit lieu devant nous, vénérable et discrète personne frère Jean Lemaître, vicaire de M. l’inquisiteur du royaume de France, par lui député pour la métropole et diocèse de Rouen. Lequel avons sommé et requis de s’adjoindre à nous pour ledit procès, offrant de lui communiquer tout ce qui avait été déjà fait ou se ferait à l’avenir dans la cause. A cela, le vicaire répondit qu’il était prêt à nous montrer sa commission, ou lettres de vicariat, et que, vu la teneur de cette commission, il ferait volontiers, dans la cause, ce qu’il devrait faire pour l’office de la sainte Inquisition. Il représenta cependant que sa commission s’appliquait uniquement au ressort ou diocèse de Rouen. Or, attendu que, encore bien que le chapitre de Rouen nous eût prêté juridiction et territoire en ce diocèse, cependant le présent procès avait été intenté à raison de notre juridiction comme évêque de Beauvais, par ce motif, ledit vicaire a émis ce doute: si sa commission pouvait s’étendre à ta poursuite du présent procès. Sur ce, nous lui avons fait réponse qu’il se rendît de nouveau, le jour suivant, par-devant nous et que d’ici là nous aviserions sur ce point.
1.8. SEPTIÈME SÉANCE DU PROCÈS
20 FÉVRIER 1431.
Le vicaire de l’inquisiteur se récuse dans la cause.
Le lendemain comparurent au même lieu: Lemaître, Beaupère, Touraine, Midi, Venderès, Maurice, Feuillet, Courcelles, Loyseleur et frère Martin Ladvenu de l’Ordre des frères prêcheurs. Nous avons exposé en leur présence que, vu la commission du vicaire et ouï l’avis des conseillers auxquels. cette commission a été présentée, nous avions conclu que le vicaire était autorisé par ladite commission à procéder conjointement avec nous. Néanmoins, pour plus de sûreté en faveur de ce procès, nous avons décidé d’adresser personnellement sommation et requête à l’inquisiteur général de se rendre en ce diocèse afin de nous assister ou de se faire suppléer par un vicaire muni dans ce but de pouvoirs spéciaux. A quoi frère Lemaître a répondu que, tant pour tranquilliser sa conscience que pour donner une marche plus sûre au procès, il ne consentirait d’aucune façon à s’entremettre en cette affaire, sauf le cas où il recevrait un pouvoir spécial et dans la limite de ce pouvoir. Toutefois il a consenti, en tant qu’il le pouvait et qu’il lui était permis, à ce que nous, évêque, procédassions plus outre, jusqu’à ce qu’il eût un avis plus éclairé sur la question de savoir si les termes de sadite commission lui permettaient de s’adjoindre au procès. Après lequel acquiescement, nous avons derechef offert au vicaire communication des actes de notre procédure. Et les opinions des assistants étant recueillies, avons arrêté que ladite femme serait citée à comparaître devant nous le lendemain mercredi 21 février 1.
1.9. HUITIÈME SÉANCE DU PROCÈS
21 FÉVRIER 1431.
Première séance publique. Interrogatoire.
Le mercredi, vers huit heures du matin, nous évêque, nous sommes rendu à la chapelle royale du Château de Rouen, où nous avions cité la prévenue. Là, nous avons pris séance, assisté des révérends pères seigneurs et maîtres [au nombre de 43] 2. En premier lieu, il a été, devant ces assesseurs, donné lecture des lettres du roi qui nous renvoient la prévenue et des lettres de territoire. Lecture faite, maître Jean d’Estivet, promoteur, a rapporté qu’il avait fait citer la prévenue à comparaître 1.
1. Suivent la teneur des lettres de vicariat de frère Lemaître et la lettre de P. Cauchon à l’Inquisiteur général, frère Jean Graverend (22 février 1431). Celui-ci répondit de Constance qu’étant légitimement empêché il déléguait frère Jean Lemaître, qui siégea officiellement à partir du 13 mars. 2. Nous omettons, pour abréger, la liste des assistants de Pierre Cauchon, elle varie presque à chaque séance, mais les noms que nous avons déjà transcrits plusieurs fois s’y retrouvent.
A l’exhibition de ce rapport, le promoteur a requis qu’il fût procédé à la comparution. Et entre temps ladite femme ayant demandé à ouïr la messe, nous avons exposé aux assesseurs que, de l’avis de notables maîtres avec qui nous en avons conféré, attendu les crimes dont ladite prévenue est diffamée, notamment la difformité de son habillement dans laquelle elle persévère, nous avons cru devoir surseoir à lui accorder la licence par elle demandée d’entendre la messe et d’assister aux divins offices. [L’exécution de l’exploit atteste que] ladite Jeanne a en effet répondu que volontiers elle comparaîtrait... et répondrait la vérité aux interrogatoires qui seraient à lui faire; qu’elle demandait que, dans cette cause, vous voulussiez bien vous adjoindre des ecclésiastiques de ces parties de France [d’où venait la prévenue, c’est-à-dire docteurs de l’obédience du roi Charles VII]. [Jeanne est introduite par l’huissier Jean Massieu, prêtre.] Pendant que nous disions ce qui précède, la prévenue a été amenée par l’exécuteur des exploits. Nous avons rappelé qu’elle avait été appréhendée sur le territoire de notre diocèse de Beauvais,... à nous envoyée par le roi,... et citée pour répondre en justice des faits criminels qui lui sont imputés... C’est pourquoi, désirant, dans cette cause, remplir le devoir de notre office à la conservation et exaltation de la foi catholique, avec le secours favorable de Jésus-Christ, dont la cause est en jeu, nous avons préalablement admonesté et requis ladite Jeanne, alors assise devant nous, que, pour accélérer le procès et pour la décharge de sa propre conscience, elle nous dît pleinement sur ce la vérité sans faux-fuyants ni subterfuges.
1. Suit la lecture des lettres de citation et de l’exécution de l’exploit.
Prestation de serment.
Là-dessus, nous avons requis l’accusée de prêter serment sur l’Évangile qu’elle dira la vérité. RÉPONSE DE JEANNE : J’ignore la matière de l’interrogatoire. Peut-être me demanderez-vous telles choses que je ne dois pas vous dire. CAUCHON: Jeanne, je vous requiers encore de prêter serment de dire la vérité.
JEANNE: De mon père, de ma mère et des choses que j’ai faites depuis que je pris le chemin de France, volontiers je jurerai. Mais quant aux révélations qui me viennent de Dieu, je n’en ai onques rien dit ni révélé à personne, sinon à Charles mon roi; je n’en dirai pas plus, dût-on me couper la tête, parce que mon conseil secret — mes visions, j’entends — m’a défendu d’en dire rien à personne. Au reste, avant huit jours, je saurai bien si je dois rien vous dire. CAUCHON : Derechef, nous vous avertissons et requérons de prêter serment, de dire la vérité dans les choses touchant notre foi.
JEANNE (à genoux et les deux mains posées sur. le missel): Je jure de dire la vérité sur les choses qui me seront demandées et que je saurai concernant la foi. [La prévenue garde le silence sur la condition susdite, c’est-à-dire qu’elle ne dira ou révélera à personne les révélations à elle faites.]
1. L’original emploie ici le style indirect: laquelle Jeanne à cela répondit en ces termes : Je ne sais, etc. Et comme nous lui dîmes :Vous jugerez, etc. Elle répondit de nouveau; Quant à mon père, etc. A cette forma nous substituons le style direct. Seuls les incidents seront présentés sous la forme de récit.
Premier interrogatoire après le serment.
CAUCHON: Votre nom? JEANNE: Dans mon pays on m’appelait Jeannette. En France, on m’appelle Jeanne depuis que j’y suis venue.
CAUCHON: Votre surnom? JEANNE: Du surnom je ne sais mie.
CAUCHON: Votre lieu de naissance? JEANNE: Je suis née au village de Domrémy, qui est tout un avec Grus; c’est à Grus qu’est la principale église.
CAUCHON: Les noms de vos père et mère? JEANNE: Mon père s’appelle Jacques d’Arc, et ma mère Isabelle.
CAUCHON: Où avez-vous été baptisée? JEANNE: A Domrémy.
CAUCHON: Quels ont été vos parrains et marraines? JEANNE: Le nom de l’un de mes parrains est Jean Lingué; un autre : Jean Barrey. L’une de mes marraines s’appelle Agnès ; une autre Sibylle. J’en ai encore eu d’autres, ainsi que j’ai entendu dire à ma mère.
CAUCHON: Quel prêtre vous a baptisée?
JEANNE: Messire Jean Minet, à. ce que je crois.
CAUCHON: Vit-il encore? JEANNE: Oui, j’imagine.
CAUCHON: Votre âge? JEANNE: Dix-neuf ans, je pense, environ.
[CAUCHON: Que vous a-t-on appris?] JEANNE: Ma mère m’a appris Pater noster, Ave Maria, Credo. Je n’ai appris ma créance d’aucun autre que de ma mère.
CAUCHON: Dites votre Pater noster 1. JEANNE: Entendez-moi en confession, je vous le dirai volontiers.
[CAUCHON: Derechef, je vous requiers de dire votre Pater noster.] [JEANNE: Je ne vous dirai point Pater noster, à. moins que vous ne m’écoutiez en confession.]
[CAUCHON: Une troisième fois, je vous requiers de dire Pater noster.] [JEANNE: Je ne vous dirai Pater noster qu’en confession . ]
CAUCHON: Volontiers, nous vous donnerons un ou deux notables hommes de la langue de France, devant lesquels vous direz Notre Père. JEANNE : Je ne leur dirai que s’ils m’entendent en confession.
CAUCHON: Jeanne, défense vous est faite de sortir de la prison à vous assignée sans notre congé, sous peine d’être assimilée à un coupable convaincu d’hérésie.
JEANNE: Je n’accepte pas cette défense. Si je m’échappais, nul ne serait en droit de me reprocher d’avoir rompu ou violé ma foi, car je n’ai onques engagé ma foi à personne.
[CAUCHON: Avez-vous à vous plaindre de quelque chose?]
JEANNE: J’ai à me plaindre d’être enchaînée avec chaînes et entraves de fer.
CAUCHON: Ailleurs vous avez tenté plusieurs fois de vous échapper. C’est pour ce motif qu’il a été donné ordre de vous mettre aux fers.
JEANNE: Il est vrai, je l’ai voulu et le voudrais encore, comme il est permis à tout prisonnier de s’échapper.
CAUCHON: Cela étant, nous évêque, pour plus grande sûreté, commettons à la garde de Jeanne noble homme John Gris 1, écuyer du corps de notre seigneurie roi, et, avec lui, Jean Berwoit et Guillaume Talbot, en leur enjoignant de la bien et fidèlement garder, sans permettre à quiconque de conférer avec elle sans notre congé. Vous, les trois susdits gardes, les mains sur les saints Évangiles, jurez qu’ainsi vous ferez. Ce que lesdits gardes ont juré. Finalement, nous avons assigné Jeanne pour comparaître le lendemain jeudi, 8 heures du matin, dans la chambre de parement, au bout de la grande cour du château.
1. Cette demande que nous répétons trois fois est ainsi mentionnée: Cumque iterum pluries super lice requiremus eam
1.10. NEUVIÈME SÉANCE DU PROCÈS
22 FÉVRIER 1431.
Deuxième interrogatoire public.
[Le jeudi 22 février, dans la chambre de parement, au bout de la grande salle du château; 47 assesseurs siègent à côté de l’évêque.]
CAUCHON: Révérends Pères, Docteurs et Maîtres, frère Jean Lemaître, vicaire de l’Inquisition, présent à l’audience, a été par nous sommé et requis de s’adjoindre au procès ; à l’offre de lui communiquer tous les actes, ledit vicaire a répondu ne se reconnaître de pouvoirs suffisants que pour le diocèse de Rouen, tandis que la cause se jugeait à raison de notre juridiction de Beauvais et sur son territoire prêté. C’est pourquoi, afin de ne pas invalider le procès et de tranquilliser sa conscience, il avait différé de s’adjoindre à nous jusqu’à plus ample information ou réception de pouvoirs plus étendus de Monsieur l’inquisiteur. Ledit vicaire, toutefois, a déclaré se prêter volontiers à ce que nous continuassions la procédure sans désemparer.
FR. J. LEMAÎTRE: Ce que vous exposez est la vérité. J’ai approuve et j’approuve, autant que je puis et qu’il dépend de moi, que vous poursuiviez.
[Jeanne est introduite devant l’évêque.]
CAUCHON : Jeanne, nous vous requérons, sous les peines de droit, de répéter le serment prêté hier et de jurer simplement et absolument de répondre avec vérité.
JEANNE: J’ai juré hier. Cela doit suffire.
CAUCHON : Nous vous requérons [derechef] de jurer, attendu que toute personne, fût-ce un prince, requise en matière de foi, ne peut refuser le serment.
JEANNE: Je vous ai fait serment hier. Cela doit bien vous suffire. Vous me chargez trop. [CAUCHON: Une fois encore, jurez.]
JEANNE: Je jure de dire la vérité touchant la foi. Ensuite, l’illustre professeur en sacrée théologie, maître Jean Beaupère, sur l’ordre et commandement de nous [évêque], interroge comme il suit la prévenue:
L’INTERROGATEUR 1 : [Je commence, Jeanne], par vous exhorter à dire, comme vous l’avez juré, la vérité.
JEANNE: Vous pourriez me demander telle chose sur laquelle je vous répondrai la vérité et, de telle autre, je ne la répondrai pas. Si vous étiez bien informés de moi, vous devriez vouloir que je fusse hors de vos mains. Je n’ai rien fait que par révélation.
L’INTERROGATEUR: Quel âge aviez-vous en quittant la maison paternelle?
JEANNE: Je ne sais.
L’INTERROGATEUR : Dans votre jeune âge, aviez-vous appris quelque art ou métier?
JEANNE: Oui, à coudre et à filer. Pour coudre et filer je ne crains femme de Rouen.
[L’INTERROGATEUR: N’êtes-vous pas sortie une fois de la maison de votre père?]
JEANNE: Oui-da, par peur des Bourguignons, je partis de la maison de mon père et m’en fus en la ville de Neuf-château, en Lorraine, chez une femme qu’on appelait la Rousse. J’y demeurai quinze jours..
1. « Selon l’usage et comme l’indiquent divers témoignages du procès de revision, outre l’évêque et l’interrogateur spécial nommé par lui, les assesseurs, particulièrement les six docteurs de l’Université de Paris, interrogeaient Jeanne. En général, les procès-verbaux du procès de condamnation ne précisent point par qui sont faites les questions adressées à Jeanne. Dès lors il est entendu que, dans tout le cours des interrogatoires, cette rubrique : l’interrogateur, pourra désigner, en même temps que l’interrogateur attitré, des interrogateurs quelconques. » (Note de M. J. Fabre.)
[L'INTERROGATEUR : Que faisiez-vous chez votre père ? ]
JEANNE: Chez mon père, je faisais le ménage. Je n'allais [guère] aux champs avec les brebis et autres bêtes 1.
L'INTERROGATEUR: Vous confessiez-vous tous les ans ?
JEANNE : Oui, à mon propre curé, et quand le curé était empêché, à un autre prêtre. Quelquefois aussi, deux ou trois fois, je pense, je me suis confessée à des religieux mendiants. C'était à Neufchâteau. Je communiais à la fête de Pâques.
L'INTERROGATEUR : [Communiez-vous] aux autres fêtes ?
JEANNE: Passez outre.
[L'INTERROGATEUR: Quand avez-vous commencé à entendre des voix ? ]
JEANNE: J'avais treize ans quand j'eus une voix de Dieu pour m'aider à me bien conduire. La première fois j'eus grand'peur. Cette voix vint sur l'heure de midi. pendant l'été, dans le jardin de mon père.
[L'INTERROGATEUR: Étiez-vous à jeun ?]
JEANNE: J'étais à jeun.
[L'INTERROGATEUR : Aviez-vous jeûné la veille ?]
JEANNE: Je n'avais pas jeûné la veille 2 ?
[L'INTERROGATEUR : De quel côté entendîtes-vous la voix ?]
JEANNE: J'ai entendu cette voix à droite, du côté de
1. On reviendra plus loin sur cette question, que le texte donne ici d'une façon un peu obscure. 2. Je suis ici l'interrogatoire d'après M. J. Fabre. Le procès-verbal omet les mots: et tunc erat jejuna qu'on trouve dans l'extrait du procès-verbal du 22 février à la suite de l'article 10 du réquisitoire. Le texte de J. Quicherat est fautif, il omet non dans cette phrase: et ipsa Johanna non jejunaverat die praecedenti, Vallet de Viriville, p. 36, a traduit: j'avais jeûné la veille. Sainte-Beuve avait également adopté cette traduction.
l'église, et rarement elle est venue à moi sans être accompagnée d'une grande clarté. Cette clarté vient du même côté que la voix, et il y a ordinairement une grande clarté. Quand je vins en France, j'entendais souvent la voix 1.
L'INTERROGATEUR: Comment voyiez-vous cette clarté, puisqu'elle se produisait de côté ?
JEANNE ne répond rien et passe à autre chose. Puis elle dit: Si j'étais dans un bois, j'entendrais bien ces voix venir.
L'INTERROGATEUR : Comment était la voix ?
JEANNE: Il me semble que c'était une bien noble voix, et je crois qu'elle m'était envoyée de la part de Dieu. A la troisième fois que je l'entendis, je reconnus que c'était la voix d'un ange. Elle m'a toujours bien gardée.
L'INTERROGATEUR: Pouviez-vous la comprendre ?
JEANNE: Je l'ai toujours bien comprise.
L'INTERROGATEUR : Quel enseignement vous donnait la voix pour le salut de votre âme ?
JEANNE: Elle m'enseignait à me bien conduire et à fréquenter les églises. Elle m'a dit qu'il était nécessaire que je vinsse en France.
L'INTERROGATEUR : De quelle sorte était cette voix ?
JEANNE: Vous n'en aurez pas davantage aujourd'hui sur cela.
[L'INTERROGATEUR: La voix parlait-elle souvent ?]
JEANNE: Deux ou trois fois par semaine elle m'exhortait à partir pour la France.
[L'INTERROGATEUR: Votre père savait-il votre départ?]
JEANNE :Mon père ne sut rien de mon départ. La voix me pressait toujours et je ne pouvais plus durer où j’étais.
[L’INTERROGATEUR: Que vous disait la voix?]
JEANNE: Elle me disait que je ferais lever le siège d’Orléans.
[L’INTERROGATEUR: Que disait-elle encore?]
JEANNE.: Elle me disait d’aller trouver Robert de Baudricourt, capitaine, et qu’il me donnerait des gens pour cheminer avec moi; car j’étais pauvre fille, ne sachant ni chevaucher, ni mener guerre.
[L’INTERROGATEUR: Continuez.]
JEANNE: J’allai chez mon oncle et lui dis que je voulais demeurer chez lui pendant quelque peu de temps, et j’y demeurai à peu près huit jours. Pour lors je dis à mon oncle qu’il me fallait aller à Vaucouleurs, et mon oncle m’y conduisit. Quand je fus à Vaucouleurs, je reconnus le capitaine 1, quoique je ne l’eusse onques vu auparavant; ce fut par le moyen de ma voix qui me dit que c’était lui. Je dis alors au capitaine qu’il fallait que je vinsse en France. Deux fois il me repoussa et rejeta; mais la troisième fois il me reçut et me donna des hommes, Aussi bien la voix m’avait dit que cela serait ainsi,
[L’INTERROGATEUR: Parlez-nous touchant le duc de Lorraine.]
JEANNE: Le duc de Lorraine manda qu’on me conduisît vers lui. J’y fus et je lui dis que je voulais aller en France. Le duc m’interrogea sur la recouvrance de sa santé. Mais moi je lui dis que de cela je ne savais mie.
[L’INTERROGATEUR: Que dites-vous au duc sur le fait de votre voyage?]
1. L'extrait du procès-verbal porte magnam vocem audiebat au lieu de illam vocem audiebat.
1. Robert, sire de Baudricourt.
JEANNE: Je ne lui fis pas de grandes communications sur le fait du voyage. Je lui demandai de me donner son fils 1 avec des gens pour m’accompagner en France, et que je prierais Dieu pour sa santé. J’étais allée vers le duc sans sauf-conduit. De chez lui je revins à Vaucouleurs.
[L’INTERROGATEUR : En quel équipage avez-vous quitté Vaucouleurs?]
JEANNE: De Vaucouleurs je m’en fus avec un habillement d’homme, portant une épée que m’avait donnée le capitaine, sans autres armes. J’avais pour mon escorte un chevalier, un écuyer et quatre serviteurs. Je gagnai Saint-Urbain où je pris gîte à l’abbaye. Sur ma route, je rencontrai Auxerre et y entendis la messe à la cathédrale.
Cathédrale d'Auxerre.
[L’INTERROGATEUR: Entendiez-vous vos voix pendant votre voyage?]
JEANNE: J’avais alors souvent mes voix avec celle que j’ai déjà dite.
[L’INTERROGATEUR: Dites-nous par quel conseil vous prîtes l’habit d’homme?] [JEANNE : Passez outre.] [L’INTERROGATEUR Mais répondez donc?] [JEANNE : Passez outre.]
[L’INTERROGATEUR: Est-ce un homme qui vous le conseilla?]
JEANNE : De cela je ne charge homme quelconque 2.
1. C’est-à-dire son beau-fils, René d’Anjou. 2. Le texte relate ainsi cette partie de l’interrogatoire : « Item requise de déclarer par quel conseil elle avait pris l’habit d’homme, à cela elle refusa à plusieurs reprises de répondre. Finalement elle dit que là-dessus elle ne donnait de charge à personne; et elle varia plusieurs fois. »
L’INTERROGATEUR : Que dit Baudricourt, le jour de votre départ?]
JEANNE : Robert de Baudricourt fit jurer à ceux qui m’accompagnaient de bien et sûrement me conduire. A moi, il me dit : « Va », et au moment du départ: « Va, et advienne que pourra »!
[L’INTERROGATEUR: Que savez-vous du duc d’Orléans qui est prisonnier en Angleterre?]
JEANNE: Je sais que Dieu aime le duc d’Orléans. J’ai eu plus de révélations sur son fait que touchant homme qui vive, excepté mon seigneur le roi.,
[L’INTERROGATEUR: Dites maintenant pourquoi vous avez pris un habillement d’homme?]
JEANNE: Il a fallu changer mon habillement de femme et m’habiller en homme.
JEANNE: Je crois que mon conseil, en cela, m’a bien avisée.
[L’INTERROGATEUR : Que fîtes-vous à l’arrivée à Orléans?]
JEANNE: J’ai envoyé une lettre aux Anglais qui étaient devant Orléans. Elle leur disait qu’ils partissent, comme il est porté en la copie de ladite lettre qui m’a été lue en cette ville de Rouen. Sauf deux ou trois mots qui sont dans la copie et pas dans la lettre. Ainsi est dit dans la copie: « Rendez à la Pucelle »; il faut y mettre «Rendez au roi ». Il y a aussi ces mots: « corps pour corps » et « chef de guerre », qui n’étaient pas dans ma lettre à moi 1.
1. Cf. J. Quicherat, Procès, t. I, p. 55, note 2. Jeanne avait dicté sa lettre, et sans doute son secrétaire aura ajouté ces mots à son insu. La concordance des copies citées par les hommes du parti français et par les hommes du parti anglais témoigne que la copie lue à Jeanne n’avait pas été falsifiée.
[L’INTERROGATEUR : Racontez ce qui est du fait de la rencontre avec votre prétendu roi.]
JEANNE: J’arrivai sans empêchement auprès de mon roi. Étant au village de Sainte-Catherine de Fierbois, je commençai par envoyer au château de Chinon, où était le roi. J’y fus’ à midi et me logeai dans une hôtellerie. Après le dîner, j’allai vers le roi, qui était dans le château .
Aumônerie de Sainte-Catherine de Fierbois où logea Jeanne d'Arc et son escorte.
[L’INTERROGATEUR : Qui vous montra le roi?]
JEANNE : Quand j’entrai dans la Chambre du Roi, je le reconnus entre les autres, par le conseil et révélation de ma voix, et lui dis que je voulais aller faire la guerre aux Anglais.
L’INTERROGATEUR: Lorsque la voix vous désigna votre roi, y avait-il quelque lumière?
JEANNE: Passez outre.
L’INTERROGATEUR : Y avait-il là quelque ange au-dessus de votre roi?
JEANNE: Épargnez-moi; passez outre.
L’INTERROGATEUR: Répondez donc.]
JEANNE: Plus d’une fois, avant que mon roi me mît en œuvre, il eut des révélations et de belles apparitions.
L’INTERROGATEUR : Quelles révélations et apparitions a eues votre roi?
JEANNE : Ce n’est pas moi qui vous le dirai. Ce n’est pas encore à répondre. Envoyez vers le roi, et il vous le dira.
1. Au procès de réhabilitation, les dépositions des témoins, notamment celle de Dunois, nous apprennent que Jeanne dut attendre deux jours avant d’être admise devant le roi.
[L’INTERROGATEUR : Comptiez-vous être reçue par le roi?]
JEANNE: La voix m’avait promis que le roi me recevrait aussitôt après ma venue. Ceux de mon parti reconnurent bien que cette voix m’avait été envoyée de par Dieu; ils ont vu et reconnu [la voix], je le sais bien.
[L’INTERROGATEUR: De qui parlez-vous?]
JEANNE: Mon roi et plusieurs autres ont vu et entendu les voix venant à moi; là était Charles de Bourbon avec deux ou trois autres.
[L’INTERROGATEUR : Entendez-vous souvent la voix? JEANNE : Il n’est pas de jour que je ne l’entende, et aussi en ai bien besoin.
[L’INTERROGATEUR : Que lui demandiez-vous?]
JEANNE : Je ne lui ai jamais demandé autre prix final que le salut de mon âme.
[L’INTERROGATEUR : La voix vous encourageait-elle à suivre l’armée?]
JEANNE : Ma voix m’a dit que je persistasse devant Saint-Denys en France. J’y voulais rester. Mais, contre ma volonté, les seigneurs m’emmenèrent. Si pourtant je n’eusse été blessée, je ne me fusse retirée.
[L’INTERROGATEUR : Où fûtes-vous blessée?]
JEANNE : C’est dans les fossés de Paris, quand j’y vins de Saint-Denys, que je fus blessée. En cinq jours je me trouvai guérie.
[L’INTERROGATEUR : Qu’avez-vous entrepris contre Paris?]
JEANNE: Je fis faire une démonstration — en français escarmouche — devant la ville de Paris.
L’INTERROGATEUR: Était-ce jour de fête? JEANNE : Je crois bien qu’oui.
L’INTERROGATEUR : Était-ce bien fait d’attaquer un jour de fête ?
JEANNE : Passez outre.
Ceci ayant eu lieu, estimant que c’en était assez pour ce jour, nous, évêque, avons remis l’affaire au lendemain samedi, huit heures du matin.
1.11. DIXIÈME SÉANCE DU PROCÈS
24 FÉVRIER 1431.
Troisième interrogatoire public.
[Le samedi 24 février, dans la chambre du parement au bout de la grande salle du château de Rouen; 62 assesseurs siègent à côté de l’évêque.] CAUCHON : Jeanne, nous vous requérons de dire absolument et simplement la vérité, sans réserve ni condition. [Cet avis a été répété trois fois.] JEANNE: Donnez-moi congé de parler.
[CAUCHON: Je vous le donne.] JEANNE: Par ma foi, vous pourriez me demander telles choses que je ne vous dirais pas, comme par exemple de ce qui touche mes révélations. Car vous pourriez m’amener ainsi à révéler telle chose que j’ai juré de tenir secrète. Je vous le dis: prenez bien garde à ce que vous prétendez que vous êtes mon juge, car vous prenez une grande charge en me chargeant moi-même.
[CAUCHON : Jurez de dire la vérité.] JEANNE: Il me semble que c’est assez d’avoir juré deux fois en jugement.
CAUCHON: Voulez-vous ou non jurer simplement et absolument? JEANNE : Vous pouvez bien passer par là-dessus. J’ai déjà juré deux fois.
[CAUCHON: Vous serez pour sûr condamnée.] JEANNE: Toute la clergie de Rouen et de Paris ne saurait me condamner sans droit,
[L’INTERROGATEUR: Dites toute la vérité.] JEANNE : Sur ma venue, je dirai la vérité, mais non’ pas tout; huit jours ne suffiraient pas à tout dire.
CAUCHON : Prenez avis des assistants pour savoir si vous devez jurer, ou non. JEANNE: Pour le fait de ma venue en France, je dirai volontiers la vérité, mais rien autrement. Ne m’en rebattez pas davantage.
CAUCHON: En refusant de jurer de dire la vérité, vous vous rendez suspecte. JEANNE : Je répète ce que j’ai déjà dit.
CAUCHON: Derechef je vous requiers de jurer précisément et absolument. JEANNE: Je dirai volontiers ce que je sais, et encore pas tout. Je viens de la part de Dieu et n’ai rien à faire ici. Je vous prie que vous me renvoyiez à Dieu de qui je viens..
CAUCHON : Jeanne, je vous requiers et avertis de jurer, sous peine d’être chargée de ce qu’on vous impose. JEANNE: Passez outre.
CAUCHON: Une dernière fois je vous requiers de jurer et vous avertis qu’il vous faut dire la vérité sur tout ce qui touche au procès, car votre refus vous exposerait à un grand péril. JEANNE : Je suis prête à jurer de dire ce que je sais touchant le procès.
[CAUCHON: Jurez donc alors.] JEANNE: Je le jure. CAUCHON : Jeanne, maître Jean Beaupère, docteur insigne, va vous interroger.
L’INTERROGATEUR : Jeanne, quand est-ce la dernière fois que vous avez mangé et bu? JEANNE: Depuis hier midi je n’ai pas mangé 1.
L’INTERROGATEUR : Depuis quand n’avez-vous entendu la voix qui vient à vous? JEANNE: Je l’ai entendue hier et aujourd’hui.
L’INTERROGATEUR: A quelle heure, hier, l’avez-vous entendue? , JEANNE: Hier, je l’ai entendue trois fois : une fois le matin, une fois à l’heure de vêpres et une troisième fois au coup de l’Ave Maria du soir. Il m’arrive de l’entendre plus souvent encore.
L’INTERROGATEUR: Que faisiez-vous hier matin quand vint la voix? JEANNE : Je dormais et j’ai été éveillée.
L’INTERROGATEUR : Vous a-t-elle éveillée en vous touchant les bras? JEANNE : Elle m’a éveillée sans me toucher.
L’INTERROGATEUR : La voix était-elle dans votre chambre? JEANNE : Non, que je sache, mais elle était dans le château.
JEANNE : Je l’ai remerciée en me soulevant et m’asseyant sur mon lit, les mains jointes. J’avais demandé son assistance. [L’INTERROGATEUR: Que vous a-t-elle dit ? ] JEANNE: Elle m’a dit de répondre hardiment.
L’INTERROGATEUR: Que vous a dit la voix quand vous fûtes éveillée? JEANNE: Je demandai conseil à la voix sur ce que je devais répondre, lui disant de demander conseil là-dessus à Notre-Seigneur. La voix me dit: « Réponds hardiment, Dieu t’aidera ».
L’INTERROGATEUR : La voix vous a-t-elle dit quelques paroles avant d’être invoquée? JEANNE : La voix m’a dit quelques paroles, mais je n’ai pas tout compris. Ce que je sais bien, c’est qu’après mon réveil elle me dit de répondre hardiment. [Et s’adressant à Cauchon :] Vous, évêque, vous dites que vous êtes mon juge; prenez garde à ce que vous faites, car en vérité je suis envoyée de la part de Dieu et vous vous mettez en grand danger.
L’INTERROGATEUR : La voix a-t-elle eu des avis différents ? JEANNE: Onques ne lui ai trouvé deux langages contraires. Cette nuit, je l’ai entendue me dire de répondre hardiment.
L’INTERROGATEUR La voix vous a-t-elle défendu de tout dire JEANNE: Je ne vous répondrai pas là-dessus. J’ai des révélations touchant le roi que je ne vous dirai point
L’INTERROGATEUR La voix vous a t elle défendu de dire des révélations? JEANNE Je n’ai pas été conseillée sur cela Donnez-moi un délai de quinze jours, et je vous répondrai.
[L’INTERROGATEUR: Répondez tout de suite.] . JEANNE Je vous demande délai Si ma voix me le défend, que voulez-vous que je dise?
L’INTERROGATEUR: La voix vous a-t-elle fait aucune défense? JEANNE: Croyez bien que ce ne sont pas les hommes. qui me l’ont défendu.
L’INTERROGATEUR: Vous ne voulez donc pas répondre? JEANNE: Aujourd’hui je ne répondrai pas. Je dois attendre, pour me décider, jusqu’à ce que cela m’aura été révélé.
[L’INTERROGATEUR : La voix vient-elle de Dieu?] JEANNE : Oui, et par son ordonnance. Je le crois fermement, comme je crois la foi chrétienne et que Dieu nous a rachetés des peines de l’enfer.
L’INTERROGATEUR: La voix que vous dites vous apparaître est-elle un ange, ou Dieu immédiatement, ou bien un saint ou une sainte? JEANNE: Cette voix vient de la part de Dieu. [L’INTERROGATEUR: Expliquez-vous.]
JEANNE: Je crois que je ne vous dis pas pleinement ce que je sais. J’ai plus grande crainte de faillir en disant quelque chose qui déplaise à ces voix que je n’ai souci de vous répondre à vous. Quant à votre question sur ma voix, je vous demande délai.
L’INTERROGATEUR: Croyez-vous qu’il déplaise à Dieu qu’on dise la vérité? JEANNE: Les voix m’ont dit de révéler certaines choses au roi et non pas à vous. Cette nuit même, la voix m’a dit beaucoup de choses pour le bien de mon roi que je voudrais être dès maintenant sûre de lui, dussè-je ne pas boire de vin jusqu’à Pâques. Lui en serait plus joyeux à son dîner 1.
L’INTERROGATEUR: Ne pouvez-vous tant faire que la voix, vous obéissant, aille porter au roi le message? JEANNE : Je ne sais si la voix y voudrait consentir, sinon que ce fût le vouloir de Dieu et que Dieu le permît. Et si c’est le plaisir de Dieu, il pourra bien le faire révéler au roi, et j’en serais bien contente.
L’INTERROGATEUR: Pourquoi la voix ne parle-t-elle plus maintenant au roi, ainsi qu’elle faisait quand vous étiez en sa présence? JEANNE: Je ne sais si c’est la volonté de Dieu. N’était la grâce de Dieu, je ne saurais aucunement agir.
L’INTERROGATEUR : Votre conseil vous a-t-il révélé que vous vous échapperiez de prison? JEANNE : Je ne vous ai à dire.
L’INTERROGATEUR: Cette nuit, la voix vous a-t-elle donné conseil et avis de ce que vous devez répondre? JEANNE: Si elle m’a avisée là-dessus, je n’ai pas bien compris.
L’INTERROGATEUR: Les deux derniers jours que vous avez entendu les voix, est-il venu au même lieu quelque lumière ? JEANNE: La clarté vient au nom de la voix.
L’INTERROGATEUR : Avec les voix voyez-vous autre chose? JEANNE : Je ne vous dirai pas tout. Je n’en ai pas congé. Mon serment ne touche point cela. La voix est bonne et digne. Je ne suis pas tenue de vous répondre là-dessus.
Au surplus, donnez-moi par écrit les points sur lesquels je ne réponds pas actuellement. L’INTERROGATEUR: La voix à laquelle vous demandez conseil a-t-elle un visage et des yeux? JEANNE : Vous n’aurez pas encore cela de moi. C’est un dicton des petits enfants que l’es gens sont pendus quelquefois pour avoir dit la vérité.
L’INTERROGATEUR : Savez-vous être en la grâce de Dieu? JEANNE : Si je n’y suis, Dieu m’y mette; et, si j’y suis, Dieu m’y tienne ! Je serais la plus dolente du monde si je savais ne pas être en la grâce de Dieu. Mais si j’étais en état de péché, je crois que la voix né viendrait pas à moi. Je voudrais que chacun l’entendît aussi bien que je l’entends.
L’INTERROGATEUR : Quand l’avez-vous d’abord entendue? JEANNE : Je tiens que j’avais treize ans ou à peu près quand la voix vint à moi pour la première fois.
L’INTERROGATEUR : Dans votre jeunesse, alliez-vous vous ébattre aux champs avec les autres filles? JEANNE: J’y suis bien allée quelquefois, mais je ne sais à quel âge.
L’INTERROGATEUR : Ceux de Domrémy tenaient-ils pour le parti bourguignon ou pour le parti adverse? JEANNE : Je n’y ai connu qu’un seul Bourguignon. J’aurais voulu qu’il eût la tête coupée, toutefois si c’eût été le plaisir de Dieu.
L’INTERROGATEUR : Au village de Maxey 1 étaient-ils Bourguignons ou adversaires des Bourguignons?
1. Aujourd’hui Maxey-sur-Meuse, près de Domremy.
JEANNE : Ils étaient Bourguignons. L’INTERROGATEUR: La voix vous avait-elle dit, quand vous étiez jeune, de haïr les Bourguignons? JEANNE: Depuis que j’eus compris que les voix étaient pour le roi de France, je n’aimai pas les Bourguignons. Les Bourguignons auront la guerre s’ils ne font ce qu’ils doivent, je le sais par ma voix.
L’INTERROGATEUR: Dans votre jeunesse, avez-vous eu révélation par votre voix que les Anglais viendraient en France? JEANNE : Les Anglais étaient déjà en France quand les voix commencèrent à me visiter.
L’INTERROGATEUR: Fûtes-vous jamais avec les petits enfants qui se battaient pour le parti dont vous êtes? JEANNE: Je n’en ai pas souvenance. Mais j’ai bien vu plusieurs de Domrémy qui se battaient avec ceux de Maxey revenir tout blessés et sanglants.
L’INTERROGATEUR: Avez-vous eu, dans votre jeunesse, grande intention de combattre les Bourguignons ? JEANNE : J’avais grande volonté et affection que mon roi recouvrât son royaume.
L’INTERROGATEUR: Auriez-vous ‘bien voulu être homme, quand vous deviez venir en France? JEANNE : J’ai répondu déjà à cela.
J.~’INTERROGATEUR : Ne conduisiez-vous pas les animaux aux champs? JEANNE : J’ai répondu déjà à cela. Depuis que je fus un peu grande et que j’eus l’âge de discrétion, je ne gardais pas les bêtes communément, mais j’aidais bien à les mener au pré, ainsi qu’à un château nommé l’Ile, par crainte des hommes d’armes. Dans mon tout jeune âge, je ne me rappelle pas si je les gardais ou non.
L’INTERROGATEUR: N’avez-vous pas de souvenir au sujet d’un certain arbre qui existait près de votre village? JEANNE : Près de Domrémy il y avait un arbre appelé l’arbre des Dames ; d’autres l’appelaient l’arbre des Fées. Auprès est une fontaine. J’ai ouï dire que les fiévreux boivent de cette fontaine et y vont quérir de l’eau pour se remettre en santé. Je l’ai vu moi-même, mais je ne sais s’ils guérissent ou non.
[L’INTERROGATEUR: Ne savez-vous rien autre ? ] JEANNE : J’ai oui dire que les malades une fois relevés, vont à cet arbre pour se divertir. Il y a un grand arbre appelé le Fou, d’où vient le beau mai. Il appartenait, d’après le commun dire, à monseigneur Pierre de Bourlemont, chevalier.
[L’INTERROGATEUR: Alliez-vous souvent à cet arbre,?] JEANNE : J’allais parfois avec d’autres filles m’ébattre au pied de l’arbre et j’y faisais des guirlandes pour l’image de la Notre-Dame de Domrémy. Souventes fois j’ai ouï dire par des anciens, — non ceux de mon lignage —que les dames fées le hantaient. J’ai même ouï dire à une de mes marraines, nommée Jeanne, femme du maire Rubery, qu’elle-même avait vu là des fées. J’ignore si c’était vrai ou non. Je n’ai, moi, jamais vu les fées près de cet arbre, que je sache. Si j’en ai vu ailleurs, je ne sais s je les ai vues ou non.
[L’INTERROGATEUR: Ne mettiez-vous pas des guirlandes à cet arbre?] JEANNE: J’ai vu des filles mettre des guirlandes aux branches de cet arbre ; moi-même j’y en ai mis avec les autres. Tantôt nous les emportions, tantôt nous les laissions.
[L’INTERROGATEUR: Vous mêliez-vous aux divertissements de vos compagnes?] JEANNE: A partir du moment où je sus que je devais venir en France, je m’en retirai et donnai aux jeux et promenades le moins que je pus. Je ne sais même si, depuis l’âge de raison, j’ai dansé au pied de l’arbre. J’ai bien puy danser avec les autres enfants, mais j’y ai plus chanté que dansé.
[L’INTERROGATEUR: N’y a-t-il pas aussi un bois près de Domrémy?] JEANNE: Il y a là un bois qu’on nomme le Bois-Chênu, qu’on voit de la porte demonpère. Il en est à moins d’une demi-lieue.
[L’INTERROGATEUR: Ce bois est-il hanté par les fées?]
JEANNE : Je ne sais et n’ai pas oui dire qu’il fût hanté par les fées. Mais j’ai ouï conter par mon frère qu’on disait dans le pays: « Jeannette a pris son fait près de l’arbre des Fées » Il n’en est rien et je le lui ai dit.
[L’INTERROGATEUR: Ne vous a-t-on pas regardée comme l’envoyée du Bois-Chênu?] JEANNE: Quand je vins vers mon roi, quelques-uns me demandaient si, dans mon pays, il y avait quelque arbre qui s’appelait Bois-Chênu, parce qu’il y avait des prophéties disant que des environs de ce bois devait venir une pucelle qui ferait des merveilles Mais à cela je n’ajoutai pas foi.
L’INTERROGATEUR: Jeanne, voulez-vous avoir un habit de femme? JEANNE: Donnez-m’en un, je le prendrai et partirai. Autrement, non. Je suis contente de celui-ci, puisqu’il plaît à Dieu que je le porte. [La séance est levée et renvoyée au mardi de la semaine suivante.]
1.12. ONZIÈME SÉANCE DU PROCÈS
27 FÉVRIER 1431.
Quatrième interrogatoire public.
[Le mardi 27 février, dans la chambre du parement au bout de la grand’salle du château de Rouen. 53 assesseurs siègent autour de Cauchon.] CAUCIION: Jeanne, nous vous requérons de jurer de dire la vérité sur le fait du procès. JEANNE: Volontiers je jurerai de dire la vérité sur le fait du procès, mais non sur ce que je sais. CAUCHON: Nous vous requérons de jurer de dire la vérité sur tout ce qui vous sera demandé. JEANNE: Vous devez vous contenter. J’ai assez juré. CAUCHON: Maître Jean Beaupère, interrogez-la. L’INTERROGATEUR: Comment vous êtes-vous portée depuis samedi dernier? JEANNE: Vous voyez bien comment je me suis portée. Je me suis portée le mieux que j’ai pu. L’INTERROGATEUR : Jeûnez-vous chaque jour de ce carême? JEANNE: Est-ce de votre procès? L’INTERROGATEUR: Oui. JEANNE: Oui vraiment. Eh bien, j’ai jeûné tous les jours de ce carême. L’INTERROGATEUR: Depuis samedi avez-vous entendu la voix? JEANNE: Oui vraiment et plusieurs fois. L’INTERROGATEUR: Samedi, à l’audience, avez-vous entendu la voix? JEANNE: Ceci n’est pas de votre procès. [L’INTERROGATEUR: C’est du procès. Répondez donc.] JEANNE: Je l’ai entendue. L’INTERROGATEUR: Que vous a-t-elle dit, ce samedi? JEANNE: Je ne l’entendais pas bien, ni rien que je pusse vous redire, jusqu’à mon retour dans ma chambre. L’INTERROGATEUR: Que vous a dit la voix à votre retour? JEANNE: Elle m’a dit de vous répondre hardiment. [L’INTERROGATEUR: A quel propos vous l’a-t-elle dit?] JEANNE: Je demande conseil à ma voix sur les questions que vous me faites. [L’INTERROGATEUR: La voix vous a-t-elle dit de cacher quelque chose?] JEANNE: Je répondrai volontiers sur ce que Dieu me permettra de révéler. Quant à ce qui touche les révélations concernant le roi de France, je ne les dirai pas sans congé de ma voix. L’INTERROGATEUR: La voix vous a-t-elle défendu de tout dire? JEANNE: Je ne l’ai pas bien comprise. L’INTERROGATEUR: Que vous a dit la voix en dernier lieu? JEANNE : Je lui ai demandé conseil relativement à quelques points sur lesquels j’avais été interrogée. [L’INTERROGATEUR : La voix vous a-t-elle conseillé sur ces points?] JEANNE : Sur quelques points j’ai eu conseil. Sur d’autres vous aurez beau me demander réponse, je n’en ferai pas sans congé de ma voix. Si je répondais sans congé, peut-être n’aurais-je plus mes voix en garant. Mais quand j’aurai congé de Dieu, je ne craindrai pas de parler, vu que j’aurai bon garant. L’INTERROGATEUR Est-ce la voix d’un ange qui vous parlait? ou bien celle d’un saint ou d’une sainte, ou la voix de Dieu directement? JEANNE: C’est la voix de sainte Catherine et de sainte Marguerite. Là-dessus, j’ai congé de Notre-Seigneur. Que si vous en doutez, envoyez à Poitiers où j’ai autrefois été interrogée. L’INTERROGATEUR: Comment savez-vous que ce sont ces deux saintes? Les distinguez-vous bien l’une de l’autre? JEANNE: Je sais bien que ce sont elles. Je les distingue bien l’une de l’autre. L’INTERROGATEUR : Comment cela? JEANNE : Par le salut qu’elles me font. L’INTERROGATEUR: Y a-t-il longtemps qu’elles communiquent avec vous? JEANNE : Il y a bien sept ans passés qu’elles m’ont prise sous leur garde. L’INTERROGATEUR : A quoi les reconnaissez-vous? JEANNE: Elles se nomment à moi. L’INTERROGATEUR : Ces saintes sont-elles vêtues de même étoffe? JEANNE: Je ne vous en dirai pas davantage à cette heure. Je n’ai pas congé de le révéler. Si vous ne me croyez, allez à Poitiers. L’INTERROGATEUR : Ne nous cachez rien. JEANNE: Ces choses sont au roi de France, non àvous. L’INTERROGATEUR: Ces saintes sont-elles du,même âge? JEANNE: Je n’ai pas congé de vous le dire. L’INTERROGATEUR: Ces saintes parlent-elles à la fois ou l’une après l’autre? Jeanne d’Arc JEANNE: Je n’ai point congé de vous le dire. Cependant j’ai toujours eu conseil de toutes les deux. L’INTERROGATEUR: Laquelle des deux vous est apparue la première? JEANNE: Je ne les ai point connues tout de suite. Je l’ai bien su jadis, mais je l’ai oublié. Si j’en ai congé, je vous le dirai volontiers. C’est d’ailleurs marqué au registre de Poitiers. [L’INTERROGATEUR: N’y a-t-il que les saintes qui vous aient apparu?] JEANNE: J’ai reçu aussi confort de saint Michel. L’INTERROGATEUR: Laquelle des apparitions vous est venue la première? JEANNE: C’est saint Michel. L’INTERROGATEUR : Y a-t-il longtemps que vous avez eu la voix de saint Miche!? JEANNE: Je ne vous nomme pas la voix de saint Michel; mais je vous parle du grand confort venu de lui. L’INTERROGATEUR: Quelle fut la première voix qui vint à vous quand vous aviez treize ans ou environ? JEANNE: Ce fut saint Michel. Je le vis devant mes yeux et il n’était pas seul, mais bien accompagné d’anges du ciel. [L’INTERROGATEUR: Est-ce de vous-même que vous vîntes en France?] JEANNE: Je ne vins en France que par l’ordre de Dieu. L’INTERROGATEUR: Vîtes-vous saint Michel et les anges en corps et en réalité? JEANNE: Je les vis des yeux de mon corps aussi bien que je vous vois. Quand ils s’en furent, je pleurai, et j’aurais bien voulu qu’ils m’emportassent avec eux. L’INTERROGATEUR: En quelle figure était saint Miche!? JEANNE: Il n’y a pas de réponse là-dessus ; je n’ai pas encore congé de vous le dire. L’INTERROGATEUR: Que vous dit saint Miche! cette première fois? JEANNE: Vous n’en aurez pas réponse aujourd’hui. [L’INTERROGATEUR: Vos voix vous ont-elles dit ce que dit saint Michel?] JEANNE: Elles m’ont dit de répondre hardiment. [L’INTERROGATEUR: Pourquoi dire à votre roi ce que vous nous cachez?] JEANNE: J’ai bien dit à mon roi en une fois tout ce qui m’avait été révélé, parce que j’allais à lui. Mais, maintenant, je n’ai pas congé de vous révéler ce que saint Michel m’a dit. Je voudrais bien que vous qui m’interrogez vous eussiez copie du livre qui est à Poitiers, pourvu qu’il plût à Dieu. L’INTERROGATEUR: Vos voix vous ont-elles défendu de dire vos révélations sans congé d’elles? JEANNE: Je ne vous réponds pas encore là-dessus. Sur ce dont j’aurai congé je répondrai volontiers. Je n’ai pas bien compris si mes voix me l’avaient défendu. L’INTERROGATEUR: Quel signe donnez-vous que vous teniez cette révélation de la part de Dieu et que ce soient bien sainte Catherine et sainte Marguerite qui conversent avec vous? JEANNE: Je vous ai assez dit que ce sont elles. Croyez m’en si vous voulez. L’INTERROGATEUR: Vous est-il défendu de le dire? JEANNE: Je n’ai pas bien compris si cela m’est permis ou non. L’INTERROGATEUR: Comment savez-vous faire la distinction que sur tels points vous devez répondre et sur d’autres non? JEANNE: Sur quelques points j’ai demandé congé, sur d’autres je l’ai. [L’INTERROGATEUR: Aviez-vous congé de Dieu pour venir en France?] JEANNE: J’aurais mieux aimée être tirée à quatre chevaux que de venir en France sans congé de Dieu. L’INTERROGATEUR: Dieu vous a-t-il prescrit de prendre l’habit d’homme? JEANNE: Le fait de l’habit est peu de chose et des moindres. Je n’ai pris cet habit par le conseil d’aucun homme qui soit au monde. Je n’ai pris cet habit ni fait quoi que ce soit, que du commandement de Dieu et des anges.. L’INTERROGATEUR : Ce commandement à vous fait de prendre l’habit d’homme est-il licite? JEANNE: Tout ce que j’ai fait, c’est par commandement de Notre-Seigneur. S’il me commandait d’en prendre un autre, je le prendrais, puisque ce serait par le commandement de Dieu. L’INTERROGATEUR: N’avez-vous pas pris ce vêtement par l’ordre de Robert de Baudricourt? JEANNE: Non. L’INTERROGATEUR : Pensez-vous avoir bien fait de prendre l’habit d’homme? JEANNE : Tout ce que j’ai fait par le commandement de Notre-Seigneur, je cuide l’avoir bien fait et j’en attends bon garant et bonne aide. L’INTERROGATEUR: Dans ce cas particulier, en prenant l’habit d’homme, pensez-vous avoir bien fait? JEANNE: Je n’ai rien fait au monde que par le commandement de Dieu,
L’INTERROGATEUR: Quand vous vîtes la voix qui venait à vous, y avait-il de la lumière? JEANNE: Il y avait beaucoup de lumière de toutes parts, ainsi qu’il convient. Elle ne vient pas toute à vous, L’INTERROGATEUR: Y avait-il un ange sur la tête de votre roi, quand vous le vîtes pour la première fois? JEANNE: Par Notre-Dame, s’il y était, je n’en sais rien, je ne l’ai pas vu. L’INTERROGATEUR: Y avait-il de la lumière?
JEANNE: Il y avait plus de trois cents hommes d’armes et cinquante flambeaux ou torches, sans compter la lumière spirituelle. Rarement j’ai révélations qu’il n’y ait de la lumière. L’INTERROGATEUR: Comment votre roi a-t-il cru vos dires? JEANNE: Il avait bonnes enseignes et par son clergé. L’INTERROGATEUR: Quelles révélations eut votre roi? JEANNE: Vous ne les aurez pas de moi encore de cette année. Pendant trois semaines j’ai été interrogée par les clercs à Chinon et à Poitiers. Mon roi eut un signe touchant mes faits avant d’y avoir créance. Les clercs de mon parti furent d’avis que dans mon fait il n’y avait rien que de bon. L’INTERROGATEUR: Avez-vous été à Sainte-Catherine-de-Fierbois? JEANNE: Oui, j’y ai ouï trois messes en un jour. Ensuite j’allai à Chinon. [L’INTERROGATEUR : En quelle manière êtes-vous entrée en communication avec le roi ? ] JEANNE: (Etant encore à Sainte-Catherine-de-Fierbois), j’envoyai lettres au roi pour savoir si j’entrerais dans la ville où il était. Je lui dis que j’avais fait cent cinquante lieues pour venir vers lui. Il me semble même qu’il y avait dans ces lettres que je saurais le reconnaître entre tous les autres.
[L’INTERROGATEUR: Aviez-vous une épée?] JEANNE: J’avais une épée que j’avais prise à Vaucouleurs. [L’INTERROGATEUR: N’aviez-vous pas une autre épée ?)] JEANNE: Etant à Tours ou à Chinon, j’envoyai quérir une épée qui était dans l’église de Sainte-Catherine-de-Fierbois, derrière l’autel. Cette épée fut trouvée sur-le-champ, toute rouillée. L’INTERROGATEUR: Comment saviez-vous que cette épée était là? JEANNE: Je le sus par mes voix. Il y avait par-dessus cinq croix. Onques n’avais vu l’homme qui l’alla quérir. J’écrivis aux gens d’Eglise du lieu d’avoir pour agréable que j’eusse cette épée, et les clercs me l’envoyèrent. Elle était sous terre, pas fort avant, et derrière l’autel comme il me semble. Au fait, je ne sais pas au juste si elle était devant l’autel ou derrière. Je cuide avoir écrit qu’elle était derrière. Aussitôt qu’ils eurent trouvé cette arme, les clercs du lieu la frottèrent. La rouille tomba aussitôt sans efforts. Ce fut un marchand d’armes de Tours qui l’alla quérir. Les clercs du lieu me donnèrent un fourreau ; ceux de Tours également. Les deux fourreaux qu’ils me firent étaient de velours vermeil et l’autre de drap noir. J’en fis faire encore un autre de cuir bien fort. [L’INTERROGATEUR : Aviez-vous l’épée de Fierbojs quand vous fûtes prise?] JEANNE: Quand je fus prise, je ne l’avais point. Je la portai constamment depuis que je l’eus jusqu’à mon départ de Saint-Denis, après l’assaut de Paris.
[L’INTERROGATEUR :Quelle bénédiction fîtes-vous ou fîtes-vous faire sur cette épée?] JEANNE: Je ne l’ai point bénite ni fait bénir. Je ne l’eusse su faire. [L’INTERROGATEUR : Vous teniez beaucoup à cette épée?] JEANNE : Je l’aimais bien parce qu’elle avait été trouvée dans l’église de Sainte-Catherine que j’aimais bien. L’INTERROGATEUR : Avez-vous été à Coulonge-la-Vineuse? JEANNE: Je ne sais. L’INTERROGATEUR: Avez-vous posé quelquefois votre épée sur l’autel pour la rendre plus fortunée? JEANNE : Non, que je sache. L’INTERROGATEUR: N’avez-vous jamais fait des prières pour que votre épée fût plus fortunée? JEANNE: Il est bon à savoir que j’aurais voulu voir tout mon harnais bien fortuné. L’INTERROGATEUR: Aviez-vous votre épée quand vous fûtes prise? JEANNE : Non, j’en avais une qui avait été prise sur un Bourguignon. L’INTERROGATEUR : Où est restée l’épée de Fierbois? dans quel village? JEANNE : A Saint-Denis, j’ai offert une épée et des armes, mais ce n’était pas celle-là. [L’INTERROGATEUR: Aviez-vous cette épée à Lagny?] JEANNE : Je l’avais à Lagny. De Lagny à Compiègne je portai l’épée du Bourguignon que j’ai dit. C’était une bonne épée de guerre, bonne à donner de bonnes buffes et de bons torchons. [L’INTERROGATEUR: Où avez-vous laissé l’épée de Fier-bois ? ] JEANNE : Dire où je la laissai ne touche point le procès et ne répondrai pas là-dessus quant à maintenant. [L’INTERROGATEUR: En quelles mains est votre avoir ?] JEANNE : Mes frères ont mes biens, chevaux, épée et le reste, ainsi le crois, montant à plus de douze mille écus. L’INTERROGATEUR: Quand vous allâtes à Orléans, aviez-vous un étendard ou bannière, et de quelle couleur? JEANNE : J’avais une bannière dont le champ était semé de lis. Il y avait la figure du monde et deux anges à ses côtés. Elle était de toile blanche, de celle qu’on appelle boucassin. Il y avait écrit dessus : Jhesus Maria, comme il me semble, et elle était frangée de soie. L’INTERROGATEUR: Ces noms Jhesus Maria étaient-ils écrits en haut, en bas ou sur le côté? JEANNE : Sur le côté, comme il me semble. L’INTERROGATEUR: Qu’aimiez-vous mieux, votre bannière ou votre épée? JEANNE : J’aimais quarante fois mieux ma bannière que mon épée. L’INTERROGATEUR: Qui vous fit faire cette peinture sur la bannière? JEANNE : Je vous ai assez dit que je n’ai rien fait que du commandement de Dieu. [L’INTERROGATEUR: Qui portait votre bannière?] JEANNE: C’est moi-même qui portais ladite bannière quand je chargeais les ennemis, pour éviter de tuer personne. Je n’ai jamais tué un homme. L’INTERROGATEUR : Quelle compagnie vous donna votre roi quand il vous mit en oeuvre? JEANNE: Il me donna dix ou douze mille hommes.D’abord j’allai à Orléans, à la bastille de Saint-Loup, et puis à la bastille du Pont. L’INTERROGATEUR : A quelle bastille fut-ce que vous fîtes retirer vos hommes? JEANNE : Je ne m’en souviens pas. [L’INTERROGATEUR : Vous attendiez-vous à la levée du siège d’Orléans?] JEANNE: J’étais bien sûre de [faire] lever le siège d’Orléans, par une révélation que j’avais eue, et je l’avais dit à mon roi avant d’y venir. L’INTERROGATEUR Au moment de l’assaut, ne dîtes-vous pas à vos gens que vous recevriez seule les flèches, viretons, pierres lancées par les canons et machines? JEANNE : Non ; en preuve il y eut plus de cent blessés; mais je dis bien à mes gens : N’ayez doute, vous lèverez le siège. [L’INTERROGATEUR: Fûtes-vous blessée?] JEANNE: A l’assaut de la bastille du Pont, je fus blessée d’une flèche ou vireton au cou. Mais j’eus grand confort de sainte Catherine et fus guérie en quinze jours. D’ailleurs pour cela je ne laissai de chevaucher et besogner. L’INTERROGATEUR: Saviez-vous que vous seriez blessée? JEANNE: Je le savais bien et l’avais dit à mon roi ; mais que, nonobstant ce, il me laissât agir. Cela m’avait été révélé par les voix des deux saintes, savoir sainte Catherine et sainte Marguerite. [L’INTERROGATEUR Dans quel moment fûtes-vous blessée?] JEANNE: C’est moi qui la première hissai une échelle à la bastille du Pont; c’est en levant l’échelle que je fus touchée au cou par ce vireton. L’INTERROGATEUR : Pourquoi n’admîtes-vous point à traiter le capitaine de Gergeau? JEANNE : Les seigneurs de mon parti répondirent aux Anglais qu’ils n’auraient pas le délai de quinze jours demandé par eux, mais qu’ils se retirassent sur l’heure, eux et leurs chevaux. [L’INTERROGATEUR: Et vous, que dîtes-vous?] JEANNE: Moi, je dis qu’ils se retireraient de Gergeau avec leurs petites cottes, la vie sauve, s’ils voulaient, sinon ils seraient pris d’assaut. L’INTERROGATEUR: Communiquâtes-vous alors avec votre voix sur ce délai? JEANNE: Il ne m’en souvient pas. [La séance est levée et remise au jeudi suivant.]
1.13. DOUZIÈME SÉANCE DU PROCÈS
JEUDI 1er MARS
Cinquième interrogatoire public.
[Séance au même lieu; 58 assesseurs.]
CAUCHON : Jeanne, nous vous sommons et requérons de prêter simplement et absolument le serment de dire la vérité sur ce qui vous sera demandé. JEANNE : Je suis prête à jurer de dire la vérité sur tout ce que je saurai touchant le procès, ainsi que je vous l’ai dit antérieurement. CAUCHON : Pourquoi cette réserve? JEANNE: Je sais beaucoup de choses qui ne touchent pas le procès, et il n’est pas besoin de vousles dire. CAUCHON: Allez-y sans cette réserve. JEANNE: De tout ce que je saurai véritablement et qui touche le procès, je vous en parlerai volontiers. CAUCHON: Nous vous sommons et requérons de jurer sans cette réserve. JEANNE: Ce que je saurai de vrai touchant le procès, je le dirai. CAUCHON : Jurez sur l’Évangile. JEANNE : De ce que je sais touchant ce procès, je vous dirai volontiers la vérité. Je vous en dirai autant que si j’étais devant le pape de Rome. L’INTERROGATEUR Que dites-vous touchant notre seigneur le pape et qui croyez-vous vrai pape? JEANNE: Il y en a donc deux? L’INTERROGATEUR: N’avez-vous pas reçu une lettre du comte d’Armagnac vous demandant auquel des trois papes il devait obéir? JEANNE: Le comte m’a bien écrit à ce sujet. Je répondis entre autres choses que quand je serais à Paris ou ailleurs, en repos, je lui écrirais. Je me disposais à monter à cheval quand je répondis ainsi au comte. L’INTERROGATEUR : Voici une copie de la lettre du comte et de votre réponse. On va vous lire l’une et l’autre.
L’INTERROGATEUR : La copie qui vient de vous être lue renferme-t-elle bien votre réponse? JEANNE : Je puis avoir fait cette réponse en partie, non le tout. L’INTERROGATEUR : Avez-vous déclaré savoir par le conseil du Roi des rois ce que ledit comte devait faire en cette circonstance? JEANNE : Je n’en sais rien. L’INTERROGATEUR : Faisiez-vous doute à qui le comte devait obéir.? JEANNE : Je ne savais que mander au comte, parce qu’il me requérait de lui faire savoir à qui Dieu voulait qu’il obéît. Quant à moi, je tiens et crois que nous devons obéir à notre seigneur le pape qui est à Rome. L’INTERROGATEUR: Est-ce là tout? JEANNE : Je dis au messager du comte autre chose pie ce qui est contenu dans cette copie des lettres. Si cet envoyé ne se fût pas retiré aussitôt, il eût été jeté à l’eau, non toutefois par ma volonté. L’INTERROGATEUR : Sur le fond de la question, que répondîtes-vous? JEANNE: Sur la question d’obédience, je répondis que je ne savais pas ; mais je lui mandai plusieurs choses qui ne furent point couchées par écrit. Pour moi, je crois au seigneur pape qui est à Rome. L’INTERROGATEUR: Pourquoi avez-vous écrit que vous donneriez à un autre moment réponse sur la question, puisque vous croyez au pape qui est à Rome? JEANNE : Ma réponse avait trait à autre chose qu’au fait des trois souverains pontifes. L’INTERROGATEUR : N’avez-vous pas dit que sur le fait des trois pontifes vous auriez conseil?
JEANNE: En nom Dieu,je n'ai jamais écrit Dirait écrire sur le fait des trois pontifes. L’INTERROGATEUR: A viez-vous l 'habitude de mettre en tête de vos lettres Jhesus Maria avec une croix ? JEANNE: Sur aucunes oui, sur d'autres non. Quelque- fois je mettais une croix afin que mon correspondant ne fît pas ce que je lui mandais . L'INTERROGATEUR: Voici maintenant en quels termes vous avez écrit au roi notre sire, au duc de Bedfort et à d'autres. [Nous avons donné cette lettre dans la déposition de l'écuyer Gobert Thibault.] L'INTERROGATEUR : Reconnaissez-vous cette lettre ? JEANNE: Oui, sauf trois mots. Au lieu de: rendez à la Pucelle, il faut: rendez au roi. Les mots chef de guerre et corps pour corps n'étaient pas dans la lettre que j'ai envoyée. L'INTERROGATEUR: N'est-ce pas un seigneur qui vous a dicté cette lettre? JEANNE: Aucun seigneur ne m'a oncques dicté cette lettre, c'est moi qui l'ai dictée. Avant de l'expédier, il est vrai que je l'ai montrée à quelques-uns de mon parti. L'INTERROGATEUR : Croyez-vous qu'il arrivera mal aux Anglais ? JEANNE: Avant qu'il soit sept ans les Anglais perdront un plus grand gage qu'ils ne firent devant Orléans. Ils perdront toute la France, et cela par la victoire que Dieu enverra aux Français. L'INTERROGATEUR : Comment savez-vous cela ? JEANNE: Je le sais bien par révélation; cela arrivera avant sept ans, et je serais bien navrée que cela fût seulement différé.
L'INTERROGATEUR : Vous ne pouvez savoir telle chose. JEANNE: Je le sais par révélation, aussi sûrement que je vous sais là devant moi. L'INTERROGATEUR : Quand cela arrivera-t-il ? JEANNE: Je ne sais le jour, ni l'heure. L'INTERROGATEUR : En quelle année ? JEANNE: Vous ne l'aurez pas encore; mais je voudrais bien que ce fût avant la Saint-Jean. L'INTERROGATEUR .: N'avez-vous pas dit que cela arrivera avant la Saint-Martin d'hiver ? JEANNE: J'ai dit qu'avant la Saint-Martin d'hiver, on verrait bien des choses; et il pourra bien se faire qu'on voie les Anglais jetés bas. L'INTERROGATEUR: Qu'avez-vous dit à John Grey, votre gardien, au sujet de la Saint-Martin ? JEANNE: Je vous l'ai dit. L'INTERROGATEUR : Par qui savez-vous que cela doit arriver ? JEANNE: Par sainte Catherine et sainte Marguerite. L'INTERROGATEUR: Saint Gabriel était-il avec saint Michel quand il vint à vous ? JEANNE: Je ne m'en souviens pas. L'INTERROGATEUR: Depuis mardi dernier avez-vous conversé avec sainte Catherine et sainte Marguerite ? JEANNE: Oui, mais je ne sais l'heure. L'INTERROGATEUR: Quel jour? JEANNE: Hier et aujourd'hui. Il n'y a pas de jours que je ne les entende. L'INTERROGATEUR : Les voyez-vous toujours dans le même vêtement ? . JEANNE: Je les vois toujours sous la même forme; et leurs têtes sont couronnées très. richement.
L'INTERROGATEUR : Et le reste de leurs costumes ? Leurs robes? JEANNE: Je ne sais. L'INTERROGATEUR: Comment savez-vous que ce qui vous apparaît est homme ou femme ? JEANNE: Je le sais bien. Je le reconnais à leurs voix et parce qu'elles me l'ont révélé. Je ne sais rien que par révélation et par ordre de Dieu . L'INTERROGATEUR : Quelle figure voyez-vous ? JEANNE: La face. L’INTERROGATEUR : Ont-elles d'es cheveux ? JEANNE: Il est bon à savoir qu'elles en ont. L'INTERROGATEUR : y a-t-il quelque chose entre leurs couronnes et leurs cheveux ? JEANNE: Non. L'INTERROGATEUR: Leurs cheveux sont-ils longs et pendants? JEANNE: Je ne sais. L'INTERROGATEUR: Ont-elles des bras ? JEANNE: Je ne sais si elles ont des bras ou d'autres membres. L'INTERROGATEUR: Vous parlent-elles ? JEANNE: Leur langage est bon et beau, je les entends très bien. L'INTERROGATEUR: Comment parlent-elles, puisqu'elles n'ont pas de membres ? JEANNE: Je m'en réfère à Dieu. L'INTERROGATEUR : Quelle espèce de voix est-ce ? JEANNE: Cette voix est belle et douce et humble, et elle parle français. L'INTERROGATEUR : Sainte Marguerite ne parle donc pas anglais ?
JEANNE: Comment parlerait-elle anglais, puisqu'elle n'est pas du parti des Anglais ? L'INTERROGATEUR: Sur leurs têtes couronnées, comme vous l'avez dit, vos saintes ont-elles des anneaux aux oreilles ? JEANNE: Je n'en sais rien. L'INTERROGATEUR: Avez-vous vous-même des anneaux ? JEANNE (s'adressant à Cauchon) : Vous, évêque, vous en avez un à moi, rendez-le-moi. L'INTERROGATEUR: N'aviez-vous pas d'autre anneau ? JEANNE: Les Bourguignons m'en ont un autre. Mais vous, évêque, montrez-moi le susdit anneau, si vous l'avez. L’INTERROGATEUR: Qui vous a donné l'anneau qu'ont les Bourguignons ? JEANNE: Mon père ou ma mère. L'INTERROGATEUR : y avait-il aucun nom dessus ? JEANNE: Il me semble que les noms Jhesus Maria y étaient écrits. Je ne sais qui les y fit écrire. Je crois qu'il n'y avait pas de pierre à cet anneau qui me fut donné à Domrémy. L'INTERROGATEUR: Qui vous a donné l'autre anneau ? JEANNE: Mon frère me Pa donné. Vous l'avez présentement. Je vous charge, évêque, de le donner à l'Eglise. L'INTERROGATEUR: avez-vous gueri personne avec l'un ou l'autre de vos anneaux ? JEANNE: Oncques je n'ai fait de guérison avec aucun de mes anneaux, L'INTERROGATEUR : Sainte Catherine et sainte Marguerite n'ont-elles pas conversé avec vous sous l'arbre dont il a déjà été fait mention ? JEANNE: Je n'en sais rien.
L’INTERROGATEUR : Les saintes vous ont-elles parlé à la fontaine proche de l’arbre? JEANNE: Oui, je les y ai entendues; mais je ne me rappelle pas ce qu’elles m’y ont dit. L’INTERROGATEUR : Que vous ont-elles promis là ou ailleurs ? JEANNE: Elles ne m’ont fait aucune promesse, sinon par congé de Dieu. L’INTERROGATEUR : Quelles promesses vous ont-elles faites? JEANNE: Cela n’est pas de votre procès. Sur certaines choses elles m’ont dit que mon roi sera rétabli dans son royaume, le veuillent ou non ses adversaires. L’INTERROGATEUR: Ne vous ont-elles pas fait d’autre promesse? JEANNE: Elles m’ont promis de me conduire en paradis et je les en ai bien requises. L’INTERROGATEUR: N’avez-vous pas d’autre promesse? JEANNE: Oui, une autre, mais je nela dirai pas. Elle ne touche pas au procès. L’INTERROGATEUR: Dites-la tout de même. JEANNE: Avant trois moisie vous la dirai. L’INTERROGATEUR : Vos voix vous ont-elles dit qu’avant trois mois vous seriez délivrée de prison? JEANNE: Cela n’est pas de votre procès. Cependant j’ignore quand je serai délivrée. Ceux qui voudraient m’ôter de ce monde pourraient bien s’en aller devant moi. L’INTERROGATEUR : Votre conseil vous a-t-il dit que vous seriez délivrée de la prison où vous êtes présentement? JEANNE : Reparlez-m’en dans trois mois, je vous répondrai.
L’INTERROGATEUR: Répondez donc tout de suite. JEANNE: Demandez aux assistants, sous leur serment, si cela touche au procès. Là-dessus délibération des assistants qui opinent tous que cela est du procès. L’INTERROGATEUR: Vous voyez bien. Répondez donc. JEANNE: Je vous ai toujours bien dit que vous ne sauriez pas tout. Il faudra qu’un jour je sois délivrée. Je veux avoir congé pour le dire. Ainsi je demande un délai. L’INTERROGATEUR: Les voix vous ont-elles défendu de dire la vérité? JEANNE: Voulez-vous que je vous dise ce qui regarde le roi de France? Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas du procès. L’INTERROGATEUR: Mais que savez-vous donc touchant votre roi? JEANNE: Je sais que mon roi gagnera le royaume de France ; je le sais aussi bien que je sais que vous êtes là devant moi, siégeant au tribunal. Je serais morte, n’était cette révélation qui me conforte chaque jour. L’INTERROGATEUR : Qu’avez-vous fait de votre mandragore? JEANNE: Je n’ai, ni oncques n’eus de mandragore. J’ai bien oui dire qu’il y en a une près de mon village, mais je n’en ai oncques vu. L’INTERROGATEUR: Vous savez pourtant ce que c’est? JEANNE: J’ai oui dire que c’est une chose dangereuse et mauvaise à garder. Je ne sais d’ailleurs à quoi cela sert, L’INTERROGATEUR: En quel lieu est cette mandragore dont vous avez ouï parler? JEANNE: J’ai oui dire qu’elle est en terre près de l’arbre des fées. J’ignore le lieu; j’ai aussi oui dire qu’au-dessus de cette mandragore il y a un coudrier.
L’INTERROGATEUR: A quoi avez-vous ouï dire que sert cette mandragore? JEANNE: A faire venir de l’argent, mais je n’en crois mie. L’INTERROGATEUR: Vos voix vous ont-elles parlé de cela ?. JEANNE: Mes voix ne m’ont jamais rien dit là-dessus. L’INTERROGATEUR: Quelle figure avait saint Michel quand il vous apparut? JEANNE : Je ne lui ai pas vu de couronne et de ses vêtements je ne sais rien. L’INTERROGATEUR: Etait-il nu? JEANNE: Pensez-vous que Dieu n’ait pas de quoi le vêtir? L’INTERROGATEUR: Avait-il des cheveux? JEANNE : Pourquoi les lui aurait-on coupés? L’INTERROGATEUR: Y a-t-il longtemps que vous n’avez vu saint Michel? JEANNE: Je n’ai pas vu saint Michel depuis que j’ai quitté le château à Crotoy 1. Je ne le vois pas bien souvent. L’INTERROGATEUR : A-t-il des cheveux? JEANNE: Je ne sais. L’INTERROGATEUR: Avait-il une balance? JEANNE: Je ne sais. L’INTERROGATEUR: Quel effet produit sa vue? JEANNE : J’ai grande joie en le voyant; et il me semble que quand je le vois, je ne suis pas en péché mortel. L’INTERROGATEUR : Vos voix vous ordonnent-elles de vous confesser?
1. Vers le 21 novembre 1430
JEANNE: Sainte Catherine et sainte Marguerite me font volontiers me confesser quelquefois, tantôt l’une, tantôt l’autre. L’INTERROGATEUR : Vous croyez-vous exempte de péché mortel? JEANNE: Si je suis en péché mortel, c’est sans le savoir. L’INTERROGATEUR: Quand vous vous confessez, ne croyez-vous pas être en péché mortel? JEANNE: Je ne sais si j’ai été en péché mortel. Je ne crois pas en avoir fait les oeuvres. A Dieu ne plaise que j’aie jamais été en tel état ! A Dieu ne plaise que je fasse ou aie fait oeuvre qui charge mon âme! L’INTERROGATEUR: Quel signe avez-vous donné à votre roi que vous veniez de la part de Dieu? JEANNE: Je vous ai toujours répondu que vous ne me l’arracherez pas de la bouche. Allez-le-lui demander. L’INTERROGATEUR: Avez-vous juré de fie pas révéler ce qui vous sera demandé touchant le procès? JEANNE : Je vous ai déjà dit que je ne vous dirai pas ce qui touchera le fait de notre roi. De tout ce qui le regarde je n’en parlerai pas. L’INTERROGATEUR: Ne savez-vous pas le signe que vous avez donné à votre roi? JEANNE: Vous ne le saurez pas de moi, L’ENTERROGATEUR: Mais cela touche le procès. JEANNE : De ce que j’ai promis de bien tenir secret je ne dirai rien. L’INTERROGATEUR: Pourquoi? JEANNE: Je l’ai promis en tel lieu que je ne pourrais vous le dire sans parjure. L’INTERROGATEUR : A qui l’avez-vous promis? JEANNE : A sainte Catherine, à sainte Marguerite, et cela a été montré au roi. L’INTERROGATEUR : Les saintes vous avaient-elles requise de faire cette promesse ? JEANNE: J’ai fait ma promesse aux deux saintes sans qu’elles m’en requièrent, uniquement de moi-même. Trop de gens me l’auraient demandé si je n’eusse fait cette promesse à mes saintes. L’INTERROGATEUR : Quand vous montrâtes le signe au roi, y avait-il quelqu’un avec lui? JEANNE: Je ne pense pas qu’il y eut personne autre, bien qu’il se trouvât beaucoup de monde assez près. L’INTERROGATEUR : Avez-vous vu une couronne sur la tête du roi quand vous lui avez montré ce signe? JEANNE: Je ne puis le dire sans parjure. L’INTERROGATEUR: Votre roi avait-il une couronne à Reims? JEANNE: Mon roi, je pense, a pris avec joie la couronne qu’il a trouvée à Reims. Mais une bien riche couronne lui fut apportée par la suite. Il ne l’a point attendue, pour hâter son fait, à la requête de ceux de la ville de Reims, afin d’éviter la charge des hommes de guerre. S’il eût attendu, il aurait eu une couronne mille fois plus riche. L’INTERROGATEUR: Avez-vous vu cette couronne plus riche? JEANNE: Je ne puis vous le dire sans parjure, et si je ne l’ai pas vue, je sais par ouï dire à quel point elle est riche et somptueuse. La séance est levée.
Sixième interrogatoire secret.
MERCREDI 14 MARS 1431, APRÈS MIDI.
[Dans la prison, l’évêque absent.] Interroguée se il est besoing de se confesser, puisqu’elle croist à larelacion de ses voix qu’elle sera sauvée, R. Qu’elie ne sçait point qu’elle ait péchié mortellement; mais s’elle estoit en péchié mortel, elle pense que saincte Katherine et saincte Marguerite la délesseroient tantost. Et croist, en respondant à l’article précédent: on ne sçait trop nectoyer la conscience. Interroguée se, depuis qu’elle est en ceste prison, a point regnoye (renié) ou malgréé Dieu, R. Que non et que aucunes fois, quant elle dit: « Bon gré Dieu » ou « saint Jehan » ou « Nostre-Dame », ceulx qui peuvent avoir rapporté, ont mal actendu (entendu). Interroguée se de prendre ung homme à rançon, et le faire mourir prisonnier, ce n’est point péchié mortel, R. Qu’elle ne l’a point fait. Et pour ce que on lui parlait d’un nommé Franquet d’Arras, qu’on fit mourir à Laigny, R. Qu’elle fut consentante de luy de le faire mourir, se il l’avait deservi (mérité), pour ce qu’il confessa estre murdrier, larron et traictre. Et dit que son procès dura quinze jours, et en fut juge le baillif de Senlis, et ceulx de la justice de Laigny. Et dit qu’elle requérait avoir Franquet pour ung homme de Paris, seigneur de l’Ours 1 ; et quant elle sceut que le seigneur fut mort, et que le baillif luy dist qu’elle voulait faire grant tort à la justice, de délivrer celui Franquet, lors dit-elle au baillif : « Puisque mon homme est mort, que je vouloye avoir, faictes de icelluy ce que debvroyés (devriez) faire par justice. » Interroguée s’elle bailla l’argent ou fit bailler pour celuy qui avait prins ledit Franquet, R. Qu’elle n’est pas monnayer ou trésorier de France, pour bailler argent. Et quant on lui a ramentue (rappellé) qu’elle avait assailli Paris ajour de feste; qu’elle avait eu le cheval de monseigneur (l’évêque) de Senlis, qu’elle s’estoit laissée cheoir de la tour de Beaurevair; qu’elle parte habit d’homme; qu’elle estoit consentante de la mort de Franquet d’Arras, s’elle cuide point avoir péchié mortel,
1. Elle dit qu’elle demandait à échanger Franquet contre un Parisien, maître de l’hôtel à l’enseigne de l’Ours (rue Saint-Antoine).
R. Au premier, de Paris : « Je n’en cuide point estre en péchié mortel, et se je l’ay fait, c’est à Dieu d’en congnoistre, et en confession à Dieu et au presbtre. » Au second, du cheval de Senliz R. Qu’elle croist fermement qu’elle n’en a point de péchié mortel envers nostre sire, pour ce qu’il [le cheval] se estime à deux cents salus d’or, dont il en oult assignacion; et toutes voies il fut renvoyé au seigneur de la Tremoulle pour le rendre à monseigneur de Senliz; et ne valait rien le dit cheval à chevaucher pour elle. Et si dit qu’elle ne le asta pas de l’évesque; et si dist aussi qu’elle n’estait point contente, d’autre part, de le retenir, pour ce qu’elle ayt que l’evesque en estoit mal content que on avait prins son cheval et aussi pour ce qu’il en valait rien pour gens d’armes. Et en conclusian, s’il fut paié de l’assignacion qui luy fust faicte, ne sçait, ne aussi s’il eust restitucion de son cheval, et pense que non. Au tiers [point], de la tour de Beaurevoir, R. « Je le faisoye non pas en espérance de moy désespérer (suicider), mais en espérance de sauver mon corps, et de aler secourir plusieurs bonnes gens qui estoient en nécessité ». Et après le sault s’en est confessée, et en a requis mercy Notre-Seigneur, en a pardon de Nostre-Seigneur. Et croist que ce n’estoit pas bien fait de faire ce sault; mais fust mal fait, Item dit qu’elle sçait qu’elle en a pardon par la relacion de saincte Katherine après qu’elle en fut confessée; et que, du conseil de saincte Katherine, elle s’en confessa. Interroguée s’elle en ault grant pénitence, R. Qu’elle en porta une grant partie, du niai qu’elle se fist en chéant, Interroguée se, ce mal fait qu’elle fist de saillir, s’elle croist que ce fust péchié mortel, R. « Je n’en sçay rien, mais m’en actend à Nostre-Seigneur. » Au quart [point], elle porte abit d’homme, R. « Puis que je fais par le commandement de nastre Sire, et en san service, je ne cuide point mal faire ; et quant il lui plaira à commander, il sera tantoust mis jus (je le déposerai).
Septième interrogatoire secret.
JEUDI 15 MARS 1431.
[Dans la prison, en présence de l’évêque.] Après les monicions faictes à elle, et réquisicions que, s’elle a fait quelque chose qui soit contre nostre foy,. qu’elle s’en doit rapporter à la determinacion de l’Église, R. Que ces responses soient veues et examinées par les clercs; et puisque on luy die s’il a quelque chose qui sait contre la foy chrestienne, elle sçara bien à dire par son conseil qu’il en sera, et puis en dira ce que en aura trouvé par son conseil. Et toutes voies, s’il y a rien de mal contre la foy chrestienne que nostre Sire [Dieu] a commandée, elle ne vouldroit [le] soutenir, et serait bien courroucée d’aler encontre, Item luy fut déclairé l’Église triomphant et l’Église militant, que c’estoit de l’un [et] de l’autre. Item requist que de présent elle se meist en la déterminacion de l’Église de ce qu’elle a fait ou dit, soit bien ou mal, R. « Je ne vous en respondray autre chose pour le présent. » La dite Jehanne fut requise et Interroguée sous serment,, et d’abord qu’elle dist la manière comme elle cuida eschaper du chastel de Beaulieu, entre deux pièces de boys, R. Qu’elle ne fut oncques prisonnière en lieu qu’elle ne se eschappast voulentiers; et elle estant en icelluy chastel, eust canfermé (enfermé) ses gardes dedans la tour, n’eust été le portier qui la advisa et la rencontra. Item dit, ad ce que il luy semble, qu’il ne plaisait pas à Dieu qu’elle eschappast, pour celle fois, et qu’il falloit qu’elle veist le ray des Angloys, comme ses voix lui avaient dit, et comme dessus [est] escript. Interroguée s’elle a congié de Dieu ou de ses voix de partir de prison toutes les fois qu’il plaira à elle, R. « Je l’ay demandé plusieurs fois, mais je ne l’ay pas encore. »
Interroguée se de présent elle partirait, s’elle véoit son point de partir, R. S’elle véoit l’uis ouvert, elle s’en irait, et se luy seroit le congié de Nostre-Seigneur. Et croist fermement, s’elle véoitl’uys ouvert, et ses gardes et les autres Angloys n’y sceussent résister, elle entendrait que ce serait le congié, et que Nostre Seigneur lui envoyeroit secours; mais sans congié ne s’en irait pas, se ce n’estoit s’elle faisoit une entreprise pour s’en aler, pour sçavoir si nostre Sire (Dieu) en serait content. Elle allègue : « Aide-toy, Dieu te aidera », et le dit pour ce que, selle s’en aloit, que on ne deist pas qu’elle s’en fust allée sans congié. Interroguée, puis qu’elle demande à oïr messe, que il semble que ce serait le plus honneste qu’elle fust en abit de femme; et pour ce fut interroguée lequel elle aymeroit [mieulx], prendre abit d’homme et non oyr messe, R. Certiffiés-moy de oïr messe, si je suys en habit de femme; et sur ce je vous respondray.
A quoy luy fut dit par l’interrogant: « Et je vous certiffie que vous arrez (entendrez) messe, mais [à conditioni que sayés en abit de femme ». R. « Et que dictes-vous, se je ay juré et promis à nastre roy non maictre jus cest abit. Toutes voies je vous respond : Faictes-moy une robe langue jusques à terre, sans queue, et me la baillez à aller à la messe, et puis au retour, je repandroy l’abit que j’ay ». Et interroguée de prendre du tout l’abit de femme pour aler ouyr messe, respond : « Je me conseilleray sur ce, e puis vous respondray ». Et oultre requist, en l’honneur de Dieu et Notre-Dame, qu’elle puisse ouyr messe en ceste bonne ville. Et ad ce luy fut dit qu’elle prenge abit de femme simplement et absolument. Et elle répond : « Baillez-moy abit comme une fille de bourgoys, c’est assavoir houppelande longue, et je le prendray, et mesme le chaperon de femme pour aler auyr messe ». Et aussi le plus instamment qu’elle peust, requiert que on luy lesse cet habit qu’elle porte et que on la laisse ouyr messe sans le changier. Interroguée se de ce qu’elle a dit et faict, elle veult [se] submeictre et supporter en la déterminacion de l’Eglise, respond : « Toutes mes oeuvres et mes fais sont tous en la main de Dieu, et m’en actend à luy, et vous certifie que je ne vouldroie rien faire ou dire contre la foy chrétienne; et se je avaye rien fait ou dit qui fust sur le corps de moy, que les clers sceussent dire que ce fust contre la foy chrestienne que nostre Sire ait establie, je ne [le] vouldroie soutenir, mais le bouteroye hors (je le désavouerais).
Interroguée s’elle s’en vouldroit point submectre ou (à) l’ordonnance de l’Eglise, R. « Je ne vous en respandray maintenant autre chose; mais samedi envoyésmay le clerc, se n’y voulés venir, et je luy respandray de ce à l’aide de Dieu, et sera mis en escript ». Interroguée se, quant ses voix viennent, s’elle leur fait révérence absoluement comme à ung sainct ou saincte, R. Que ouil. Et s’elle ne l’a fait aucunes fois, leur en a crié mercy et pardon depuis. Et ne leur sçait faire si grande révérence comme à elles appartient; car elle croist fermement que ce soient saincte Katherine et Marguerite. Et semblablement dit de saint Michel. Interroguée pour ce que ès saincts de paradis on fait volontiers oblacion de chandelles, etc., se à ces saincts ou sainctes qui viennent à elle, elle a point fait oblacion de chandelles ardans ou d’autres choses, à l’église ou ailleurs, ou fait dire des messes, R. Que non, se ce n’est en offrant à la messe en la main du presbtre, et en l’onneur de saincte Katherine; et croist que c’est l’une de celles qui se apparust à elle; et n’en a point tant alumé comme elle ferait volontiers à saincte Katherine et Marguerite qui sont au paradis, qu’elle croist fermement que ce sont celles qui viennent à elle.
Interroguée se quant elle meictre ces chandelles devant l’ymaige de saincte Katherine, elle les meict, ces chandelles, en l’honneur de celle qui se apparut à elle, R. « Je le fais en l’onneur de Dieu, de Notre-Dame et de saincte Katherine, qui est au ciel; et ne fais point de différence de saincte Katherine qui est au ciel et decelle qui se apport (apparaît) à moy. » Interroguée s’eIle le meict en l’onneur de celle qui se apparut à elle, R. Que ouil, car elle ne meict point de différence entre celle qui se apparut à elle et celle qui est au ciel.
Interroguée s’elle fait et accomplist toujours ce que ses voix lui commandent, R. Que de tout son devoir elle accomplit le commandement de Nostre-Seigneur à elle ‘fait par ses voix, de ce qu’elle en sçait entendre; et ne luy commandent rien, sans le bon plaisir de NostreSeigneur.
Interroguée se en fait de la guerre elle a rien [fait], sans le congié de ses voix, R, « Vous en estes tous respondus [vous en avez la réponse]. Et usés bien votre livre (le procès) et vous le trouverés ». Et toutes voies dit que à la requeste des gens d’armes fut fait une vaillance d’armes devant Paris, et aussi nia devant La Charité à la requeste de son roy; et ne fut contre ne par le commandement de ses voix.
Interroguée se elle fist oncques aucunes choses contre leur commandement et volonté, R. Que ce qu’elle a peu et sceu faire, elle l’a fait et accomply à son pavoir; et quant est du sault du don[j]on de Beaurevoir, qu’elle fist contre leur commandement, elle ne s’en peust tenir; et quant elles veirent sa nécessité, et qu’elle ne s’en scavoit et pavait tenir, elles luy secourirent sa vie et la gardèrent de se tuer. Et dit oultre que, quelque chose qu’elle prist oneques en ses grans affaires, elles l’ont toujours secourue; et ce est signe que ce soient bans esperis.
Interroguée s’elle a point d’autre signe que ce soient bons esperis, R. « Saint Michel le me certifia avant que les voix me venissent ». Interroguée comme elle congneust que c’estoit saint Michiel, R. « Par le parler et le langage des angles (anges) n; et le croist fermement que l’estoient angles (anges).
Interroguée comme elle congneust que c’estoit langaige d’angles (anges), R. Que elle le creust assés tôt, et en .ceste volenté de le croire. Et dit en oultre que saint Michiel, quand il vint à elle, luy dist que sainctes Kathenue et Marguerite vendroient (viendraient) à elle, et qu’elle feist par leur conseil, et estoient ordonnées pour la conduire et conseiller en ce qu’elle avoit à faire ; et qu’elle le creust de ce qu’elles luy diraient, et que c’estoit par le commandement de Notre-Seigneur.
Interroguée de l’Annemy (le diable) se mectoit en fourme ou signe d’angle (ange), camme[nt] elle cougnoistroit que ce fust bon angle ou mauvais angle (ange), R. Qu’elle congnoistroit bien se ce seroit saint Michel, ou une chose contrefaicte comme luy (d’après lui). Item respant que à la première fais elle fist grant doubte se c’estoit saint Michiel, et à la première fois oult grand paour; et si le vist maintes fois, avant qu’elle sceut que ce fust saint Michiel.
Interroguée pourquoy elle congneust plus tost que c’estoit saint Michiel à la fois que elle creust que c’estoitil, que à la fois première, R. Que à la première fois elle estoit jeune enfant, et oult paour de ce; depuis lui enseigna et monstra tant, qu’elle creust fermement que c’estoit-il,
Interroguée quelle doctrine, il luy enseigna, R. « Sur toutes choses il luy disait qu’elle fust bonne enfant, et que Dieu luy aiderait; et entre les autres choses qu’elle venist au secours du roy de France. Et une plus grande partie de ce que l’angle (ange) lui enseigna est en ce livre (proces); et luy raconta l’ange la pitié qui estoit en royaume de France. » Interroguée de la grandeur et stature de celluy angle (ange), dit que samedi elle en respondra avec l’autre chose dont elle doit respondre, c’est assavoir ce qu’il en plaira à Dieu. Interroguée s’elle croist point grant péchié de courroucer saincte Katherine et saincte Marguerite qui se apparent (apparaissent) à elle, et de faire (agir) contre leur commandement: dit que ouil, qui le sçait [avoir fait doit s’] amender et que le plus qu’elle les courrouçast oncques, à son advis, ce fut du sault de Beaurevair et dont elle leur a crié mercy, et [aussi] des autres offenses qu’elle peust avoir faictes envers elle[s]. Interroguée se saincte Katherine et saincte Marguerite prendraient vengence corporelle pour l’offence, R. Qu’elle ne sçait et qu’elle ne leur a point demandé. Interroguée, pour ce qu’elle a dit que, pour dire vérité, aucunes fois l’an est pendu; et pour ce, s’elle [se] sçait en elle quelque crime ou faulte, pour quoy elle peust au deust mourir, s’elle le confesserait, R. Que non.
Huitième interrogatoire secret.
SAMEDI 17 MARS.
[Dans la prison.] Interroguée sous serment de donner response en quelle fourme et espèce, grandeur et habit, vient saint Michiel, R. « Il estoit en la fourme d’un très vray preudomme »; et de l’abit et d’autres choses, elle n’en dira plus autre chose. Quant aux angles (anges), elle les a veus de ses yeux, et n’en aura-t-on plus autre chose d’elle.
Item dit qu’elle croist aussi fermement les ditz et les fais de saint Michiel, qui s’est apparu à elle, comme ellecroist que Nostre-Seigneur Jeshu-Crist souffrit mort et passion pour nous, et ce qui la meust à le croire, c’est le bon conseil, confort et bonne doctrine qu’il luy a fais et donnés.
Interroguée s’elle se veult [sou]maictre de tous ses diz et fais, soit de bien ou mal, à la déterminacion de nostre mère saincte Eglise, R. Que quant à l’Eglise, et l’aime et la vouidroit soustenir de tout son povoir pour nostre foy chrestienne, et n’est pas elle que on doive destourber ou empescher d’aler à l’église ne de ouyr messe. Quant aux bonnes oeuvres qu’elle a faictes et de son advènement, il faut qu’elle s’en actende au Roy du ciel, qui l’a envoyée à Charles, filz de Charles, roy de France, qui sera roy de France; « et verrés que les Françays gaigneront bien tast une grande besoigne que Dieu envoyeroit aux Français; et tant que il branlera presque tout le royaume de France ». Et dit qu’elle le dit afin que, quant ce sera advenu, que on ait mémoire qu’elle l’a dit. Et requise de dire le terme, dit : « Je m’en actend à Nostre-Seigneur ».
Interroguée de dire s’elle se rapportera à la déterminacion de l’Eglise, R. « Je m’en rapporte à Nostre-Seigneur, qui m’a envayée, à Notre-Dame et à tous les benoits saincts et sainctes du paradis n. Et luy est advis que c’est tout ung de Nostre-Seigneur et de l’Eglise, et que on n’en doit point faire de difficulté, en demandant pour quoy on fait difficulté que ce ne sait tout ung. Adonc luy fut dit que il y a l’Eglise triomphant, où est Dieu, les saincts, les angles (anges) et les âmes saulvées. L’Eglise militant, c’est nostre saint Père le Pape, vicaire de Dieu en terre, les cardinaulx, les prélas de l’Eglise et clergiè, et tous bons chrestiens et catholiques; laquelle Eglise bien assemblée ne peut errer, et est gouvernée du saint Esprit. Et pour ce, Interroguée s’elle se veult raporter à l’Eglise militant, c’est assavoir c’est celle qui est ainsi déclairée, R. Qu’elle est venue au roy de France de par Dieu, de par la vierge Marie et tous les benoitz sains et sainctes du paradis, et l’Eglise victorieuse de là hault, et de leur commandement; et à celle Eglise là elle submeict tous ses bons fais, et tout ce qu’elle a fait au à faire. Et de respondre s’elle se submeictra à l’Eglise militant, dit qu’elle n’en respondra maintenant autre chose.
Interroguée qu’elle dit à cel habit de femme que on luy offre, affin qu’elle puisse nier oyr messe, R. Quant à l’abit de femme, elle ne le prendra pas encore, tant qu’il plaira à Nostre Seigneur. Et se ainsi est qu’il la faille mener jusques en jugement, qu’il la faille desvestir en jugement, elle requiert aux seigneurs de l’Eglise, qu’ils luy donnent la grâce de avoir une chemise de femme et un queuvrechief en sa teste ; qu’elle ayme mieulx mourir que de révoquer ce que Nostre Seigneur luy a fait faire, et qu’elle croist ferméement que Nostre Seigneur ne laira (laissera) à advenir de la meictre si bas, par chose, qu’elle n’ait secours bien tost de Dieu et par miracle. Interroguée, pour ce qu’elle dit qu’elle porte habit d’omme par le commandement de Dieu, pourquoy elle demande chemise de femme en article de mort, R. Il luy suffist qu’elle soit langue.
Interroguée se sa marraine qui a veu les fées, s’elle est réputée saige femme 1, R. Qu’elle est tenue et ré putée bonne prude femme, non pas devine ou sorcière. 1. Femme instruite.
Interroguée, pour ce qu’elle a dit qu’elle prendrait abit de femme, mais que on la laissast aler, se ce plairait à Dieu, R. Se on luy donnait congié en abit de femme, elle se meictrait tantoust en abit d’omme, et ferait ce qui luy est commandé par Notre Seigneur; et l’a autresfois ainsi respondu, et ne ferait pour rien le sèrement qu’elle ne se armast et meist en abit d’omme, pour faire le plaisir de Nostre-Seigneur.
Interroguée de l’aage et des vestemens de sainctes Katerine et Marguerite, R. « Vous estes respondus de ce que vous en aurez de moi; et n’en airés [aurez) aultre chose; et vous en ay respondu tout au plus certain que je sçay n.
Interroguée s’elle croit point au devant de aujourd’huy que les fées feussent maulvais esperis, R. Qu’elle n’en sçavoit rien. Interroguée s’elle sçait point que sainctes Katherine et Marguerite haient les Angloys: respond: « Elles ayment ce que Nostre-Seigneur ayme, et haient ce que Dieu hait. »
Interroguée se Dieu hait les Angloys, R. Que de l’amour ou haine que Dieu a aux Angloys. ou que Dieu leur feit à leurs ames, ne sçait rien; mais sçait bien que ilz seront boutez hors de France, excepté ceulx qui y mourront; et que Dieu envoyera victoire aux Français, et contre les Angloys.
Interroguée se Dieu estait pour les Angloys, quand ilz estoient en prospérité en France, R. Qu’elle ne sçait se Dieu hayèt (haïssait) les Français ; mais croist qu’il voulait permectre de les laisser batre pourleurs péchiez, s’ilz y estoient.
Interroguée quel garand et quel secours elle se actend avoir de Nostre Seigneur, de ce qu’elle porte abit d’homme, R. Que, tant de l’abit que d’autres choses qu’elle a fais, elle n’en a voulu avoir autre loyer, sinon la salvacian de son ame.
Interroguéc queiz armes elle offrit à saint Denis, R. Que [elle offrit] ung blanc humas entier à ung homme d’armes, avec une espée; et la guigna devant Paris.
Interroguée à quelle fin elle les offrit, R. Que ce fut par devocion, ainsi que il est accoustumé par les gens d’armes quant ilz sont bléciés: et pour ce qu’elle avait esté bléciée devant Paris, les offrit a saint Denis, pour ce que c’est le cry de France.
Interroguée se c’estoit pour ce que on les armast (qu’on s’en armât), R. Que non.
Interroguée de quoi servoient ces cinq croix qui estoient en l’espée qu’elle trouva à Saincte-Katherine de Fier-boys, R. Qu’elle n’en sçait rien.
Interroguée qui la meust de faire paindre angles (anges), avecque bras, piés, jambes, vestemens, respond: « Vous y estes respondus ». Interroguée s’elle les a fait paindre tielz qu’ilz viennent à elle, R. Que elle les a fait paindre tiels en la manière qu’ilz sont pains ès églises.
Interroguée se oncques elle les vit en la manière que ilz furent pains, R. « Je ne vous en diray autre chose ».
Interroguée pourquoy elle n’y fist paindre la clarté qui venoit à elle avec les angles [anges] ou les voix, R. Que il en luy fust point commandé.
Neuvième interrogatoire secret.
SAMEDI 17 MARS 1431, APRÈS-MIDI.
[Dans la prison]. Interroguée se les deux angles (anges) qui estoient pains en son estaindart représentaient sainct Michel et saint Gabriel, R, Qu’ilz n’y estoient fors seullement pour l’amour de Nostre-Seigneur, qui estoit painct en l’estandart; et dit qu’elle ne fist faire celle représentacion des deux angles (anges), fors seullement pour l’onneur de Notre-Seigneur, qui y estait figuré tenant le mande. Interroguée se ces deux angles (anges) qui estoient figurés en l’estaindart estoient les deux angles (anges) qui gardent le monde, et pourquoy il n’y en avait plus [pas davantage], veu qu’il lui estoit commandé par Nostre Seigneur, par la voix des sainctes Katherine et Marguerite, qui luy dirent: « Pren estaindart de par le Roy du ciel », elle y fist faire celle figure de Nostre Seigneur et de deux angles[anges], et de couleur, et tout le fist par leur commandement » Interroguée se alors elle leur demanda se en vertu de celluy estaindart elle gaigneroit toutes les batailles où elle se bouterait, et qu’elle aurait victoire, R. Qu’ilz luy dirent qu’elle le prinst hardiement, et que Dieu luy aiderait. Interroguée qui aidait plus, elle à l’estaindart, ou l’estaindart à elle, R. Que de la victoire de l’estaindart ou d’elle, c’estoit tout à Nostre Seigneur. Interroguée de l’espérance d’avoir victoire estoit foudée en son estaindart ou d’elle, R. « Il estoit fondé en Nostre-Seigneur et non ailleurs ». Interroguée se ung autre l’eust porté qu’elle se il eust eu aussi bonne fortune comme elle de le porter, R. « Je n’en sçay rien, je m’en actends à Nostre-Seigneur. » Interroguée se ung des gens de san party luy eust baillé son estaindart à porter; s’elle l’eust porté, s’elle y eust eu aussi bonne espérance comme en celluy d’elle, qui iuy estoit disposé de par Dieu; et mesmement ceiuy de son roy, R. « Je partage plus voulentiers celluy qui m’estait ordonné de par Nostre-Seigneur; et toutes voies du tout je m’en actendoye à Nostre Seigneur ». Interroguée de quoy servait le signe qu’elle mectoit en ses lectres, Jhesus, Maria, R. Que les clercs escripvans ses lectres luy mectoient; et disaient les aucuns qui (qu’il) luy appartenait mectre ces deux mots Ihesus; Maria. Interroguée se il luy a point esté révélé, s’elle perdoit sa virginité, qu’elle perdait son car (fortune), et que ses voix ne luy v[i]endroient plus, R. « Cela ne m’a point esté révélé «. Interroguée, s’elle estoit mariée, s’elle croist point que ses voix luy venissent, R. « Je ne sçay; et m’en actend à Nastre Seigneur n. Interroguée s’elle pense et croist ferméement que son roy feist bien de tuer ou faire tuer monseigneur de Boum-gangue, R. Que ce fust grand dommaige pour le royaume de France; et quelque chose qu’il y eust entr’eulx, Dieu l’a envoyée au secours du roy de France. Interroguée, pour ce qu’elle a dit à monseigneur de Beauvez qu’elle respondroit autant à monseigneur et à ses commis, comme elle ferait devant nostre saint père le Pape, et toutesfois il y a plusieurs interrogatoires à quoy elle ne veult respondre, se elle respondoit point plus pleinement qu’elle ne fait devant monseigneur de Beauvez, R. Qu’elle a respondu tout le plus vray qu’elle a sceu; et s’elle sçavait aucune chose qui luy venist à mémoire qu’elle n’ait dit, elle [le] dirait voulentiers. Interroguée de l’ange qui apporta le signe à son roy, de quel aaige, grandeur et vestement... Interroguée se il luy semble qu’elle soit tenue respandre plainement vérité au Pape, vicaire de Dieu, de tout ce que on luy demanderait touchant la foy et le fait de sa conscience, R. Qu’elle requiert qu’elle soit menée devant luy; et puis respondra devant luy tout ce qu’elle devra respondre. Interroguée se l’un de ses agneaulx (anneaux) où il estoit escript Jhesus Maria, de quelle matière il estoit, R. Elle ne sçait proprement: et s’il est d’or, il n’est pas de fin or; et si ne sçait se c’estoit or ou lectons (laiton) et pense qu’il y avait trois croix et non autre signe qu’elle saiche, excepté Jhesus Maria. Interroguée pourquoy c’estoit qu’elle regardoit voulentiers cet anel, quant elle aloit en fait de guerre, R. Que par plaisance et par l’onneur de son père et de sa mère; et elle, ayant son anel en sa main et en son doy, a touché à saincte Katherine qui luy appareist. Interroguée en quelle partie de ladicte saincte Katherifle, R. « Vous n’en aurés autre chose. » Interroguée s’elle baisa ou accola oncques sainctes Katherine et Marguerite, R. Elle les a accolez toutes deux. Interroguée se ilz fleuraient bon, R. « Il est bon à savoir (certainement) et sentaient bon. » Interroguée se, en accolant, elle y sentoit point de chaleur ou autre chose, R. Qu’elle ne les pavait point accoler sans les sentir et toucher. Interroguée par quelle partie elle les accoloit, au par hault, au par bas, R. Il affiert (convient) mieulx à les accoler par le bas que par le hault. Interroguée s’elle leur a paint donné de chappeaulx (couronnes de fleurs), R. Que en l’onneur d’elles, à leurs ymaiges au remembrance, ès églises, n’en a point baillé dont elle ait mémoire. Interroguée quant elle mectoit chappeaulx en l’arbre, s’elle les meictait en l’onneur de celles qui iny appairaient, R. Que non. Interroguée se quant ces sainctes venaient à elle, «‘elle leur faisait point révérence, comme de se agenouillier et incliner, R. Que ouil, et le plus qu’elle pavait leur faire de révérence, elle leur faisoit ; que elle sçait que ce sont qui sont celles, en royaume de paradis. Interroguée s’elle sçait rien de ceulx qui vont à l’eure avec les fées, R. Qu’elle n’en fist oncques, on sceust quelque chose, mais a bien ouy parler, et que on y aloit le jeudi, mais n’y crois point, et croist que ce soit sorcerie. Interroguée se on fist point flatter au tournier san estaindart au tour de la teste de son ray, R. Que non qu’elle saiche. Interroguée pourquoy il fut plus porté en l’église de Raims, au sacre, que ceuix des autres capitaines, R. « Il avoit esté à la paine, c’estoit bien raison qu’il fût à l’onneur! »
1.14. TREIZIÈME SÉANCE DU PROCÈS
SAMEDI 3 MARS.
Sixième interrogatoire public.
[Même lieu ;42 assesseurs.] CAUCHON : Jeanne, nous vous requérons de jurer simplement et absolument.de dire la vérité sur ce qui vous sera demandé. JEANNE: Ainsi que j’ai déjà fait, je suis prête à jurer. (Jeanne jure en touchant des mains les Évangiles.) L’INTERROGATEUR: Vous avez dit que saint Miche! avait des ailes, et vous n’avez pas parlé du corps et des membres de sainte Catherine et de sainte Marguerite. Qu’en voulez-vous dire? JEANNE: Je vous ai dit ce que je sais et que je ne vous répondrai pas autre chose. L’INTERROGATEUR : Avez-vous bien vu saint Miche! et les saintes? JEANNE: J’ai vu saint Michel et les saintes, aussi bien que je sais bien qu’ils sont saint et saintes dans le paradis. L’INTERROGATEUR: En avez-vous vu autre chose que la face? JEANNE: Je vous ai dit tout ce que j’en sais. L’INTERROGATEUR: Dites-le encore. JEANNE: Pour ce qui est de vous dire tout ce que je sais, j’aimerais mieux que vous me fissiez couper le cou. [L’INTERROGATEUR: Vous devez tout dire.] JEANNE: Je dirai volontiers tout ce que je saurai touchant le procès. L’INTERROGATEUR: Croyez-vous que saint Michel et saint Gabriel aient des têtes naturelles? JEANNE: Je les ai vus de mes yeux, et je crois que ce sont eux aussi fermement que Dieu est. L’INTERROGATEUR: Croyez-vous que Dieu les ait formés sur la manière et en la forme que vous les voyez? JEANNE: Oui. L’INTERROGATEUR: Croyez-vous que Dieu les ait créés dès le principe, en cette manière et en cette forme? JEANNE: Vous n’aurez autre chose présentement, sauf ce que j’ai répondu. L’INTERROGATEUR: Avez-vous par révélation que vous échapperez? JEANNE: Cela ne touche pas votre procès. Voulez-vous que je parle contre moi? L’INTERROGATEUR: Vos voix ne vous ont-elles rien dit? JEANNE: Cela n’est pas de votre procès. Je m’en réfère au procès. Si tout vous regardait, je vous dirais tout. L’INTERROGATEUR: Quand comptez-vous pouvoir vous échapper? JEANNE: Pour moi, je ne sais ni le jour ni l’heure où je m’échapperai. L’INTERROGATEUR : Vos voix vous ont-elles dit quelque chose en général? JEANNE: Oui vraiment. Elles m’ont dit que je serais délivrée ; mais je ne sais ni le jour ni l’heure, et que je fasse gai visage. L’INTERROGATEUR: Quand vous arrivâtes pour la première fois près de votre roi, ne s’enquit-il pas si c’était par révélation que vous aviez changé d’habit? JEANNE: Je vous en ai répondu, je ne me rappelle pas si cela me fut demandé. C’est écrit à Poitiers. L’INTERROGATEUR: Ne vous souvenez-vous pas si les maîtres qui vous ont examinée en une autre obédience, quelques-uns pendant un mois, d’autres pendant trois semaines, vous ont interrogée sur ce changement d’habit? JEANNE: Je ne m’en souviens pas. Au fait, ils m’ont demandé où j’avais pris cet habit d’homme, et je leur ai dit que je l’avais pris à Vaucouleurs. L’INTERROGATEUR: Les maîtres susdits vous demandèrent-ils si c’était par ordre de vos voix que vous aviez pris cet habit? JEANNE: Je ne m’en souviens pas. L’INTERROGATEUR: Votre roi, votre reine et d’autres de votre parti vous ont-ils quelquefois requise de déposer l’habit d’homme? JEANNE: Cela n’est pas de votre procès. L’INTERROGATEUR : Au château de Beaurevoir, n’en fûtes-vous pas requise? JEANNE: Oui vraiment, et je répondis que je ne déposerai cet habit sans le congé de Dieu. [Je vous dirai aussi que la demoiselle de Luxembourg requit le seigneur de Luxembourg que je ne fusse pas livrée aux Anglais 1.], (Ici commence le fragment de la minute française du greffier Guillaume Manchon, conservée dans le manuscrit d’Urfé 2.) Item dit que la demoiselle de Luxembourg et la dame de Beaurevoir luy offrirent abit de femme ou drap à le faire, et lui requirent qu’elle le portast, et elle répondit qu’elle n’en avoit pas le congié de Nostre-Seigneur, et qu’il n’estoit pas encore temps. Interroguée se messire Jehan de Pressy et antres, à Arras, lui offrirent point d’abit de femme, respond:
1. Détail omis dans le procès-verbal de la séance et consigné dans l’extrait du procès-verbal. 2. Nous faisons nôtre ce qu’a écrit Vallet de Viriville: « Quant à la minute française, au gré de plus d’un lecteur, il semblera, nous le craignons, qu’il eût été nécessaire de la traduire en langage moderne. Mais céder à cette tentation eût été un acte de vandalisme et de profanation. Nous nous sommes borné à expliquer, chemin faisant, les locutions ou les mots qui pouvaient présenter, de nos jours, au lecteur un embarras sensible. »
« Luy et plusieurs autres le m’ont plusieurs fois demandé ». Interroguée s’elle croist qu’elle eust délinqué ou fait péchié mortel de prendre habit de femme, respond qu’elle fait mieulx d’obéir et servir son souverain Seigneur, c’est assavoir Dieu. Item dit que s’elle le deust avoir fait, elle l’eust plustost fait à la requeste de ces deux dames que d’autres dames qui soient en France, excepté sa royne. Interroguée se, quant Dieu luy révéla qu’elle muast son abit, se ce fust parla voix de saint Michel, de saincte Katherine ou saincte Marguerite, R. « Vous n’en aurés maintenant autre chose ». Interroguée, quant son roy la mit premier en oeuvre et elle fist faire son estaindart, se les gens-d’armes et autres gens de guerre firent faire pennonceaulx à la manière du sien, R. « Il est bon à savoir que les seigneurs maintenoient leurs armes. Item, R. Les aucuns compaignons de guerre en firent faire à leur plaisir, et les autres non ». Interroguée de quelle matière ilz les firent faire, se ce fut de toille ou de drap, R. « C’estoit de blans satins, et y en avoit en aucuns les fleurs de liz », et n’avoit que deux ou trois lances de sa compaignie; mais les compaignons de guerre aucunes fois en faisoient faire à la semblance des siens, et ne faisoient cela fors pour cognoistre les siens des autres. Interroguée s’ilz estoient guères souvent renouvellés, R. « Je ne sçay; quant les lances estoient rompues, l’on en faisoit de nouveaulx ». Interroguée s’elle dist point que les pennonceaulx qui estoient en semblance des siens estoient eureux, R. Elle leur disoit bien à la fois : « Entrez hardiment parmy les Anglois », et elle mesme y entroit. Interroguée s’elle leur dist qu’ilz les portassent hardiment et qu’ilz airoient bon eur (bonne fortune), R. Elle leur dist bien ce qui estoit venu et qui adviendroit encore. Interroguée s’elle gectoit ou faisoit point mectre eaue benoitte sur les pennonceaulx, quant on les prenoit de nouvel, R. «Je n’en sçay rien ».; et s’il a esté fait, ce n’a pas esté de son commandement. Interroguée s’eIle y en a point veu gecter, R. « Cela n’est point de votre procès » ; et s’elle y en a veu gecter, elle n’est pas advisée maintenant de en respondre. Interroguée se les compaignons de guerre faisoient point mectre en leurs pennonceaulx: Jhesus Maria, R. « Par ma foy, je n’en sçay rien ». Interroguée s’elle a point tournié (tourner, tournoyer) ou fait tournier toilles par manière de procession autour d’un chastel ou d’église, pour faire pennonceaulx, R. Que non et n’en a rien veu faire. Interroguée, quant elle fut devant Jargeau, que c’estoit qu’elle portoit derrière son heaulme, et s’il y avoit aucune chose ront, « Par ma foy, il n’y avoit rien ». Interroguée s’elle congnust oncques frère Ricard; respond: « Je ne l’avoys oncques veu quant je vins devant Troyes ». Interroguée qu’elle chière (figure) frère Ricard lui feist, R. Que ceuix de la ville de Troyes, comme elle pense, l’envoièrent elle, disans ilz doubtoient que ce ne feust pas chose de par Dieu ; et quand il vint devers elle, en approuchant, il faisoit signe de la croix, et gectoit eaue benoicte, et elle lui dist: «Approchez hardiement, je ne m’envouleray pas ».
Interroguée s’elle avoit point veu, ou fait faire aucuns ymaiges ou painctures d’elle et à sa semblance, R. Qu’elle vit à Arras une paincture en la main d’un Escot (Ecossais) et y avoit la semblance d’elle tout armée, et présentoit unes lectres à son roy, et estoit agenoullée d’un genoul. Et dit que oncques ne vit ou fist faire autre ymaige ou paiacture à la semblance d’elle. Interroguée d’un tablel chieux son hoste, où il avoit trois femmes painctes, et escript : « Justice, Paix, Union ». R. Qu’elle n’en sçait rien. Interroguée s’elle sçait point que ceulx de son party aient service, messe, et oraison pour elle; R. Qu’elle n’en sçait rien, et s’ilz en font service, ne l’ont point fait par son commandement; et s’ilz ont prié pour elle, il luy est advis qu’ilz ne font point de mal. Interroguée se ceulx de son party croient fermement qu’elle soit envoyée de Dieu, R. « Ne sçay s’ilz le croyent et m’en actend à leur couraige : mais si ne le croient, si suis-je envoiée de par Dieu ». Interroguée s’elle cuide pas que en créant qu’elle soit envoyée de par Dieu, qu’ilz aient bonne créance, R. S’ils croient qu’elle soit envoyée de par Dieu, ils n’en sont point abusez. Interroguée s’elle sçavoit point bien le couraige de ceulx de son party, quant ilz luy baisoient les piez et les mains, et les vestemens d’elle, R. Beaucoup de gens la véoient (voyaient) volontiers ; et (aussi) dit qu’ilz baisoient les mains (moins) ses vestemens qu’elle pouvoit. Mais venoient les pouvres gens voulentiers à elle, pour ce qu’elle ne faisoit point de deplaisir, mais les supportoit à son pouvoir. Interroguée quelle révérence luy firent ceulx de
Troies à l’entrée, R. « IIz ne m’en firent point » ; et dit oultre que, à son advis, frère Ricard entra quant (en même temps qu’) eulx à Troies, mais n’est point souvenance s’ehle le vit à l’entrée. Interroguée s’il fist point de sermon à l’entrée de la venue d’elle, R. Qu’elle n’y arresta guères et n’y jeust oncques (n’y coucha pas) ; et quant au sermon, elle n’en sçait rien. Interroguée s’elle fut guères de jours à Bains (Reims), R. « Je crois que nous y fusmes quatre ou cinq jours. » Interroguée s’eIle y leva point d’enfant, R. Que, à Troyes en leva ung, mais de Rains n’a point de mémoire, ne de Chasteau-Tierry, et aussi deux en leva à SaintDenis Et volontiers mectoit nom aux filz Charles, pour l’honneur de son roy et aux filles Jehanne : et aucunes fois, selon ce que les mères vouloient. Interroguée se les bonnes femmes de ville touchaient point leurs agneauls (anneaux) à l’anel qu’elle portoit, R. Maintes femmes ont touché à ses mains et à ses agneaulx; maisne sçait point leur couraige ou intencion. Interroguée qu’ilz furent ceuix de sa conipaignie qui prindrent papillons devant Chasteau-Tierry en son estaindart, R. Qu’il ne fust oncques fait ou dist de leur party, mais ce ont fait ceulx du party de deça, qui l’ont controuvé (imaginé). Interroguée qu’elle fist à Rains des gans où son roy fut sacré, R. « Il y oult (eut) une livrée de gans pour bailler aux chevaliers et nobles qui là estoient. Et en y oult ung qui perdit ses gans » ; mais ne dist point qu’elle les ferait retrouver. Item dit que son estaindart fut en l’église de Rains; et lay semble que son estaindart fut
assés près de l’autel ; et elle mesmes luy (le) tint ung poy (un peu) et ne sçait point que frère Ricard le tenist. Interroguée, quant elle aloit par le pais, s’elle recepvoit souvens sacrement de confession et de l’autel (communion, quant elle venoit ès bonnes villes, R. Que ouil, à la fois, Interroguée s’elle recepvoit lesdiz sacreinens en abit d’omme, R. Que ouil ; mais ne a point mémoire de le avoir reçu en armes. Interroguée pourquoy elle prinst la haquenée de l’eyesque de Senlis, R. Elle fut achetée deux cents salus; si les eust ou non, elle ne sçait ; mais en oult assignation (il y eut un mandat de payement), où il en fust payé ; et si (de plus) lui rescrit (récrivit) que il la reairoit (recouvrerait) s’il vouloit, et qu’elle ne la vouloit point rien et qu’elle ne valoit rien pour souffrir paine (comme une bête de fatigue). Interroguée quelle aaige avoit l’enfant à Laigny qu’elle ala visiter, R. L’enfant avoit trois jours ; et fut apporté à Laigny à Nostre-Dame, et luz fut dit que les pucelles de la ville estoient devant Nostre-Dame, et qu’elle y voulsint aler prier Dieu et Nostre Dame qu’il lui voulsist donner la vie ; et elle y ala, et pria avec les autres. Et finalement il y apparut vie, et bailla (respira) trois fois ; et puis fut baptizé, et tantost mourut, et fut enterré en terre saincte. Et y avait trois jours, comme l’on disoit, que en l’anfant n’y estoit apparu vie, et estoit noir comme sa coste 1, mais quand il baisla, la couleur lui commença à
1. Cotte, jupon noir.
revenir. Et estoit avec les pucelles à genoulz devant Nostre-Dame à faire sa prière. Interroguée s’il fut point dit par la ville que ce avoit elle fait faire et que ce estoit à sa prière, R. « Je ne m’en enqueroye point ». Interroguée s’elle congneust point Katherine de la Rochelle ou s’elle l’avoit veu, R. Que ouil, à Jargeau et à Montfaucon en Berry. Interroguée s’elle luy monstra point une Dame vestue de blanc qu’elle disait qui luy apparoissoit aucunes fois, R. Que non. Interroguée qu’elle lui dist, R. Que cette Katherine lui dist qui venoit à elle une dame blanche vestue de drap d’or, qui luy disait qu’elle alast par les bonnes villes et que le roy lui baihlast des héraulx et trompectes, pour faire crier quiconques airait (aurait) or, argent ou trésor niucié (caché), qu’il apportast tantoust (aussitôt), et que ceuiz qui ne le feroient, et qui en aroient de muciez, qu’elle les congnostroit bien, et sçaroit trouver lesdiz trésors; et que ce serait pour paier les gens d’armes d’icelle Jehanne. A quoy laditeJehanne respondit que elle retournast à son mary, faire son mesbaige et nourrir ses enfans. Et pour en savoir la certaibeté elle parla à saincte Marguerite ou saincte Katherine, qui luy dirent que du fait de icelle Katherine n’estoit que folie, et estoit tout nient (néant). Et esscript (écrivit) à son roy qu’elle luy dirait ce qu’il en devoit faire ; et quant elle vint à luy dist que c’estoit folie et tout nient du fait de ladite Katherine ; toutes voies frèr.e Richart voulait que on la mist en oeuvre; et’ en ont esté très mal [contents] d’elle, lesdits frère Richart et ladicte Katherine.
Interroguée s’elle parla point à Katherine de la Rochelle du fait d’aler à la Charité, R. Que ladicte Katherine ne luy conseilloit point qu’elle y alast, et que il faisoit trop froit, qu’elle n’yroit point. Item dit à ladicte Katherine, qui vouloit aler devers le duc de Bourgogne pour faire paix, qui (qu’il) luy sembloit que on n’y trouverait point de paix, si ce n’estoit par le bout de la lance. Item dit qu’elle demanda à celle Katherine se celle dame venait toutes les nuys ; et pour ce, coucheroit avec elle. Elle y coucha, et veilla jusques à mynuit, et ne vit rien , et puis s’endormit Et quand vint au matin, elle demanda s’elle estoit venue, et luy respondit qu elle estoit venue, et lors dormait ladicte Jehanne et l’avait peu esveiller Et lors luy demanda s elle vendroit point l’andemain, et ladicte Katherine luy respondit que aull. Poui laquelle chose dormit, icelle Jehanne de Jour, afin qu’elle peust veiller la nuit. Et coucha la nuit ensuivant avec ladicte Katherine, et veilla toute la nuit; mais ne vit rien, combien que souvent lui demandast : « Vendra elle point? » Et ladicte Katherine lui respondit: « Ouli, tantost ». Interroguée [sur ce] qu’elle fist sur les fossés de La Charité, R. Qu’elle y fist faire ung assault ; et dit qu’elle n’y gecta ou fist gecter eaue par manière de aspersion. Interroguée pour quoy elle n’y entra, puis qu’elle avait commandement de Dieu, R. Qui vous a dit que je avais commandement de y entrer? Interroguée s’elle oult point de conseil de sa voix, R. Qu’elle s’en voulait venir en France.; mais les gens d’armes luy disrent que c’estoit le mieulx d’aler devant la Charité premièrement.
Interroguée s’elle fut longuement en celle tour de Beaurevoir, R. Qu’elle y fut quatre mais ou environ, et dist, quant elle sceut les Anglois venir, elle fut moult courroucée, toutes voies ses voix lui défendirentplusieurs fais qu’elle ne saillist (sauta); et enfin pour la doubte des Anglois, sailli et se commanda à Dieu et à Nostre-Dame, et fut blécèe. Et quant elle eust sailli, la voix de saincte Katherine luy dist qu’elle fiste bonne chière et qu’elle gariroit, et que ceuix de Compiègne airaient secours. Item dit qu’elle prioit tousjours pour ceulx de Cernpiègne, avec son conseil. Interroguée qu’elle dist, quant elle eust sailly, R. Que aucuns disaient que elle estait morte, et tantoust quui apparut aux Bourguegnons qu’elle estoit en vie, ilz lui dirent qu’elle estoit saillir. Interroguée s’elle dist point qu’elle aimast mieulx àmourir que d’estre en la main des Angloys, R. Qu’elle aymeroit mieulx rendre l’âme à Dieu que d’estre en la main des Anglois. Interroguée s’elle se courouça point, et s’elle blasphéma point le nom de Dieu, R. Qu’elle n’en maugréa oncques ne sainct ne saincte, et qu’elle n’a point accoustumé à jurer. Interroguèe du fait de Suessons (Soissons), pour ée que le capitaine avait rendu la ville et que elle avait regnoié (et qu’elle avait dit ou reniant) Dieu, que s’elle le tenait, elle le ferait tranchier en quatre pièces, R. Qu’elle ne regnoia oncques sainct ne saincte et que ceulx qui l’ont dit, ou raporté, ont malentendu 1. Jeanne est conduite en prison.
1. Nous interrompons ici la citation de la minute française.
Ensuite, nous évêque susdit, nous dîmes que continuant le procès et sans l’interrompre, nous appellerions quelques docteurs et gens habiles en l’un et l’autre droit, divin et humain, qui recueilleraient ce qui està recueillir dans les choses confessées par ladite Jeanne ; et, après les avoir visitées et recueillies, s’il y avait quelques points sur lesquels il semblât d’interroger à nouveau ladite Jeanne, elle serait interrogée par quelques commissaires par nous députés, sans incommoder pour cela tout l’ensemble des assistants. Nous avons ordonné que le tout serait rédigé par écrit, afin que, chaque fois qu’il y aurait lieu, lesdits docteurs et jurisconsultes pussent en délibérer et émettre leurs opinions et conseils. Nous leur dîmes qu’ils eussent dès maintenant à étudier et voir, chez eux, touchant le sujet et ce qu’ils avaient déjà ouï du procès, ce qui leur semblerait à faire; en les priant d’en référer à nos commissaires présents et futurs, ou de conserver devers eux ces notions, pour en délibérer plus mûrement et utilement, en temps et lieux convenables et d’en rendre leur sentiment. Nous avons enfin défendu à tous et chacun des assesseurs de s’éloigner de Rouen sans notre permission avant la fin de ce procès. La séance est levée.
FIN DE LA PREMIÈRE SESSION PUBLIQUE
1.15. DEUXIÈME SESSION
Interrogatoires secrets
SÉANCES XIVe - XIXe DU PROCÈS, LES 4,5,6,7,8,9 MARS 1431
[Dans la maison de l’évêque de Beauvais.]
Item le dimanche 4 et les lundi, mardi, mercredi, jeudi et vendredi suivants, nous évêque susdit, convoquâmes, dans notre logis, à Rouen, plusieurs solennels docteurs et maîtres, et autres habiles en droit divin et humain. Ceux-ci, ayant recueilli par nos ordres les confessions et réponses de ladite Jeanne, firent également un extrait des points sur lesquels ces réponses paraissaient insuffisantes et sur lesquels on estimait qu’elle devait être interrogée de nouveau. Sur ces recueils et extrait, du conseil et avis des susdits, nous avons conclu qu’il serait procédé à cet interrogatoire ultérieur. Et comme, attendu nos diverses occupations, nous ne pouvions pas toujours y vaquer en personne, nous avons délégué vénérable et discrète personne maître Jean de la Fontaine, maître et licencié, etc., ci-dessus nommé, pour interroger judiciairement ladite Jeanne en notre nom. Nous l’avons commis à ce titre le vendredi 9 susdit, présents les docteurs et maîtres : Jean Beaupère, Jean de Touraine, Nicolas Midi, Pierre Maurice, Thomas de Courcelles, Nicolas Loyseleur et Guillaume Manchon, ci-dessus nommés.
Premier interrogatoire secret
10 MARS 1431
Item le samedi suivant, 10 mars, nous, évêque, nous sommes rendu à une chambre du château de Rouen qui évait été assignée à ladite Jeanne pour prison. Là en présence et assisté de notre commissaire député [J. dela Fontaine], Nicolas Midi, G. Feuillet de Jean Fécard, et maître Jean Mathieu, prêtres, témoins appelés, nous avons requis ladite Jeanne de faire et prêter serment qu’elle dirait la vérité sur ce qu’on lui demanderait: R 1. Je vous promet que je diray vérité de ce qui touchera vostre procès ; et plus me contraindrés jurer, et plus tart vous le diray. Interroguée par Jean de la Fontaine, commissaire, en ces termes : « Par le serement que vous avez fait, quant vous venistes derrenièrement à Compiègne, de quel lieu estiés-vous partie? » R. Que (elle venait) de Crespy en Valoys. Interroguée, quand elle fut venue à Compiègne, s’elle fut plusieurs journées avant qu’elle feist aucune saillie, R. Qu’elle vint à heure secrète du matin, et entra en la ville, sans ce que ses annemis le sceussent uières, comme elle pense; et ce jour mesmes, sur le soir, feist la saillie dont elle fut prinse. Interroguée se à la saillie l’en sonna les cloches, R. Se on les sonna, ce ne fut point à san commandement ou par san seu; et n’y pensait poinct; et si (aussi bien) ne se souvient s’elle avait dit que on les sonnast.
1. Reprise de la minute française.
Interroguée s’elle fist cette saillie du commandement de sa voix, R. Que en la sepmaine de Pasque derrenièrement passé, elle estant sur les fossés de Meleun, luy fut dist par ses vois, c’est assavoir, saincte Katherine et saincte Marguerite, qu’elle serait prinse avant qu’il fust la Sainct-Jehan, et que ainsi faillait qui fust fait, et qu’elle ne s’esbahit et print tout en gré, et que Dieu lui aiderait. Interroguée se depuis ce lieu de Meleun luy fut point dit par ses dictes vois qu’elle seroit prinse, R. Que ouil, par plusieurs fois, et comme tous les jours. Et à ses voix requérait, quant elle seroit prinse, qu’elle fust morte tantoust, sans long travail de prison, et ilz luiy disrent qu’elle prinst tout en gré, et que ainsi la falloit faire mais ne luy disrent point l’eure; et si elle l’eust sceu, elle n’y fust pas alée; et avait plusieurs fois demandé sçavoir l’eure et ilz ne lui dirent point. Interroguée se ses voix lui eussent commandé qu’elle fust saillie et signifié qu’elle eust esté prinse, s’elle y fust alée, R. S’elle eust sceu l’eure, et qu’elle deust estre prinse, elle n’y fust point alée voulentiers; toutes voies elle, eust fait leur commandemeut en la fin, quelque chose qui luy dust estre venue. Interroguée se, quand elle fit cette saillie, s’elle avait eu voix de partir et faire celle saillie, R. Que ce jour ne sceut point [par avance] sa prinse, et n’eust autre commandement de yssir (sortir); mais toujours luy avait esté dit qu’il fallait qu’elle feust prisonnière. Interroguée se, à faire celle saillie, s’elle passa par le pont, respond qu’elle passa par le pont et par le boulevart, et ala avec la compaignie des gens de son party sur les gens de monseigneur de Luxembourg, et les rebuta par deux fois jusques au logeis des Bourguegnans, et à la
tierce fois jusques à my le chemin; et alors les Anglais, qui là estoient, coupèrent les chemins à elle et ses gens, entre elle et le boulevart; et pour ce se retraïrent ses gens ; et elle en se retraiant es champs en costé, devers Picardie, près du boulevart, fut prinse; et estoit la rivière entre Compiègne et le lieu où elle fut prinse; et n’y avait seullement, entre le lieu où elle fut prinse et Compiègne, que la rivière, le boulevart et le fossé dudit boulevart. Interroguée se en icelluy estaindart, le monde est painct, et deux angles (anges), etc., R. Que ouil et n’en eust oncques que ung. Interroguée quelle signifiance c’estait que prendre Dieu tenant le monde et ses deux angles, R. Que saincte Katherine et saincte Marguerite luy disrent qu’elle prinst hardiement, et le portast hardiement, et qu’elle fist mectre en paincture là le Roy du ciel. Et ce dist à son roy, mais très envis (à contre-coeur), et de la signifiance ne sçait autrement. Interroguée s’elle avok point escu et armes, R. Qu’elle n’en eust oncques point; mais son roy donna à ses frères armes, c’est assavoir, ung escu d’asur, deux fleurs de liz d’or et une espée parmy; et en ceste ville a devisé à ung painctre celles armes, pour ce qui luy avoit demandé quelles armes elle avoit. Item, dit que ce fut donné par son roy à ses frères, à la plaisance d’eulz, sans la requeste d’elle, et sans révélacion. Interroguée s’elle avait ung cheval, quand elle fut prinse, coursier ou haquenée, R. Qu’elle estoit à cheval, et estoit ung demi coursier celluy sur qui elle estoit, quand elle fut prinse, Interroguée qui luy avait donné cellui cheval, R. Que son ray, ou ses gens luy donnèrent de l’argent du roy; et en avait cinq coursiers de l’argent du roy, sans les trotiers (trotteurs) où il en avait plus de sept. Interroguée s’elle eust oucques autres richesses de son roy que ces chevaulx, R. Qu’elle ne demanderait rien à son rôy, fors bonnes armes, bons chevaulx et de. l’argent à paier les gens de son hastel. Interroguée s’elle n’avait point de trésor, R. Que 10 ou 12 mille [francs] qu’elle a vaillant, n’est pas grand trésor à mener la guerre, et que c’est peu de chose, et lesquelles choses ont ses frères, comme elle pense, et dit que ce qu’elle a, c’est de l’argent propre de son roy. Interroguée quel est le signe qui vint à son Roy, R. Que il est bel et honnouré, et bien créable, et il est bon, et le plus riche qui soit. Interroguée pourquoy elle ne vault aussi bien dire et monstrer le signe dessus dit, comme elle vouit (voulut) avoir le signe de Katherine de la Rochelle, R. Que, — se le signe de Katherine eust esté aussi bien manstré devant notables gens d’Eglise et autres, arcevesques et evesques, c’est assavoir devant l’arcevesque de Rains et autres évesques dont elle ne sçait le nom (et mesmes y estoit Charles de Bourbon, le sire de la Trimaulles, le duc d’Alençon et plusieurs autres chevaliers qui le veirent et oïrent aussi bien comme elle voit ceulx qui parloient à elle aujaurd’huy), comme celluy dessus dit estre monstré, — elle n’eust point demandé sçavoir le signe de ladicte Katherine. Et toutes voies elle sçavoit au devant (antérieurement) par saincte Katherine et saincté Marguerite, que, du fait de la dicte Katherine de la Rochelle, ce estoit tout néant. Interroguée se le dit signe dure encore, R. « Il est ban à sçavoir, et qu’il durera jusques à mil ans, et oultre ». Item que ledit signe est en trésor du ray. Interroguée ce (si) c’est or, argent ou pierre précieuse, ou couronne, R. « Je ne vous en diray autre chose; et ne sçaroit homme deviser aussi riche chose comme est le signe; et toutes voies le signe qui vous fault, c’est que Dieu me délivre de vos mains, et est le plus certain qu’il vous sçache envoyer ». Item dit que, quant elle deust partir pour aller à son roy, luy fut dit par ses voix: « Va hardiment; quant tu seras devers le roy, il aura bon signe de te recepvoir et croire ». Interroguée quant le signe vint à son ray, quelle reverence elle y fist, et s’il vint de par Dieu: respond qu’elle n’iercia Nostre-Seigneur de ce qui (qu’il) la délivra de la paine des clercs de par delà qui argüoient contre elle et se agenoulla plusieurs fais. Item dit que ung angle (ange) de par Dieu, et non de par autre, bailla le signe à son roy; et elle en mercia moult de fais Notre Seigneur. Item dit que les clercs de par delà cessèrent à la argüer, quant ilz eurent sceu ledit signe. Interroguée se les gens d’église de par delà veirent le signe dessus dit, R. Que quant son roy et ceulx qui estoient avec luy eurent veu ledit signe, et mesmes l’angle (ange) qui le bailla, elle demanda à son roy s’il estoit content; et il respondit que ouil. Et alors elle party et s’en ala en une petite chappelle assés près et ouyt lors dire que après son portement,, plus de trois cens personnes veirent ledit signe. Dit outre que par l’amour d’elle, et qu’ilz la laissassent à interroguer, Dieu vouloit permeictre que ceulx de son. party qui veirent ledit signe, le veissent.
Interroguée se son roy et elle firent point de reverence à l’angle (ange) quant il apporta le signe, respond que ouil, d’elle, et se agenoulla et oulta (ôta) son chaperon.
1.16. VINGT-UNIÈME SÉANCE DU PROCÈS
LUNDI 12 MARS 1431
Ce jour, au logis de l’évêque de Beauvais, frère Jean Lemaître, de l’ordre des Frères prêcheurs, reçoit avis et communication de la teneur des lettres de commission à lui adressées par fr. J. Graverent, du même ordre, grand inquisiteur de France, aux termes desquelles lettres ledit fr. Jean Lemaître est commis et député à déduire et. terminer, jusqu’à sentence définitive inclusivement, la cause de Jeanne.
Deuxième interrogatoire secret.
[Dans la prison de Jeanne, furent présents: Cauchon et 6 assesseurs.] Requise par Monseigneur l’évêque de dire la vérité, R. « De ce qui touchera vostre procès, comme autrefois vous ay dit, je diray voulentiers vérité. » Elle jura ainsi présents maître Thomas Fievé et Nicolas de Hubert, ainsi que J. Carbonnier. Interroguée ensuite par Me J. de la Fontaine, délégué, 1e se l’ange qui apporta le signe parla point, R. Que ouil, et que il dist à son ray que on la mist en besoigne, et que le pais serait tantoust allégié. Interroguée se l’angle (ange) qui apporta ledit signe fut l’angle (ange) qui premièrement apparu à elle, ou se ce fut ung autre, R. C’est tousjours tout ung, et oncques ne luy faillit. Interroguée se l’angle (ange) luy a point failli, de ce qu’elle a esté prinse, aux biens de fortune, respond qu’elle croist, puisqu’il plaist à Nostre Seigneur; c’est le mieulx qu’elle sait prinse. Interroguée se, ès biens de grâce, l’angle (ange) lu?a point failli, R. « Et comme me faudrait-il, quand il me conforte tous les jours?» Et enctend cest confort, que c’est de saincte Katherine et saincte Marguerite. Interroguée s’elle les appelle ou s’ilz viennent sans [être] appelés, R. Ils viennent souvent sans [être] appellés, et autre fois s’ilz ne venaient bien tast, elle requerrait Nostre Seigneur qu’il les envoyast. Interroguée s’elle les a aucunes fois appellées, et ilz n’estoient point venues, R. Qu’elle n’en ault oncques besoing pour qu’elle ne les ait. Interroguée se sainct Denis apparut oncques à elle, R. Que non qu’elle saiche. Interroguée se, quant elle promist à Nostre Seigneur de garder sa virginité, s’elle parlait à luy, R. Il debvoit bien suffire de le prameictre à ceuix qui étaient envoyés de par luy, c’est assavoir, saincte Katherine et saincte Marguerite. Interroguée qui la meut de faire citer ung homme à Toul, en cause de mariage, R. « Je ne le fecs pas citer; mais ce fut il qui me fist citer; » et là jura devant le juge dire la vérité; et enfin qu’elle ne luy avait poinct fait de promesse. Item dit que la première fois qu’elle oy (ouit) sa voix, elle vo[u]a sa virginité, tant qu’il plaisait à Dieu, Et estoit en l’aage de XIII ans ou environ. Item dit que ses voix la asseurèrent de gaigner son procès. Interroguée se de ces visions elle a painct parlé à son curé ou autre homme d’église, R. Que non: mais seulement à Robert de Baudricourt et à son roy. Et dit oult,re qu’elle ne fust poinct contraincte de ses voix à le céler; mais doubtoit (craignait) moult de la révéler, pour doulte des Bourguegnons, qu’ilz ne la empeschassent de’ son voyage, et par spécial doubtoit moult son père, qu’il ne la empeschast de son véage faire. Interroguée s’elle cuidait bien faire de partir sans le congié de père ou mère, comme il soit ainsi que on doit honnourer père et mère, R. Que en toutes autres choses elle a bien obéy à eulx, excepté de ce partement, mais depuis leur en a escript, et luy ont pardonné. Interroguée se, quant elle partit de ses père et mère, elle cuidait painct péchier, R. « Puisque Dieu le commandoit, il le convenoit faire. » Et dit oultre, puisque Dieu le commandait s’elle eust cent pères et cent mères, et s’il eust été fille de roy, si (alors même) fust-elle partie. Interroguée s’elle demanda à ses voix qu’elle deist à son père et à sa mère son partement, R. Que, quant est de père et de mère, ilz estoient assés contens qu’elle leur dist, se n’eust esté la paine qu’ilz luy eussent fait, s’elle leur eust dit; et quant est d’elle, elle ne leur eust dit pour chose quelconque. item dit que ses voix se raportoient à elle de le dire àpère et mère, ou de s’en taire. Interroguée se, quant elle vit sainct Michiel et les angles (anges), s’elle leur faisoit reverence, Q. Que ouil; et baisait la terre après le partement où ilz avaient repposé, en leur faisant reverence. Interroguée se ilz estoient longuement avec elle, R. Ilz viegnent beaucoup de fais entre les chrestiens, que on ne les voit pas ; et les a beaucoup de fois veuz (sçus?) entre les chrestiens. Interroguée se de sainct Michel ou de ses voix, elle a poinct eu de lectres, R. « Je n’en ai point de congié de Vous le dire; et entrecy et huit jours, je en respondray voulentiers ce que je sçauray. » Interroguée se ses voix l’ont point appellée fille de Dieu, fille de l’Eglise, la fille au grand cuer (coeur), R. Que au devant du siège d’Orléans levé, et depuis, tous les jours, quant ilz parlent à elle, l’ont plusieurs, fois appelée Jehanne la Pucelle, fille de Dieu. Interroguée, puisqu’elle se dit fille de Dieu, pourquoy elle ne dist voulentiers Pater noster, R. Elle le dist voulentiers ; et autrefois, quant elle refusa le dire, c’estoit en intencion que Monseigneur de Beauvès la confessast.
Troisième interrogatoire secret
LUNDI 12 MARS, APRÈS-MIDI.
[Même local, mêmes assesseurs, l’évêque absent.] Interroguée des songes de son père, R. Que quant elle estoit encore avec ses père et mère, luy fut dit par plusieurs fois par sa mère, que son père disait qu’il avait songé que avec les gens d’armes s’en irait la dicte Jeanne sa fille; et en avaient grant cure ses père et mère de la bien garder, et la tenaient en grant subjection ; et elle
196 obeissoit en tout, si non au procès de Toul, au cas de mariage 1. Item dit qu’elle a ouy dire à sa mère que son père disait à ses frères « Si je cuidoye que la chose advenjst que j’ay songié d’elle, je vouldroye que la noyessiés et se vous ne le faisiés, je la noieraye moy mesmes. » Et à bien peu [s’en fallut] qu’ilz ne perdissent le sens, quand elle fut partie à nier à Vaucouleur. Interroguée se ces pensées en songes venaient à son père [de] puis qu’elle eust ses visions, R. Que ouil, plus de deux ans puis qu’elle oult les premières voix. Interroguée se ce fust à la requeste de Robert au d’elle, qu’elle prinst abit d’omme, R. Que ce fut’ par elle et non à la requeste d’omme du monde. Interroguée se la voix lui commanda qu’elle prist abit d’homme, R. « Tout ce que j’ay fait de bien, je l’ay fait par le commandement des voix. » Et dit oultre, quand à cest habit, en respandra autrefois, que de présent n’en est point advisée; mais demain en répondra. Interroguée se en prenant habit d’omme, elle pensoit mal faire, R. Que non; et encore de présent, s’elle estait, en l’autre party, et en cest habit d’omme, lui semble que ce seroit ung des grands biens de France, de faire comme elle faisait au devant de sa prinse. Interroguée comme[nt] elle eust délivré le duc
1. Un jeune homme de Toul s’était épris de Jeannette avant son départ pour Vaucouleurs. II commença de la rechercher, et argua d’une prétendue promesse de la jeune fille. Les parents de celle-ci, n’y voyant qu’un moyen de la détourner de sa mission, encouragèrent les poursuites judiciaires du jeune homme qui, nous l’avons vu dans le précédent interrogatoire, convint enfin devant le juge « qu’elle ne luy avoit point fait de promesse ».
d’Orléafl5, R. Qu’elle eust assés prins de sa prinse des Anglays pour le ravoir et sy elle n’eust assés prinse deçà, elle eut passé la mer pour le aler querir à puissance en Angleterre. Interroguée se saincte Marguerite et saincte Katherine luy avaient dit, sans condicion et absolument, qu’elle prendroit gens suffisans pour avoir le duc d’Orléans qui estoit en Angleterre, ou autrement qu’elle passeroit la mer pour le aler querir et admener dedans trois ans. R. Que ouil, et qu’elle dit à son roy qu’il la laissast faire des prisonniers. Dit oultre d’elle que s’elle eust duré trois ans sans empeschement, elle l’eust délivré. Item dit qu’il n’y avait plus bref terme que de trais ans et plus long que d’un an, mais n’en a pas de présent mémoire. Interroguée du signe baillé à son roy, R. Qu’elle en aura conseil à sainte Katherine.
Quatrième interrogatoire secret
MARDI 13 MARS 1431.
Même lieu. L’évêque de Beauvais annonce aux assesseurs et à l’accusée que vu les lettres à lui adressées par l’inquisiteur, fr. Jean Lemaître se joint à la cause. Reprise de l’interrogatoire: Interroguée premièrement du signe baillé à son roy, quel [il] fut, R. « Estes-vous content que je me parjurasse? » Interroguée par monseigneur le vicaire de l’Inquisiteur s’elle avait juré et promis à saincte Katherine non dire ce signe, R. « J’ay juré et promis non dire ce signe, et de moy-mesme, pour ce que on m’en chargeoit trop de le dire. Et adanc dist elle-mesmes : « Je promets que je n’en parleray plus à homme. » Item dit que le signe, ce fut que l’angle (ange) certifiait à son roy en luy apportant la couronne, et luy disant que il avait tout le royaume de France entièrement à l’aide de Dieu, et moyennant son labour (travail); et qu’il la meist en besoingne, c’est assavoir que il luy baillast des gens d’armes, autrement il ne serait mye si tost couronné et sacré. Interroguée se depuis hier ladicte Jehanne a parlé à saincte Katherine, R. Que depuis elle l’a ouye; et toutes voies luy a dit plusieurs fais qu’elle responde hardiment aux juges de ce qu’ils demanderont à elle, touchant son procès. Interroguée en quelle manière l’angle (ange) apporta la couronne, et s’il la mist sur la teste de son roy, R. Elle fut baillée à un arcevesque, c’est assavoir celui de Rajas, comme il lui semble, en la présence du roy; et estait elle-mesmes présente; et est mise au trésor du ray. Interroguée du lieu où elle fut apportée, R. Ce fut en la chambre du ray, en chastel de Chinon. Interroguée du jour et de l’eure, R. « Du jour, je ne sçay, et de l’eure, il estoit haulte heure; » autrement n’a mémoire de l’eure; et du moys, en moys d’avril ou de mars, comme il luy semble, en mois d’avril prouchain ou en cest présent moys, à deux ans, et estoit après Pasques 1.
1. La date précise de la réception de Jeanne est le 10 mars 1429, avant Pâques.
Interroguée se la première journée qu’elle vit le signe, se son roy le vit, R. Que ouil; et que il le eust luymesmes. Interroguée de quelle manière estoit ladicte couronne, R. « C’est bon assavoir qu’elle estoit de fin or, et estoit si riche que je ne sçaroye nombrer la richesse »; et que la couronne signifiait qu’il [ob]t[i] endrois le royaume de France. Interroguée s’il y avait pierrerie, R. « Je vous ay dit ce que j’en sçay. Interroguée s’elle la mania ou baisa, R. Que non. Interroguée se l’angle (ange) qui l’apporta venait de hault, ou sil venoit par terre, R. « Il vient de hault; »et entend, il venoit par le commandement de Notre-Seigneur; et entra par l’uys de la chambre. Interroguée se l’angle (ange) venait par terre et errait (marchait) depuis l’uys de la chambre, R. Quant il vint devant le roy, il fit révérence au ray, en se inclinant devant lui, et prononçant les parolles qu’elle a dictes du signe; et avec celuy ramentevoit (souvenait) la belle pacience qu’il avait eu, selon les grandes tribulacions qui luy estoient venues; et depuis l’uys la (porte) il marchait et errait sur la terre, en venant au roy. Interroguée quelle espace [y] avait de l’uys jusques au roy, R. « Comme elle pense, il y avait bien espace de la longueur d’une lance; et par où il estoit venu, s’en retourna. » item dit que quant l’angle (ange) vint, elle l’accompagna, et ala avec luy par les degrés à la chambre du roy, et entra l’ange le premier; et puis elle-mesmes dit au roy : « Sire, velà vostre signe, prenez lay. » Interroguée en quel lieu il apparut à elle, R. «J’estoie presque toujours en prière, afin que Dieu envoyast lej signe au roy; et estoie en mon lougeis (logis), qui est chieux (chez) une banne femme près du chastel de Chinon, quand il vint; et puis nous en alasmes ensemble au roy; et estoit bien accompagné d’autres angles (anges)’ avec luy, que chacun ne véoit pas. » Et dist oultre, ce n’eust esté pour l’amour d’elle et de la aster de paine des gens que la argüoient, elle croit bien plusieurs gens veirent l’ange dessus dit, qui ne l’eussent pas veu. Interroguée se tous ceulx qui là estaient avec le ray, veirent l’angle (ange), R. Quelle pense que l’arcevesque de Rains, les seigneurs d’Alençon et de la Trémouille et Charles de Bourbon le veirent. Et quand est de la couronne, plusieurs gens d’église et autres la veirent, qui ne virent pas l’angle (ange). Interroguée de quelle figure, et quel grant (grandeur) estait ledit angle (ange), R. Qu’elle n’en a point congié et demain en respondra. Interroguée de ceux qui estaient en la campaignie de l’angle, tous d’une mesme figure, R. ils se entre ressembloient volontiers les aucuns et les autres non, en la manière qu’elle les véoit; et les aucuns avaient elles (ailes); et si en avait de couronnés, et les autres non; et y estoient en la compaignie sainctes Katherine et Marguerite, et furent avec l’angle (ange) dessus dit, et les autres angles (anges) aussi, jusque dedans la chambre du roy. Interroguée comme celluy angle (ange) se départit d’elle, R. Il départit d’elle en celle petite chapelle; et fut bien courroucée de son partement, et pleurait, et s’en fust voulontiers allée avec luy, c’est assavoir son âme. Interroguée se au parlement elle demeura joyeuse, ou effréée et en grand paour, R. « Il ne me laissa point en paour ne effrée; mais estoie courroucée de son partement. » Interroguée se ce fut par le mérite d’elle que Dieu envoya son angle (ange), R,~Il venait pour grande chose; ce fut en espérance que le roy creust le signe, et qu’on laissast à la argfler, et pour donner secours aux bonnes gens d’Orléans et aussi pour le mérite du roy et du bon duc d’Orléans. Interroguée pourquoy elle, plus tost que ung autre, R. « Il pleust à Dieu ainsi faire par une simple pucelle, pour rebouter les adversaires du roy. » Interroguée se il a esté dit à elle où l’angle (ange) avait prins celle couronne, R. Quelle a esté apportée de par Dieu; et qu’il n’a orfaivre en monde qui la sceust faire si belle ou si riche ; et où il la prinst, elle s’en raporte à Dieu, et en sçait point autrement où elle fut prinse. Interroguée se celle couronne fleurait point bon et avait odeur, et s’elle estoit point reluisant, R. Elle n’a point mémoire de ce; et s’en advisera. Et après dit: elle sent bon et sentira; mais qu’elle soit bien gardée, ainsi qu’il apartient; et estoit en manière de couronne. Interroguée se l’angle (ange) luy avait escript lectres, R. Que non. Interrogée quel signe eurent le ray, les gens qui estoient avec luy, et elle, de croire que c’estoit ung angle (ange), R. Que le roy le creust par l’anseignement des gens d’église qui là estoient, et par le signe de la couronne. Interroguée comme[nt] les gens d’église sceurent que c’estoit ung angle (ange), R. « Par leur séance et par ce qu’ilz estoient clercs. »
Interroguée d’un prêtre concubinaire, etc., et d’une tasse perdue, répond : « De tout ceje n’en sçayrien, ne oncques n’en ouy parler. » Interroguée se, quand elle nia devant Paris, se elle l’eust par révélacion de ses voix de y aler, R. Que non; mais à la requeste des gentilzhommes, qui voulaient faire une escarmouche ou une vaillance d’armes, et avait bien entencion d’aler oultre et passer les fossés. Interroguée aussi d’aler devant La Charité s’elle eust révélacion, R. Que non; mais par la requeste des gens d’armes, ainsi comme autrefois elle a dit. Interroguée du Pont-l’Evesque, s’elle eust point de révélacion, R. Que [de]puis ce qu’elle oult révélacion à Melun qu’elle serait prinse, elle se raporta le plus du fait de la guerre à la voulenté des cappitaines; et toutes voies ne leur disait point qu’elle avait révélacion d’estre prinse. Interroguée se ce fut bien fait, au jour de la Nativité de Notre-Dame qu’il estoit feste, de aller assaillir Paris, R. t’est bien fait de garder les festes de Notre-Dame; et en sa conscience luy semble que c’estoit et serait bien fait de garder les festes de Notre-Dame, depuis ung bout jusques à l’autre. Interroguée s’elle dist point devant la ville de Paris « Rendez la ville de par Jhesus ». R. Que non; mais dist: « Rendez-la au roi de France. »
14 MARS 1431.
Le mercredi quatorze mars, fr. Jean Lemaître nomme à l’office de greffier Nicolas Taquel, prêtre du diocèse de Rouen, notaire impérial.
Cinquième interrogatoire secret.
[A la prison, l’évêque absent.] Interroguée premièrement quelle fut la cause pour quoy elle saillit de la tour Beaurevoir, R. Qu’elle avait ouy dire que ceulx de Compiègne, tous jusques à l’ange de sept ans, devaient estre mis à feu et à sanc, et qu’elle aymait mieulx mourir que vivre après une telle destruction de bonnes gens; et fut l’une des causes. L’autre qu’elle sceust qu’elle estoit vendue aux Angloys, et eust eu plus cher mourir que d’estre en la main des Angloys, ses adversaires. Interroguée se ce sault, ce fut du conseil de ses voix, R. Saincte Katherine luy disoit presque tous les jours qu’elle ne saillist point, et que Dieu luy aideroit, et mesmes à ceulx de Compiègne; et ladicte Jehanne dist à saincte Katherine, puisque Dieu aiderait à ceulx de Compiègne, elle y voulait estre. Et saincte Katherine luy dist: « Sans faulte, il fault que prenés en gré, et ne seriés point délivrée tant que aiés veu le roy des Anglais. Et la dicte Jehanne répandait : « Vrayement ! je ne le voulsisse point vair : j’aymasse mieulx mourir que d’estre mise en la main des Angloys » Interroguée s elle avait dit à saincte Katherine et saincte Marguerite : Laira Dieu (Dieu laissera-t-il) mourir si mauvaisement ces bonnes gens de Compiègne, etc. ? » R. Qu’elle n’a point dit si mauvaisement; mais leur dist en celle manière: « Comme[nt] laira Dieu mourir ces bannes gens de Compiègne, qui ont esté et sont si loyaulz à leur seigneur ! » Item dit que, [de]puis qu’elle fut cheue, elle fut deux ou trois jours qu’elle ne voulait mengier, et mesmes aussi pour ce sault fut grevée tant, qu’elle ne pavait ne boire ne mangier; et toutes voies fut reconfortée de saincte Katherine, qui luy dit qu’elle se confessast, et requérist mercy à Dieu de ce qu’elle avait sailli; et que sans faulte ceux de Compiègne araient secours dedans la Saint-Martin d’yver. Et adoncque se prinst à revenir, et à commencer à mangier; et fut tantoust guérie. Interroguée, quant elle saillit, s’elle se cuidait tuer, R. Que non, mais en saillant se recommanda à Dieu, et cuidait par le moyen de ce sault, eschaper et évader qu’elle ne fust livrée aux Angloys 1. Interroguée se, quant la parolle luy fut revenue elle regnoia et malgréa (renia et maugréa) Dieu et ses sains, pour ce que ce est trouvé par l’information, comme disait l’interrogant. R. Qu’elle n’a point de mémoire ou qu’elle soit souvenant, elle ne regnoia au malgréa oncques Dieu ou ses sains, en ce lieu ou ailleurs ; et ne s’en est point confessée, quar elle n’a point de mémoire qu’elle l’ait dit ou fait. Interroguée s’elIe s’en veult raporter à l’informacion faicte ou à faire, R. « Je m’en raporte à Dieu et non à aultre, et à bonne confession. » Interroguée se ses voix luy demandent dilacion de respondre, R. Que saincte Katherine iuy respond à la fois, et aucunes fais fault ladicte Jehanne à entendre, pour la turbacion des personnes et par les noises (dis. putes) de ses gardes; et quant elle fait requeste à saincte Katherine et tantoust elle et sainte Marguerite font requeste à Notre-Seigneur, et puis du commandement de Notre.Seigneur donnent responce à la dicte Jehanne. Interroguée, quant elles viennent, s’il y a lumière avec elles, et s’elle vit point de lumière, quant elle oyt en chastel la voix, et ne sçavoit s’elle estoit en la chambre, R. Qu’il n’est jour qu’ilz (qu’elles) ne viennent en ce chastel, et [ain]si ne viennent point deux lumières ; et de celle fois ayt la voix, mais n’a point mémoire s’elle vit lumière, et aussi s’elle vit saincte Katherine. Item dit qu’elle a demandé à ses voix trois choses l’une son expedicion ; l’autre que Dieu aide aux Français et garde bien les villes de leur obéissance ; et l’autre le salut de son âme. Item requist, se ainsi est, qu’elle soit menée à Paris, qu’elle ait le double de ses interrogatoires et respances, afin qu’elle le baille à ceulx de Paris, et leur puisse dire « Vécy comme j’ayesté interroguée à Rouen, et mes responces» etqu’elle ne sait plus travaillée de tant de demandes. Interroguée pour ce qu’elle avait dit que Monseigneur de Beauvez ce mectoit (se mettait) en danger de la meictre en cause, et quel danger, et tant de Monseigneur de Beauvais que des autres, R. Quar (que) c’estoit, et est, qu’elle dist à Monseigneur de Beauvez : « Vous dictes que vous estes mon juge, je ne scay se vous l’estes ; mais advisez bien que ne jugés (jugiez) mal, [attendu] que vous vous mectriés en grant danger ; et vous en advertis, afin que se Notre-Seigneur vous en chastie, que je fais mon debvoir de vous le dire. »
1. Jeanne ne s’étoit pas lancée dans l’espace, mais elle se laissa choir, dit l’interrogatoire suivant et, en effet, un texte apprend qu’elle avait fait des draps un lien attaché à sa fenêtre et communiquant avec le sol.
Interroguée quel est ce péril au danger, R. Que saincte Katherine Iuy a dit qu’elle aurait secours, et qu’elle ne sçait se ce sera estre délivrée de la prison, ou quant elle serait en jugement, s’il y vendrait aucun trouble, par quel moien elle pourrait estre délivrée ; et pense que ce sait ou l’un ou l’autre. Et le plus luy dient ses voix: qu’elle sera délivrée par grant victoire ; et après luy dient ses voix: Pran (prends) tout en gré, ne te chaille (soucie) de ton martire, tu t’en vendras enfin en royaulme de paradis » Et ce luy dient ses voix simplement et absoluement, c’est assavoir sans faillir; et appelle ce, martire, pour la paine et adversité qu’elle souffre, en prison, et ne sçait se plus grand souffrera, mais s’en actent (rapporte) à Nostre-Seigneur. Interroguée se depuis que ses voix luy ont dit qu’elle ira en la fin au royaulme de paradis, s’elle se tient asseurée d’estre sauvée, et qu’elle ne sera point dampnée en enfer, R. Qu’elle croist ce que ses voix luy ont dit qu’elle sera saulvée aussi fermement que s’elle y fust jà. Et quant on luy disait que ceste responce estoit de grant pois, aussi respond elle qu’elle le tient pour ung grant trésor. Interroguée se après ceste révélacion, elle craist qu’elle ne puisse faire péchié mortel, R. « Je n’en sçay rien, mais m’actend du tout à Notre-Seigneur.» Et quant à cest article, par ainsi qu’elle tiègne le sérement et promesse qu’elle a fait
1.17. TRENTE-UNIÈME SÉANCE DU PROCÈS
DIMANCHE DE LA. PASSION, 18 MARS.
Les écritures du procès sont communiquées aux assesseurs à la fin de l’es étudier et examiner.
TRENTE-DEUXIÈME SÉANCE
JEUDI 22 MARS.
On décide qu’il sera rédigé un résumé par articles.
TRENTE-TROISIÈME SÉANCE
SAMEDI 24 MARS.
Dans la prison de Jeanne, en présence de l’évêque, du vice-inquisiteur et six assesseurs, le greffier Guillaume Manchon donne lecture en langue française à Jeanne du registre des interrogatoires et réponses. Pendant ladite lecture Jeanne dit que son surnom était d’Arc ou Rommée et que dans son pays les filles portaient le nom de leur mère. Elle ajouta qu’on lût tout de suite les demandes et les réponses, et que ce qui serait lu sans contradiction de sa part elle le tenait pour vrai et confessé. Sur l’article de prendre l’habit de femme, elle dit: « Donnez-moi une robe de femme pour aller chez ma mère, et je m’en habillerai ». Elle dit cela pour être mise dehors, et qu’une fois dehors elle aviserait à ce qu’elle aurait à faire. Finalement, après lecture elle confessa qu’elle croyait avoir dit tout ce qui venait d’être lu, sans y contredire,
TRENTE-QUATRIÈME SÉANCE
DIMANCHE 25 MARS.
A la demande formulée plusieurs fois par Jeanne et renouvelée la veille d’ouïr la messe en raison de la solennité des Rameaux, l’évêque et ses assesseurs apposent l’obligation de revêtir l’habit de femme tel que le partent les femmes du lieu de sa naissance. Jeanne réitère sa demande d’entendre la messe avec ses vêtements d’homme et de recevoir l’eucharistie le jour de Pâques. A trois objurgations nouvelles elle répond qu’elle ne peut quitter encore l’habit d’homme. « Il lui fut dit enfin qu’elle se consultât avec ses voix pour se remettre en femme, afin de pouvoir communier à Pâques. R. Qu’elle ne communiera pas en cette condition. Elle prie qu’on la laisse entendre la messe dans l’habit qu’elle porte, cet habit ne changeant pas son âme et n’ayant rien de contraire à l’Eglise ».
PROCÈS ORDINAIRE JUGEMENT ET MONITIONS
LUNDI 26 MARS.
Il est décidé que le lendemain commencera le procès ordinaire suivant le procès préparatoire.
MARDI 27 MARS.
Le promoteur Jean d’Estivet expose san réquisitoire et remet au tribunal l’acte d’accusation. La requête est mise en délibération aussitôt en présence de Jeanne. L’évêque offre ensuite à ladite Jeanne de lui désigner et attribuer un conseil. « A quoi ladite Jehanne respondit: Premièrement de ce que [vous m’] admonnestez [pour] mon bien et de nostre foy, je vous mercye et à toute la compagnie aussi. Quant au conseil que me offrés, aussi je vous mercye, mais je n’ay point de intencion de me départir du conseil de Notre-Seigneur. Quant au sèrement que voulés que je face, je suis preste de jurer dire vérité de tout ce qui touchera vostre procès. Et elle jura en touchant les saints évangiles. » Maître Thamas de Courcelles commence l’exposé des articles ou lecture de l’acte d’accusation, en français. Cette lecture occupe les Séances du mardi 27 et du mercredi 28 mars. Il requiert que par l’évêque et le vice-inquisiteur « ladite Jeanne soit prononcée et déclarée sorcière et sortilège, devineresse, fausse prophétesse, invocatrice et conjuratrice des malins esprits, superstitieuse, impliquée et adonnée aux arts magiques, mal sentant dans et de notre foy catholique, schismatique en l’article [du droit canon] Unam sanctam 1 et plusieurs autres; douteuse, déviée, sacrilège, idolâtre, apostate de la foi; maldisante et malfaisante, blasphématrice envers Dieu et ses saints; séditieuse, perturbatrice et impéditive de la paix, excitatrice aux guerres, cruellement avide de sang humain et incitatrice à le répandre; abandonnant sans vergogne toute décence et convenance de son sexe, usurpant impudemment un habit difforme et l’état d’homme d’armes ; par ces motifs et autres, abominable à Dieu et aux hommes; prévaricatrice des lois divine, naturelle, et de la discipline de l’Eglise ; séductrice de princes et de populaires, en permettant et consentant, au mépris et dédain de Dieu, qu’elle fust vénérée et adorée; en donnant ses mains et ses vêtements à baiser; usurpatrice du culte et des honneurs divins; hérétique ou du moins véhémentement suspecte d’hérésie ; et que sur et pour ces faits, conformément aux sanctions divines canoniques, elle soit punie et corrigée ». Nous ne pouvons reproduire cet acte d’accusation qui n’est qu’un perpétuel mensonge. Les réponses de Jeanne s’y trouvent travesties avec une impudence qui confond.
Nous allons en citer un passage pris au début. Qu’on se rappelle l’interrogatoire public du 24 février et les dépositions des témoins dont nous l’avons fait suivre, on verra alors ce que devient la cause présentée par le promoteur. « Item ladite Jeanne avait coutume de fréquenter lesdits arbre et fontaine [de Domremy] et souvent de nuit; quelquefois de jour, principalement aux heures des offices, afin d’y être seule; elle a pris part à des rondes qui s’opéraient en dansant à l’entour; ensuite elle appendait aux branches de l’arbre des guirlandes formées de diverses herbes et fleurs, en disant et chantant auparavant, ainsi qu’après, certains poèmes et chansons, accompagnés d’invocations, sortilèges et de maléfices; desquelles guirlandes le lendemain matin il ne se retrouvait plus rien ». Devant cette explosion d’inepties, Jeanne répond tranquillement « qu’elle s’en réfère à sa réponse précédente [qu’elle n’en a jamais rien su ni rien fait] ; quant au reste de ce qui est contenu audit article, nie ». Nous ferons comme Jeanne, nous écarterons ce ramas dans lequel la niaiserie le dispute à l’impudence, et nous ne relèverons que quelques réponses qui ajoutent une lumière au procès et à la psychologie de la jeune fille.
Requise de dire le Credo. R. Demandez à mon confesseur à qui je l’ai dit.
Ladite Jeanne attribue à Dieu, à ses anges et à ses saints, des prescriptions qui sont contraires à l’honnêteté féminine, prohibées par la loi divine, abominables à Dieu et aux hommes et interdites par les sanctions ecclésiastiques sous peine d’excommunication; comme de revêtir des habits d’homme courts, brefs et dissolus, tant en vêtement de dessous et chausses, que autres. D’après le même précepte, elle a mis quelquefois des vêtements somptueux et pompeux, d’étoffes précieuses et drap d’or, de fourrures, et non seulement elle s’est habillée de robes courtes (huques), mais aussi de tabards (paletots flottants) et de robes fendues de chaque côté. Il est notaire qu’elle fut prise portant une huque de drap d’or ouverte de chaque côté, coiffée de chapeaux ou bonnets d’hommes ; les cheveux tondus en rond à la manière des, hommes; généralement et au mépris de la vergogne de son sexe, et non seulement elle s’est habillée d’une manière qui blessait toute pudeur féminine, mais même celle qui convient à des hommes bien morigénés; elle a usé de tous les affublements et vêtements par lesquels se distinguent les hommes les plus dissolus ; et cela en portant aussi des armes invasives... R. « Vous en estes assés respondus. »
1. Il s’agit d’une décrétale de Boniface VIII. Elle fait partie des « Extravagantes».
TRENTE-NEUVIÈME SÉANCE
SAMEDI SAINT, 31 MARS.
[Interrogatoire dans la prison sur divers points touchant lesquels Jeanne avait différé de répondre.] 1° Interroguée s’elle se veult rapporter au jugement de l’Eglise qui est en terre, de tout ce qu’elle a dit on fait, soit bien ou mal, spécialement des cas, crimes et délia que on luy impute, et de tout ce qui touche son procès, R. Que de ce que on luy demande elle s’en raportera à l’Eglise militante, pourveu que elle ne iuy commande chose impossible à faire. Elle appelle ce qu’elle répute impossible, c’est que les fais qu’elle a diz et fais, déclairez au procès des visions et révélacions qu’elle les a faictes de par Dieu, et ne les révoquera pour quelque chose ; et de ce que Notre Sire luy a fait faire et commandé et commandera, et ne le lesra pour homme qui vive, et luy seroit impossible de les révoquer. Et en cas que l’Eglise lui vouldroit faire faire autre chose au contraire des commandements qu’elle dit à luy fait, elle ne le ferait pour quelque chose. Interroguée se l’Eglise militant luy dit que ses revelacions sont illusions ou choses dyaboliques, au supersticions, ou mauvaises choses, elle s’en raportera à l’Eglise, R. Qu’elle raportera à Nostre Seigneur, duquel elle fera toujours le commandement, et qu’elle sçait bien que ce qui est contenu en son procès, qu’il est venu par le commandement de Dieu ; et ce qu’elle a affermé [au]dit procès avoir fait du commandement de Dieu, luy serait impossible faire le contraire. Et en cas que l’Eglise militante luy commanderait faire le contraire, elle ne s’en rapporterait à homme du monde, fors à Nostre Seigneur, qu’elle ne feist tousjours son bon commandement. Interroguée s’elle croist point qu’elle soit subjecte à l’Eglise qui est en tout, c’est assavoir à nostre saint père le pape, cardinaulx, arcevesques, évesques et autres prélas d’Eglise, R. Que ouil, Nostre Sire premier servi. Interroguée s’elle a commandement de ses voix qu’elle se submecte point à l’Eglise militant, qui est en terre, ni au jugement d’icelie, R. Qu’elle ne respond chose qu’elle prengne en sa teste, mais ce qu’elle respand, c’est du commandement d’icelle ; et ne commande point qu’elle ne obéisse à l’Eglise, Nostre Sire premier servi. Interroguée se à Beaurevoir et Arras, on ailleurs, elle a point eu de limes, respond « Se on en a trouvé sur moy, je ne vous ay autre chose à respondre. » Cela fait, nous nous sommes retirés.
SÉANCES 40e, 41e ET 42e
2, 3, 4 AVRIL 1431.
Il est fait un résumé de l’accusation sous forme de douze articles qui comprennent sommairement et compendieusement beaucoup des dits et assertions de l’accusée.
QUARANTE-TROISIÈME SÉANCE
5 AVRIL 1431.
Les douze articles destinés à servir de base aux consultations et à la condamnation sont transmis aux consulteurs, mais non à l’accusée. Certains commandements qu’on avait jugé convenable d’y introduire furent omis, ainsi qu’il ressort d’une pièce produite par le greffier Manchon au procès de réhabilitation, laquelle pièce contient les corrections et additions proposées. ARTICLE I. — Et d’abord une femme dit et affirme que, lorsqu’elle avait treize ans ou environ, elle a vu de ses yeux corporels saint Michel qui la consolait et quelque fois saint Gabriel, lesquels tous deux lui apparurent en effigie corporelle, Quelquefois aussi elle vit une grande multitude d’anges. Depuis, saintes Catherine et Marguerite se sont fait voir corporellement à cette femme. Elle les voit chaque jour, entend leurs voix, les a embrassées et baisées, les touchant sensiblement et corporellement. Elle a vu les têtes desdits anges et saintes ; d’autres parties de leur personne, ou de leurs vêtements, elle n’a rien voulu dire. Lesdites saintes lui ont plusieurs fois parlé près d’une fontaine, située près d’un grand arbre, appelé communément l’arbre des fées. La renommée court au sujet de ces arbres et fontaine que les dames fées les hantent et que des fiévreux y vont, quoique ce soit profane, pour recouvrer la santé. Là et ailleurs elle a révéré lesdites saintes et leur a fait révérence. De plus, elle dit que ces saintes apparaissent et se montrent à elle couronnées de couronnes très belles et précieuses. Depuis ce moment, et à plusieurs reprises, elles disent à cette femme, par ordre de Dieu, qu’il lui fallait se rendre auprès d’un prince séculier, promettant que par la main de cette femme et de son assistance ledit prince recouvrerait à force d’armes un grand domaine temporel, ainsi que sa glaire mondaine, et aurait victoire de ses adversaires; que ce prince la recevrait et lui donnerait à cet effet un commandement militaire. Elles lui prescrivirent, de la part de Dieu, de s’habiller en homme, ce qu’elle a fait et continue si persévéramment qu’elle a déclaré aimer mieux mourir que de quitter cet habit. Elle a fait cette déclaration tantôt pure et simple, tantôt en ajoutant: à moins d’un exprès commandement de Dieu. Elle a également préféré être privée des sacrements et de l’office divin en temps prescrit par l’Eglise, plutôt que de quitter l’habit d’homme et prendre celui de femme. Ces saintes l’auraient également favorisée pour s’éloigner, âgée de dix-sept ans, de la maison paternelle, à l’insu et contre le gré de ses parents, pour se mêler aux gens d’armes, vivant avec eux de jour et de nuit, sans avoir jamais, ou rarement, aucune femme auprès d’elle. Les mêmes saintes lui ont dit et prescrit beaucoup d’autres choses, pour lesquelles elle se dit envoyée par Dieu et par l’Eglise triomphante, l’Église victorieuse des saints qui jouissent déjà de la béatitude, auxquels elle, soumet toutes ses louables actions. Quant à l’Eglise, elle a différé et refusé de s’y soumettre, elle, ses dits et faits quoiqu’elle ait été impérativement avertie et requise; disant qu’il lui était impossible de faire le contraire de ce qu’elle a affirmé dans son procès, par ordre de Dieu, et qu’elle ne s’en rapportera à la détermination ou jugement d’aucun être vivant. Elles lui ont, dit-elle, révélé qu’elle obtiendra la glaire des bienheureux avec le salut de son Lime, si elle garde sa virginité, qu’elle leur a vouée la première fois qu’elle les a vues et entendues. ARTICLE II. — Item elle dit que son prince a été instruit par un signe, de sa mission. Ce signe fut que saint Michel s’approcha dudit prince, en compagnie d’une multitude d’anges, les uns couronnés, les autres ailés, ainsi que saintes Catherine et Marguerite. L’ange et cette femme marchaient ensemble sur terre par les chemins, les escaliers et la chambre, ‘tout le long du parcours, suivis des autres anges ou saintes. Un ange remit audit prince la couronne très précieuse d’or, et s’inclina devant lui en faisant révérence. Une fois elle a dit que lors de cette réception merveilleuse son prince était seul, ayant seulement de la compagnie à quelque distance; une autre fois, à ce qu’elle croit, un archevêque reçut le signe ou couronne et le transmit audit prince en présence et à la vue de divers seigneurs laïques. ARTICLE IV. — Item elle a reconnu et constaté que celui qui la visite est saint Michel, par le bon conseil, le réconfort, la banne doctrine qu’il lui donne et fait; aussi parce qu’il se nomme et dit: « Je suis saint Michel.» Semblablement, elle connaît distinctement l’une et l’autre saintes Catherine et Marguerite, parce qu’elles se nomment et la saluent. C’est pourquoi elle croit en saint Michel qui lui apparaît ainsi. Elle écrit que les paroles dudit saint sont bonnes et vraies, comme elle croit que Notre-Seigneur Jésus-Christ a souffert et est mort pour notre rédemption. ARTICLE V. — Item elle dit et affirme qu’elle est sûre, de certains événements futurs et pleinement contingents, qu’ils arriveront, comme elle est certaine de ce qu’elle voit actuellement devant elle. Elle se vante d’avoir et avoir eu connaissance de choses cachées, par les révélations verbales de ses voix : par exemple, qu’elle sera délivrée des prisons et que les Français feront en sa compagnie un fait plus beau qu’il n’a jamais été fait par toute la chrétienté. Elle a connu par révélation, sans autre instruction, des gens quelle n’avait jamais vus; elle a révélé et manifesté une épée cachée. ARTICLE V. — Item elle dit et affirme que du commandement de Dieu et de son bon plaisir elle a pris, porté, continuellement porte et revêt habit d’homme. Depuis elle a dit: que Dieu lui ayant ordonné de porter l’habit d’homme, il lui fallait avoir robe courte, chaperon, gippon, braies et chausses à aiguillettes, cheveux coupés en rond au-dessus des oreilles, ne gardant rien de son sexe que ce que la nature lui a donné. Dans cet habit elle a reçu plusieurs fois l’Eucharistie. Elle a refusé de le quitter comme il est dit ci-dessus. Elle a ajouté que si elle retournait en habit d’homme et armée comme avant sa prise, ce serait le plus grand des biens qui pût advenir au -royaume de France; que pour rien au monde elle ne s’engagerait à ne pas le faire, obéissant à Dieu et à ses ordres. ARTICLE VI. — Item elle confesse et affirme qu’elle a fait écrire beaucoup de lettres, dont quelques-unes portaient ces noms Jhesus Maria, avec le signe de la croix, Quelquefois elle mettait une croix et alors elle ne voulait pas que l’on fît ce que mandait la dépêche. En d’autres elle dit qu’elle ferait tuer ceux qui n’obéiraient pas, et que « l’on verrait aux coups de quel côté est le droit divin du ciel ». Souvent elle dit qu’elle n’a rien fait que par révélation et ordre de Dieu, ARTICLE VII. — Item elle dit et confesse que, à l’âge de dix-sept ans environ, elle, spontanément et par révélation, alla trouver un écuyer qu’elle n’avait jamais vu ; quittant ainsi la maison paternelle contre la volonté de ses parents qui demeurèrent presque fous à la première nouvelle de son départ. Elle le requit de la conduire ou faire conduire, au prince susdit. L’écuyer, capitaine alors, lui donna sur sa demande un costume masculin, ainsi qu’une épée, et la fit conduire par un chevalier, son écuyer et quatre compagnons d’armes. Arrivés devant le prince, elle lui dit qu’elle voulait guerroyer contre ses adversaires. Elle lui promit de le mettre en grande domination, qu’elle vaincrait ses ennemis et qu’elle était envoyée du ciel. La prévenue affirme qu’en agissant ainsi elle a bien fait et par révélation divine.
ARTICLE VIII. — Item dit et confesse que elle-même, personne ne la contraignant ni forçant, se précipita d’une tour très haute, préférant mourir plutôt que de se voir livrée aux mains de ses adversaires et que de survivre à la destruction de Compiègne. Dit aussi qu’elle ne put se soustraire à cette action; et cependant saintes Catherine et Marguerite susdites le lui avaient défendu, et elle dit que c’est grand péché de les offenser. Mais elle sait bien, dit-elle, que ce péché lui a été remis depuis qu’elle s’en est confessée. Elle dit en avoir eu révélation. ARTICLE IX. — Item que lesdites saintes lui promirent de la conduire au paradis, si elle conservait bien la virginité qu’elle leur a vouée, tant de corps que d’âme. Elle en est aussi sûre que si elle était déjà dans la gloire des bienheureux. Elle ne pense pas avoir fait acte de péché mortel, car, à son avis, si elle y était, saintes Catherine et Marguerite ne la visiteraient pas comme elles font chaque jour. ARTICLE X. — Item que Dieu aime certains [princes] déterminés et nommés encore errants, et les aime plus qu’il n’aime ladite femme. Elle le sait par révélation desdites saintes, qui lui parlent français et non anglais, n’étant pas du parti de ces derniers. Depuis qu’elle a su par révélation que ses voix étaient pour le prince susdit, elle n’a pas aimé les Bourguignons. ARTICLE XI. — Item qu’elle a plusieurs fais fait révérence aux voix et esprits susdits, qu’elle appelle Michel, Gabriel, Catherine et Marguerite, se découvrant la tête, fléchissant les genoux, baisant la terre sous leurs pas, leur vouant sa virginité, quelquefois embrassant, baisant Catherine et Marguerite. Elle les a touchées sensiblement et corporellement, leur a demandé conseil et secours, les a invoquées ; quoique non invoquées, elles la visitent souvent. A acquiescé et obéi à leurs conseils et commandements, et cela dès le principe, sans demander Conseil à quiconque, tel que père, mère, curé, prélat au autre ecclésiastique. Néanmoins, croit fermement que sesdites révélations viennent de Dieu et par son ordre. Elle le croit aussi fermement que la foi et que Notre-Seigneur Jésus-Christ a souffert et est mort pour nous; ajoutant que si un malin esprit lui apparaissait, qui feignît être saint Michel, elle saurait bien discerner s’il est saint Michel, ou non. Dit que sans être contrainte ou requise aucunement, elle a juré à saintes Catherine et Marguerite, qui lui apparaissent, qu’elle ne révélerait pas le signe de la couronne à donner au prince vers qui elle était envoyée. A la fin ajoute : à mains de permission de le faire. ARTICLE XII. — Item que si l’Eglise lui commandait d’agir contre le précepte qu’elle dit avoir reçu de Dieu, elle ne le ferait pas pour chose quelconque, affirmant que ses actes incriminés sont l’oeuvre de Dieu et qu’il lui serait impossible de faire le contraire. Elle ne veut s’en référer là-dessus à la détermination de l’Eglise militante ni d’aucun homme du monde, mais seulement à Notre-Seigneur Dieu, dont elle accomplira toujours les préceptes, principalement en ce qui concerne ces révélations et les actes qui lui ont été ainsi inspirés. Dit qu’elle n’a pas pris sur sa tête ces réponses, mais par les préceptes de ses voix et par leurs révélations. Lui a été cependant plusieurs fais déclaré par les juges et autres présents l’article Unam sanctam Ecclesiam catholicam, en lui exprimant que tout fidèle accomplissant le voyage d’ici-bas est tenu d’y obéir, de soumettre ses faits et dits à l’Eglise militante, principalement en matière de foi et qui touche à la doctrine sacrée, ainsi qu’aux sanctions de l’Eglise.
QUARANTE-QUATRIÈME SÉANCE
JEUDI 12 AVRIL 1431.
Sur les douze articles précités ont délibéré en la chapelle du logis épiscopal les seize docteurs et six bacheliers en théologie dont les noms suivent: Erard Ermengard président, Jean Beaupère, Guillaume Lebouchier, Jean de Touraine, Nicolas Midi, P. de Miget, prieur de Longueville, M. du Quesnoy,J. deNibat, P. deHoudenc, J. Lefèvre ou Fabri, P. Maurice, Guill. Théraade, G. Feuillet, Richard Dupré et Jean Charpentiers, docteurs; — G. Haiton, N. Coppequesne, Is. de la Pierre, Th. de Courcelles, bachéliers; — Raoul Sauvage, licencié ; —N. Loyseleur, maître ès arts. Les susdits ont délibéré ce qui suit: « Nous disons que, ayant diligemment considéré, conféré et pesé la qualité de la personne, ses dits, faits, apparitions, la fin, la cause, leurs circonstances, et tout ce qui est contenu dans les documents communiqués, il est à penser que ces apparitions et révélations qu’elle se vante et affirme avoir eues de Dieu, par les anges et les saintes, n’ont pas eu lieu comme il vient d’être dit, mais que ce sont bien plutôt des fictions d’invention humaine en procédant du malin esprit ; qu’elle n’a pas eu des signes suffisants pour y croire et savoir; qu’il y a dans lesdits articles des mensonges fabriqués ; des invraisemblances légèrement admises par cette femme; des divinations superstitieuses ; des actes scandaleux et irréligieux; des dires téméraires, présomptueux, pleins de jactance ; blasphèmes envers Dieu et les saints impiété envers les parents ; quelques-uns non conformes au précepte d’aimer son prochain ; idolâtrie ou au moins fiction erronée ; propositions schismatiques de l’unité, de l’autorité et du pouvoir de l’Eglise ; malsonnantes et véhémentement suspectes d’hérésie. « En croyant que ses apparitions sont saints Michel, Catherine et Marguerite, en croyant que leurs dits et faits sont bans comme elle croit en la foi chrétienne, elle mérite d’être tenue pour suspecte d’errer en la foi, car si elle entend que les articles de la foi ne sont pas plus sûrs que ses visions, elle erre en la foi. Dire aussi, comme dans les articles V et I, qu’en ne recevant pas les sacrements, etc., elle a bien fait, c’est blasphémer Dieu et errer en la foi ». La délibération des docteurs sert de base à celles d’autres gens d’Eglise dont les adhésions se succèdent à partir du 13avril. Denis Gastinel, chanoine, estime que « l’inculpée est infectée, suspecte en la foi,, véhémentement erronée,. schismatique, hérétique, entachée de doctrine perverse, contraire aux bannes moeurs, à la décision de l’Eglise, aux conciles généraux, saints canons, lais civiles, humaines ou politiques ; séditieuse, injurieuse à Dieu, à l’Eglise et à tous. les fidèles ;... Si elle s’amende... la prévenue doit être abandonnée au bras séculier pour expier son crime. Si elle abjure, qu’il lui soit accordé le bénéfice de l’absolution ; et, selon la coutume, qu’elle soit renfermée en prison, nourrie du pain de douleur et de l’eau d’angoisse pour pleurer ses fautes et ne plus les commettre. » Jean Basset, chanoine, official de Rouen, adresse une consultation tout à fait normande : « Je n’ai que peu ou rien à dire sur une matière si grande en la foi, si ardue, si difficile, surtout en ce qui touche les révélations. Toutefois, sauf protestation, et sous votre correction, voici ce que je crois devoir dire: « Sur les révélations, ce que dit cette femme est divinement passible; mais comme elle n’en justifie pas par miracles avérés ni par le témoignage de la sainte Ecriture, elle ne doit pas être crue. » Le reste est à l’avenant. Gilles, abbé de Fécamp. « Vous désirez avoir ma délibération. Mais après tant et de tels docteurs, que leurs pareils ne sont peut-être pas trouvables dans l’univers, que peut concevoir mon ignorance ou mon élocution inérudite enfanter? A peu près rien. Je m’arrête donc avec eux tous en tout ; j’adhère à leurs délibérations, en y ajoutant mes protestations et soumissions préalables et accoutumées. »
QUARANTE-CINQUIÈME SÉANCE
MERCREDI 13 AVRIL 1431.
J. Guesdon, dominicain.., s’associe aux théologiens réunis au logis de l’évêque. Jean Maugier, chanoine, qualifie l’opinion des mêmes théologiens « bonne, juste, sainte, plausible, conforme aux sacrés canons, aux sanctions canoniques, aux sentences de nos docteurs ». Jean Brullot, chanoine et chantre, « attendu les motifs qui le doivent rattacher à l’opinion de mes maîtres et supérieurs unanimes et nombreux », attendu quelques autres raisons assurément de moindre prix, acquiesce à l’opinion des théologiens. Nicolas de Vendères, archidiacre d’Eu. « Dis et tiens que messeigneurs et maîtres ont bien, pieusement et doucement procédé. » Gilles Deschamps, chanoine ; Nicolas Caval, chanoine; Robert Barbier, chanoine; Jean Alépée, chanoine ; Jean Hulot de Châtillon, chanoine; Jean de Bonesque, aumônier de l’abbaye de Fécamp ; Jéan Guarin, chanoine; le vénérable chapitre de l’Eglise de Rouen ; Aubert Morel et Jean du Chemin, avocats de la cour de l’officialité de Rouen ; onze avocats de la cour de Rouen ; Philibert de Montjeu, évêque de Cautances; Zanon de Castiglione, évêque de Lisieux; Nicolas, abbé de Jumièges; Guillaume, abbé de Cormeilles, et plusieurs autres font preuve de la même servilité et réclament des peines ou moins sévères. Toutes ces consultations se placent entre le 13 avril et le 13 mai. Deux d’entre elles méritent une particulière attention : c’est d’abord celle de Philibert de Montjeu, évêque de Coutances, qui écrit ce qui suit: « Après de si grands docteurs consultés, je réponds à la requête de Votre Paternité en vous donnant, du moins mal que je puis, mon sentiment, en m’abstenant de qualifier chaque point, afin qu’il ne semble pas que je veuille en remontrer à Minerve. « Assurément, je pense que cette femme a un esprit subtil, enclin au mal, agité par un instinct diabolique et vide de la grâce de l’Esprit saint. Témoin saint Grégoire, et si l’on considère les dires de cette femme, il y a deux signes qui attestent la présence de la grâce, et dont manque évidemment cette femme... Si elle révoque ce qu’elle doit révoquer, il faut la conserver sous bonne garde jusqu’à ce que sa correction et amendement soient bien manifestés. Si elle refuse, il faut la traiter en hérétique opiniâtre. » L’évêque de Lisieux, un Milanais ayant nom Zanoni, répond en ces termes : « Je ne vois pas dans l’inculpée les signes ou indices d’une admirable sainteté, ni d’une vie exemplaire... Je dis que, attendu la basse condition de la personne, attendu ses assertions ou propos pleins de fatuité ou de folies présomptueuses, la forme et le made de ses visions, etc., il est à présumer que de deux choses l’une: ou ce sont illusions et fallaces des démons, qui dans les bois se déguisent en anges et entre temps s’affublent des apparences et ressemblances de diverses personnes: ou ce ne sont que mensonges, inventés et fabriqués à dessein pour duper les rudes et les ignorants. »
QUARANTE-SIXIÈME SÉANCE
18 AVRIL 1431,
Le 18, nous, juges, accompagnés de M. Guillaume Boucher, Jacques de Touraine, Maurice du Quénoy, Nicolas Midi, Guillaume Adelie et Guillaume Hecton, flous sommes transportés dans la chambre où Jeanne était détenue.
En présence de ces personnes, nous, évêque susdit, nous nous adressâmes à ladite Jeanne, qui alors se disait malade. Nous lui dîmes que ces docteurs et maîtres venaient à elle familièrement et charitablement, la visiter, dans sa maladie, pour la réconforter et la consoler.
Nous lui rappelâmes ensuite que, par diverses et plusieurs fois, elle avait été interrogée solennellement, sous la grave prévention qui lui est imputée par-devant de notables clercs.
Item que plusieurs de ses dits et faits avaient semblé défectueux.
Item : attendu qu’elle ne saurait, étant ignorante et illettrée, connaître et discerner touchant certains articles à elle imputés s’ils sont contraires à notre foi, sainte doctrine et approbation des docteurs de l’Eglise, ces clercs offraient de lui donner bon et salutaire conseil, pour s’en instruire ; qu’elle voulût donc aviser de recevoir et choisir quelqu’un ou quelques-uns des assistants pour se conseiller dans sa conduite, et que si elle ne le faisait, que messeigneurs les juges lui en délégueraient pour la conseiller et réduire.
Item qu’ils offraient à cet effet de hi donner pour conseils quelques docteurs en théologie, droit canon et civil.
Item il lui fut dit que si elle ne voulait recevoir conseil, et se conduire par le conseil de l’Eglise, elle serait en très grand péril.
R. Il me semble, veu la maladie que j’ay, que je suis en grant péril de mort. Et se ainsi est que Dieu vueille faire son plaisir de may, je vous requier avec confession, et mon saulveur aussi, et d’estre ensevelie en la terre saincte. .
Ad ce luy fut dit Se vouloiés (si vous vouliez) avoir les droictures et sacremens de l’Eglise, il faudrait que vous feissiez comme les bons catholiques dayvent faire, et vous submessiés (soumissiez) à saincte Eglise. R. Je ne vous en sçaroye maintenant autre chose dire.
Item. luy fut dit que, tant plus se crainct de sa vie pour la maladie, tant plus se devroit amender sa vie ; et ne aurait pas les droiz de l’Eglise. R. Se le corps meurt en prison, je me actend que le faciez mectre en terre saincte; se ne l’y faictes mectre, je m’en actend à Nostre Seigneur.
Item luy fut [dit] que autre fois elle avait dit en son procès que s’elle avait fait ou dit quelque chose qui fust contre nostre foy chrestienne, ordonnée de Notre Seigneur, qu’elle ne [le] vouldroit point soustenir. R. « Je m’en actend à la responce que j’en ay faicte et à Nostre-Seigneur. »
Item, luy fut faicte interrogacion, pour ce qu’elle dit avoir eu plusieurs fois révélacions de par Dieu, par saint Michiel, sainctes Katherine et Marguerite ; se il venait aucune bonne créature qui affirmast avoir eu révélacian de par Dieu, to’uchant le fait d’elle, s’elle le croirait. R. Qu’il n’y a crestien au monde qui venist devers elle, qui se deist (dit) avoir eu révélacion, qu’elle ne sceust (sait) s’il disait vray ou non; et le sçarait par sninctes Katherine et Marguerite.
Interroguée se elle ymagine point que Dieu puisse révéler chose à une bonne créature, qui luy soit incongneue:
R. Il est bon à savoir que ouil; mais je n’en croiroye homme ne femme se je n’avoye aucun signe.
Interroguée s’elle croit que la saincte Escripture soit révélée de Dieu, R. s Vous le sçavés bien; et est bon à savoir que ouil »
Item fut sommée, exhortée et requise de prendre le bon conseil des clercs et notables docteurs, et le croire pour le salut de son âme.
Sa dernière réponse, ( interroguée si elle se soumettait elle et ses actions à notre saincte mère l’Eglise), fut à savoir : « Quelque chose qui m’en doive advenir, je n’en ferai ou dirai autre chose; car j’en ai dit devant au procès. »
Et ce ainsi fait, les vénérables docteurs là présents, c’est à savoir maîtres Guillaume le Bouchier, Maurice du Quesnay, Jacques de Touraine, Guillaume Adeije et Gérard Feuillet, l’exhortèrent instamment pour qu’elle voulût se soumettre à notre sainte mère l’Eglise et ce en alléguant de nombreux exemples et autorités de la sainte Ecriture; et, entre autres exhortations, maître Nicolas Midi allégua en français le chapitre 18 de saint Mathieu, si ton frère, etc. Ce à quai Jeanne répondit qu’elle étoit bonne chrétienne et vouloit mourir telle.
Interragués, puisqu’elle requiert que l’Eglise luy baille san Créateur s’elle se vouldroit submectre à l’Eglise et on lui promectroit bailler, R. Qui de celle submission, elle n’en respondra autre chose qu’elle a fait ; et qu’elle ayme Dieu, le sert et est banne chrestienne, et vouldroit aidier et soutenir saincte Eglise de tout son povoir.
Interroguée s’elle vouldroit point qui en ordonnast une belle et notable procession pour la réduire en bon estat, s’elle n’y est, R. Qu’elle veult très bien que l’Eglise et les catholiques prient pour elle.
QUARANTE-SEPTIÈME SÉANCE
MERCREDI 2 MAI 1431.
En présence de l’évêque et de soixante-trois témoins, il est procédé à l’admonition publique de Jeanne par l’archidiacre d’Evreux, J. de Châtillon. Jeanne introduite, nous l’avons avertie d’être attentive et avons prié l’archidiacre de commencer. Ce qu’il a fait en remontrant d’abord à ladite Jeanne que tout chrétien est tenu de se soumettre à l’Eglise et à son autorité. « Requise si elle veut se corriger et s’amender conformément à la délibération des clercs, respand: « Luisez (lisez) vostre livre », c’est assavoir la cédule que tenait, ledit monseigneur l’arcediacre, « et puis je vous respandroy: « Je me actend à Dieu, mon Créateur, de tout; je l’aime de tout mon coeur. » « Et Interroguée s’elle veuit plus respondre à celle monicion générale, R. « Je m’en actend à mon juge: c’est le Roy du ciel et de la terre ». Après cette admonition générale, ledit archidiacre adressa divers avis spéciaux à la prévenue, conformément au mémorial ou programme ci-après : En premier lieu, il lui fut rappelé qu’autrefois elle avait dit que si on trouvait quelque erreur dans ses faits et dits, elle était prête à s’amender. Ce qui était une bonne et pieuse pensée. Or l’examen des clercs a mis en lumière dans ses réponses bien des points défectueux. Ne pas se soumettre à leur correction, ce serait de la part de Jeanne se mettre en grand péril de Corps et d’âme. R. Qu’autant elle a répondu autrefois sur ce sujet, autant elle en répond maintenant. Item luy fut déciairé [ce] que c’est que l’Eglise militante, etc. Et admonestée de croire et tenir l’article Unam sanctam Ecclesiam, etc., et à l’Eglise militante se submeictre (soumettre), R. « Je croy bien l’Eglise d’icy bas; mais de mes fais et dis, ainsi que autrefois j’ay dit, je me actend [et] rapporte à Dieu. Item dit: « Je cray bien que l’Eglise militant ne peut errer ou faiblir ; mais quant à mes dis et mes fais, je les meicts et rapporte du tout à Dieu, qui me a fait faire ce que je ay fait «. item dit qu’elle se submect à Dieu, son Créateur, qui [le] luy a fait faire; et s’en reporte à huy, à sa propre personne. Item interroguée s’elle veult dire qu’elle n’ait point de juge en terre et se nostre saint père le Pape est point son juge, R. « Je ne vous en diray autre chose. J’ai bon maistre, c’est assa Voir Notre-Seigneur, à qui je me actend de tout, et non à autre ». Item luy fut dit que, s’elle ne voulait croire l’Eglïse et l’article Ecclesiam sanctam catholicam, qu’elle serait hérétique de le soustenir, et serait pugnie d’estre arse par la sentence d’autres juges, R. « Je ne vous en diray autre chose, et se je véoye le feu, si diroye je tout ce que je vous dy, et n’en feroye autre chose ». Interroguée si le conseil (concile) général, comme nostre saint Père, les cardinaulx, etc., estoient cy, s’elle .s’i vouidroit rapporter et submeictre, respond : « Vous n’en tirerés autre chose. » Interroguée s’elle se veult subnieictre à nostre saint père le Pape, R. « Menés m’y, et je lui respondray. » Et autrement n’en a voulu respondre. Item, de l’abit, etc. R. de icelluy habit, qu’elle vouloit bien prendre longue robe et chaperon de femme, pour aler à l’église et recepvoir son Saulveur, ainsi que autrefois elle a respondu, pourveu que, tantoust après ce, elle le meist jus, et reprinst cestuy que elle porte. Item, du seurplus qui luy fut exposé de avoir prins abit d’ammé, et sans nécessité, et en espécial qu’elle est en prison, etc., R. « Quand je auray fait ce pourquoy je suis envoyée de par Dieu, je prendray habit de femme.» Interroguée s’elle croist qu’elle face bien de prendre habit d’omme, R. « Je m’en actend à Nostre-Seigneur » Item, à l’exhortacion que on luy faisait, c’est assavoir, que en ce qu’elle disoit qu’elle faisait bien, et qu’elle ne .peichoit point en portant ledit habit, avec les circonstances touchant le fait de prandre et porter le dit abit, et en ce qu’elle disait que Dieu et les saincts [le] luy faisoient faire, elle les blasphémoit, comme plus à plain est contenu en ladicte cédule, elle errait et faisait mal, R. Qu’elle ne blasphème point Dieu ne ses saints. Item amonnestée de se désister de porter l’abit, et de croire qu’elle face bien de le porter, et de reprandre abit de femme, R. Qu’elle n’en fera autre chose. Interroguée se, toutes fois que saincte Katherine et Marguerite viennent, s’elle se signe, R. Que aucunes fois elle fait signe de la croix, à l’autre fois, non. Item des révélations: R. Que de ce, elle s’en raporte à son juge, c’est assavoir Dieu ; et dit que ses révélacions sont de Dieu sans autre moyen. Interroguée si du signe baillé à son ray, elle se veult rapporter à l’arcevesque de Rains, au sire deBoussac, Charles de Bourbon, La Tremoulle et La Hire, aus quieulz ou aucun d’eulz elle autresfois a dit avoir monstré ceste couronne, et qu’ilz estoient présens, quant l’angle (ange) apporta ladite couronne.., et la bailla audit arcevesque; ou s’elle se veult rapporter aux autres de son party, lesquieulz escriprent soubz leurs seaulz qu’il en est, R. « Baillez ung messagier, et je leur escripray de tout ce procès ». Et autrement ne s’i est voulu croire ne rapporter à eulx. Item sur la témérité de sa croyance au sujet des choses futures, etc., R. « Je m’en rapporte à mon juge, c’est assavoir Dieu, et ad ce que autresfois j’ay respondu, qui est au1ivre » (au procès). Item interroguée se on Iuy envoye deuix, ou trois, au quatre des chevaliers de son party, qui viennent par sauf conduit cy, s’elle s’en veut rapporter à eulx de ses apparitions et choses Contenues en cest procès, R. Que on les face venir, et puis elle respondra. Et autrement ne s’i est voulu raporterne submeictre de cest procès. Interroguée se à l’Eglise de Poictiers, où elle a esté examinée, elle se veult raporter et submeictre, R. « Me cuidez-vous prandre parceste manière, et par cela attirer à vous? « Item, en conclusion, d’abondant et de nouvel, fut admaonnestée généralement de se submeictre à l’Eglise, et sur paine d’estre laissée par l’Eglise; et se l’Eglise la laissoit, elle serait en grand péril du corps et de l’âme et se pourrait bien meictre en péril de encourir paines du feu éternel, quant à l’âme, et du feu temporel, quant au corps. et par la sentence des autres juges, R. « Vous ne ferés jà ce que vous dictes contre moy, que il ne vous en pregne mal au corps et à l’âme. »
Interroguée qu’el[le] di[s]e une cause pourquoy elle ne se rapporte à l’Eglise à quoy elle ne voult faire autre reponce. » [Les clercs se retirent, Jeanne est reconduite en prison.]
1.18. QUARANTE-HUITIÈME SÉANCE
MERCREDI 9 MAI 1431.
[A Rouen, dans la grosse tour du château.] Jeanne a été requise et admonestée de dire la vérité sur plusieurs points qui lui furent rappelés et remontrés sur lesquels points elle avait nié ou déguisé la vérité. Il lui a été dit que si elle n’avouait pas la vérité, elle serait mise à la torture, dont les instruments sont prêts et présents. Voyant l’endurcissement de la prévenue et son mode de répondre et craignant que l’application de la torture fût peu efficace, nous y avons sursis pour le moment iusqu’à ce que nous en eussions délibéré. « Après les requisitions et monitions à elle faites par les juges et assesseurs, R. Vraiment, se vous me deviez faire détruire les membres et faire partir l’âme du corps, si, ne vous dirai-je autre chose ; et se aucune chose vous en disoy-je, après si diroye-je toujours que vous me le auriés fait dire par force. » Item dit que, à la Sainte-Croix [fête du 3 mai], oult le confort de saint Gabriel; « Et croiez que ce fust sainct Gabriel » ; et l’a sceu par ses voix que c’estoit saint Gabriel, Item dit qu’elle [a] demandé conseil à ses voix s’elle se submectroit à l’Eglise, pour ce que les gens d’église la pressaient fort de se submectre à l’Eglise, et ils luy ont dit que, s’elle veult que Nastre-Seigneur luy aide, qu’elle s’actende à luy de tous ses fais. Item dit qu’elle sçait bien que Nostre-Seigneur a esté toujours maistre de ses fais, et que l’ennemy [le dinble] n’avait oncques eu puissancesurces fais. Item, dit qu’elle a demandé à ses voix qu’elle sera arse (brûlée) et que lesdictes voix luy ont respondu que elle se actende à nostre Sire, et il luy aidera. Item du signe de la couronne qu’elle dit avoir baillé à l’arcevesque de Rains, Interroguée s’elle veuit rapporter à luy ‘respond: « faictes-le y[ci] venir, et que je l’oye parler, et puis je vous respon[d]ray; ne il ne oserait dire le contraire de ce que je vous en ay dit. »
1.19. QUARANTE-NEUVIÈME SÉANCE
SAMEDI 12 MAI 1431.
Le samedi suivant, dans notre maison d’habitation àRouen, furent présents par devant nous, juges, les assesseurs ci-dessous dénommés. Après avoir rappelé ce qui s’est passé mercredi dernier, nous avons mis en délibération si Jeanne serait appliquée à la torture. Il en a été délibéré comme suit: Me Raoul Roussel, trésorier de l’Église de Rouen, a dit que non, de peur qu’un procès si bien fait pût être calomnié. Me Nicolas de Venderès et A. Marguerie, chanoine de Ronen, non pour le moment. Me P. Erard, non; il y a assez ample matière contre elle pour qu’on n’ait pas besoin de la torture. R. Barbier, D. Gastinel: non. Aubert Mord, Th. de Courcelles: oui. N. Couppequesne, I. Ledoux, Is. de la Pierre; non, mais qu’elle sait exhortée de se soumettre à l’Eglise. N. Loyseleur: Il me semble que pour le remède de son âme, il serait bon de mettre ladite Jeanne à la torture. Toutefois s’en rapporte à l’avis des préopinants. Me G. Hecton, qui survint: non. Me Jean Lemaître dit qu’il faut demander de nouveau à la prévenue si elle veut se soumettre à l’Eglise militante. Attendu ces votes, nous avons conclu qu’il n’était pas nécessaire ni expédient de l’appliquer à la torture, et qu’il serait passé outre.
1.20. CINQUANTIÈME SÉANCE
SAMEDI 19 MAI 1431.
[Dans la chapelle du palais archiépiscopal de Rouen, l’évêque et le vice-inquisiteur, juges, assistés de cinquante docteurs et maîtres.] Le 19 avril, Me Jean Beaupère, Jacques de Touraine et Nicolas Midi quittaient Rouen afin d’aller soumettre les douze articles qu’on a lus plus haut à leurs collègues de l’Université de Paris. Celle-ci fut Convoquée le 29 avril, et il fut décidé que la décision à prendre serait confiée à la Faculté de théologie et à la Faculté des décrets, lesquelles, leur travail achevé, le soumettraient au corps entier de l’Université. Ce qui fut fait le 14 mai, toutes Facultés réunles.
Articles touchant les dits et faits de Jeanne dite la Pucelle 1.
I. Quant au 1er article,.., attendu la fin, le mode, l’a matière desdites révélations, la qualité de la personne, le lieu et autres circonstances, que ces révélations sont des mensonges feints, séducteurs et pernicieux, ou que les apparitions et révélations susdites sont superstitieuses et procèdent des esprits malins et diaboliques: Belial, Satan et Behemmoth. II. Ce que contient le 2e ne lui paraît pas vrai, mais mensonger, présomptueux, séductif, pernicieux, feint et dérogatif pour la dignité des anges. III. Les signes ne sont pas suffisants. Ladite femme croit légèrement et affirme témérairement. De plus, dans la comparaison qu’elle fait elle mécroit et erre en la foi. IV. Superstition, assertion divinatoire et présomptueuse, accompagnée d’une vaine jactance. V. Blasphème envers Dieu; mépris de Dieu dans ses sacrements; prévarication de la loi divine, de la doctrine sacrée, des sanctions ecclésiastiques; mécréance, erreur en la foi, vaine jactance. La prévenue est en outre suspecte d’idolâtrie et d’exécration d’elle et de ses vêtements, pour parler la langue des anciens gentils. VI. La prévenue est traîtresse, dolosive, cruelle, ayant soif de l’effusion du sang humain, séditieuse, provoquant à la tyrannie, blasphématrice de Dieu en ses mandements et révélations. VII. Elle est impie envers ses parents, méconnaît le précepte d’honorer ses père et mère; scandaleuse, blasphémeuse envers Dieu, erre en la foi, s’engage en promesse téméraire et présomptueuse. VIII. Pusillanimité tournant au désespoir et au suicide, assertion présomptueuse et téméraire; quant à la rémission de sa faute, faux sentiment du libre arbitre. IX. Assertion présomptueuse et téméraire, mensonge pernicieux, contradictoire au précédent article; mal senti en la foi. X. Assertion présomptueuse et téméraire, divination superstitieuse, blasphèmes envers saintes Catherine et Marguerite. Transgresse le commandement d’aimer son prochain. XI. Idolâtre, invocatrice des démons; erre en la foi; affirmation téméraire; serment illicite. XII. Schismatique, mal pensante de l’unité et autorité de l’Eglise, apastate et opiniâtrée jusqu’ici dans l’erreur.
Avis de la Faculté des décrets.
I. Elle est schismatique, le schisme étant la séparation illicite, par inobédience, de l’unité de l’Eglise, etc. II. Elle erre en la foi contre Unam sanctam. Et, dit saint Jérôme, quiconque y contredit n’est pas seulement mal avisé, malveillant et non catholique, mais hérétique. III. Apostate; car sa chevelure, que Dieu lui a donnée pour voile, elle l’a fait couper mal à propos, et de même, laissant habit de femme, elle s’est vêtue en homme. IV. Menteuse et devineresse se disant envoyée de Dieu, se vantant de parler avec les anges et les saints. V. Par présomption de droit, cette femme erre en la foi : 1° étant anathème par les canons de l’autorité et demeurant longuement en cet état ; 2° parce qu’elle dit aimer mieux ne pas recevoircorpus Christi, etc., plutôt que de reprendre habit de femme. Elle est aussi véhémentement suspecte d’hérésie, et doit être diligemment examinée sur les articles de foi. VI. Elle erre en ce qu’elle dit être sûre d’aller en paradis, etc.., Si donc ladite femme, charitablement admonestée, n’abjure publiquement au gré du juge et ne donne pas satisfaction convenable, elle doit être abandonnée au bras séculier, pour la juste punition de son crime. Lecture de ces pièces étant donnée, les docteurs et maîtres présents à l’assemblée délibèrent sur la cause.
1. « Soumis par ladite Faculté au jugement de notre saint-père le pape et au saint concile général », dit le texte. Il ne fut donné aucune suite à cette réserve.
1.21. CINQUANTE-UNIÈME SÉANCE
MERCREDI 23 MAI 1431.
[Dans une chambre du château de Rouen, voisine de la prison de Jeanne. L’évêque Cauchon et le vice-inquisiteur de la foi siégeant en leur tribunal; les évêques de Thérouenne et de Nayon, maîtres J. de Châtillon, J. Beaupère, N. Midi, G. Erard, F. Maurice, A. Marguerie, N. de Venderès, et J. d’Estivet, promoteur.] Maître Pierre Maurice lisant une cédule, fait à l’accusée un exposé de ses manquements. Il reproduit en douze griefs la substance des douze articles déjà connus avec un résumé de la délibération de l’Université de Paris. Jeanne a ensuite été admonestée en français, ainsi qu’il suit : « Jeanne, ma chère amie, il est temps maintenant, pour la fin de votre procès, de bien peser ce qui a été dit. Déjà quatre fois, tant par monseigneur de Beauvais que par les docteurs commis à cet effet, vous avez été avertie et admonestée soit publiquement, soit à part, et vous l’êtes de nouveau pour l’honneur et révérence de Dieu, pour la foi et la loi de Jésus-Christ, pour le rassérénement des consciences, pour l’apaisement du scandale causé, pour votre salut de l’âme et du corps. On vous a également démontré le dommage que vous avez encouru pour votre âme et votre corps, à moins que vous ne corrigiez et amendiez vos faits et vos dits en les soumettant à l’Eglise et en acceptant son jugement; ce à quoi jusqu’ici vous n’avez pas voulu entendre. Déjà plus d’un, parmi vos juges, aurait pu se contenter des éléments acquis à la cause. Cependant par zèle pour le salut de votre âme et de votre corps, ils ont transmis l’examen de cette matière à l’Université de Paris, qui est la lumière des sciences et l’extirpatrice des hérésies. Après avoir reçu les délibérations de cette compagnie, vos juges ont commandé que vous seriez avertie de nouveau de vos erreurs, scandales et défauts, vous priant,exhortant et avertissant, par les entrailles de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, pour la rédemption du genre humain, a voulu souffrir une mort si cruelle, de corriger vos faits et de les soumettre à l’Eglise, comme tout ban chrétien doit le faire. Ne permettez pas que vous soyez séparée de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vous a créée pour participer à sa gloire. N’élisez pas volontairement la voie de damnation éternelle avec les ennemis de Dieu, qui chaque jour s’efforcent d’inquiéter les hommes, en prenant le masque du Christ, des anges et saints, soi-disant tels, comme il est à plein contenu dans les vies des Pères et les Ecritures. Conséquemment, si de telles visions vous sont apparues, n’y attachez pas votre créance. Repoussez au contraire de telles imaginations, acquiescez à l’avis des docteurs de l’Université de Paris, et autres, qui connaissent la loi de Dieu et la sainte Ecriture. Ils vous représentent que l’on ne doit pas croire à de telles apparitions, ni à aucune nouveauté insolite et prohibée, à moins de prophétie et de miracle. Or ni l’un ni l’autre n’appuie votre présomption. Vous y avez cru légèrement, au lieu de recourir à la prière et à la dévotion, pour vous en assurer. Vous n’avez pas invoqué non plus de prélat ou autre docteur ecclésiastique qui pût vous instruire : ce que néanmoins vous auriez dû faire, attendu votre état intellectuel et votre simplicité. Prenons un exemple : si votre roi, de son autorité, vous avait donné à garder quelque forteresse, en vous défendant d’y recevoir aucun survenant; quelqu’un, je suppose, se présente en disant qu’il vient de par le roi: eh bien! s’il ne vous offrait en même temps des lettres ou autres signes certains, vous ne devriez pas le croire et le recevoir. De même, lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ montant au ciel, commit à l’apôtre saint Pierre et à ses successeurs le gouvernement de son Eglise, il leur défendit pour l’avenir d’accepter qui que ce fût se présentant en son nom, à moins qu’ils n’en justifiassent autrement que par leurs propres assertions. Donc, tenez pour certain que vous ne deviez pas croire à ceux que vous dites s’être ainsi présentés à vous ; et nous, nous ne devons pas vous croire, puisque le Seigneur nous commande le contraire.
1° Jeanne, vous devez considérer ceci: lorsque vous étiez sur les domaines de votre roi, si un chevalier ou autre natif ou sujet, de son obéissance, s’était insurgé en disant : Je n’obéirai pas au roi, ni ne me soumettrai à ses officiers; ne l’auriez-vous pas jugé condamnable? Quel jugement porterez-vous donc de vous-même, enfantée par le sacrement de baptême en la foi du Christ, devenue fille de l’Eglise et l’épouse de Jésus-Christ, si vous n’obéissez aux officiers du Christ, c’est-à-dire aux prélats de l’Eglise ? Quel jugement donnerez-vous de vous-même? Désistez-vous, je vous prie, de vos assertions, si vous aimez Dieu, votre créateur, votre précieux époux et votre salut. Obéissez à l’Eglise en acceptant son jugement. Sachez que si vous ne le faites, si vous persévérez dans cette erreur, votre âme sera damnée au supplice et aux tourments éternels; et, pour votre corps, je doute beaucoup qu’il vienne à perdition. Ne vous laissez pas retenir par le faux respect humain, par in vergogne inutile, qui peut-être vous dominent, à raison des grands honneurs que vous avez eus et ~que vous aurez perdus en agissaût comme je vous dis.
Préférez à cela l’honneur de Dieu et votre salut, tant de l’âme que du corps. Vous perdrez l’un et l’autre si vous ne faites pas ce que je vous dis, car vous vous réparez àinsi de l’Eglise et de la foi que vous avez promise au saint baptême. Vous enlevez à l’Eglise l’autorité de Dieu, qui cependant la guide, la conduit et gouverne de son autorité et de son esprit. Il a dit aux prélats de l’Eglise « Qui vous écoute, m’écoute; qui vous méprise, me méprise ». Donc, en ne voulant pas vous soumettre à l’Eglise. de fait vous vous retirez, vous refusez de vous. soumettre à Dieu, vous errez contre l’article Unam sanctam; et, quant à ce qu’est l’Eglise ou son autorité, on vous l’a précédemment déclaré dans les précédentes. admonitions. Donc, au nom de mes seigneurs de Beauvais et le vicaire de l’Inquisistion, vas juges, je vous avertis, priep exhorte, afin que, par la piété que vous portez à la Passion de votre Créateur, par l’amour que vous portez à votre salut spirituel et corporel, vous corrigiez et amendiez les susdites erreurs; que vous retourniez à la voie de vérité en obéissant à l’Eglise, en vous soumettant aux jugements et déterminations sus-énoncés. En agissant ainsi, vous sauverez votre âme ; vous rachèterez, je pense, votre corps de la mort. Mais si vous ne le faites pas, si vous persévérez, sachez que votre âme sera vouée à la damnation, et votre corps, je le crains,. à la destruction. Que Jésus-Christ daigne vous préserver. » Sur le premier et sur les autres articles ; sur les qualifications exposées solennellement à ladite Jeanne par maître P. Maurice, sur les admonitions et requêtes charitables faites à ladite Jeanne, celle-ci répond : « Quant à mes fais et mes diz que j’ay diz au procès, je m’y raporte et les veulx soustenir. » Item interroguée s’elle cuide et croist qu’elle ne soit point tenue submeictre ses diz et fais à l’Eglise militant ou à autres que Dieu, R. « La manière que j’ay tous-jours dicte et tenue en procès, je la vueil maintenant quand ad ce ». Item dit que, s’elle estait en jugèment, et véoit le feu alumé, et les bourreaux alumer, et le bourreau prest de bouter le feu, et elle estoit dedans le feu, si n’en dyroit-elle autre chose, et soustendroit ce qu’elle a dit en procès jusqu’à la mort. Nous avons ensuite demandé au promoteur et à l’accusée s’ils voulaient ajouter quelque chose. Sur leur réponse négative, nous avons procédé à la conclusion de la cause, selon la teneur d’une cédule que nous, évêque, tenions en nos mains, dont la teneur suit Nous, juges compétents, nous déclarant et agissant comme tels sur votre renonciation et vous ayant pour renoncé nous concluons en la cause. La cause conclue,. nous vous assignons au jour de demain pour entendre par nous faire droit et prononcer la sentence comme aussi pour faire et procéder ultérieurement ainsi qu’il sera de droit et de raison. [La séance est levée.]
1.23. CINQUANTE-DEUXIÈME SÉANCE
JEUDI 24 MAI 1431.
[Dans la préface de ce livre nous avons montré l’iniquité de la séance du cimetière de Saint-Ouen. Les preuves de l’imposture sont aujourd’hui évidentes; et l’abjuration, au sens où on l’entendait, n’a jamais été faite. Jeanne a témoigné de sa soumission, de sa déférence; elle n’a rien désavoué de son passé. La formule qu’elle a consenti à signer ne contredit en rien ses affirmations au procès. Elle n’a eu ni faiblesse, ni chute: ce point est indiscutable. Afin de permettre l’étude de cet épisode, nous donnons ici, non pas le récit véritable, mais le document falsifié du faux acte d’abjuration.] Ledit jour jeudi après la Pentecôte, au matin, nous juges, nous sommes transportés en lieu public dans le cimetière de l’abbaye de Saint-Ouen de Rouen, Jeanne étant présente devant nous sur un échafaud ou ambon. Là, nous avons d’abord fait prononcer une solennelle prédication par illustre maître Erard, docteur en sainte théologie, pour l’admonition salutaire de ladite Jeanne , et de tout le peuple assistant en grande multitude. Nous assistaient: Révérendissime père en Jésus-Christ (de Beaufort) par la permission divine cardinal prêtre du titre de Saint-Eusèbe, de la sacro-sainte Eglise romaine, vulgairement appelé le cardinal d’Angleterre ; RR. PP. en Dieu les évêques de Thérouanne, Noyau, Norwich ; Messeigneurs les abbés de la Sainte-Trinité de Fécamp, de Saint-Ouen de Rouen, de Jumièges, de Bec-Hélouin, de Cormeilles, de Saint-Michel-au-péril-de-la-Mer, de Mortemer, de Préaux; Les prieurs de Longueville-Giffard et de Saint-Lô de Rouen; Maîtres J. de Châtillon, J. Beaupère, N. Midi, P. Houdenc, P. Maurice, J. Faucher, G. Haiton, N. Coppequesne, Th. de Courcelles, R, Sauvage, R. du Grouchet, P. Minier, J. Pigache, J. Duchemin, M. du Quesnoy, G. Boucher, J. Lefèvre, R. Roussel, J. Garin, N. de Venderès, J. Pinchon, J. Ledoux, R. Barbier, A. Marguerie, J. Alépée, Aubert-Morel, J. Colombel, D. Gatinel. Le docteur susnommé a pris son thème au chap. XV de saint Jean: « Le palmier ne peut fructifier par lui-même s’il ne reste en la vigne ». Il dit ensuite que tout catholique devait rester en la vraie vigne de notre sainte mère l’Eglise que la droite du Christ a plantée. Il a montré que ladite Jeanne s’était séparée de l’unité de cette même sainte mère l’Eglise, par beaucoup d’erreurs et de crimes graves : qu’elle avait ainsi maintes fois scandalisé le peuple chrétien admonestant Jeanne et tout le peuple. Après la prédication, M. le prédicateur dit à Jeanne : « Veecy Messeigneurs les juges, qui plusieurs fois vous ont soumis et requise que voulsissiez submectre tous vous fais et dis à nostre mère saincte Eglise : et que, en ses diz et fais, estoient plusieurs choses, lesquels, comme il semblait aux clercs, n’estoient bonnes à dire ou soustenir. » A quoy elle respond: « Je vous respondray ». Et à la submission de l’Eglise, dist : « Je leur ay dit en ce point de toutes les oeuvres que j’ay faictes, et les diz soient envoyés à Romme devers nostre saint père le pape, duquel et à Dieu premier je me rapporte. Et quant aux dis et fais que j’ay fais, je les ay fais de par Dieu. » Item dit que, de ses fais et dis, elle ne charge quelque personne, ni son roy, ni autre; et s’il y a quelque faulte, c’est à elle et non à autre. Interroguée se les fais et dis qu’elle a fais, qui sont réprouvez, s’elle les veult révoquer, R. « Je m’en raporte à Dieu et à nostre saint père le pape. » Et pour ce, il luy dit que il ne suffisait pas, et que on ne pavait pas pour [cela] aler querir nostre saint père si bing; aussi que les ordinaires estaient juges chacun en leur diocèse; et pour ce estoit besoing qu’elle se rapportast à nostre mère saincte Eglise, et qu’elle tenist ce que les clercs et gens en ce se congnoissans en disaient et avaient déterminé de ses dix et fais, et de ce fut amonnestée jusques à la tierce monicion. Et après ce, comme la sentence fut encommencée à lire, elle dit qu’elle vouloit tenir tout ce que les juges et l’Eglise vouldroient dire et sentencier, et obéir du tout à l’ordonnance et voulenté d’eulx. Et alors, en la présence des dessusdits et grant multitude de gens qui là estoient, elle révoqua et fist son abjuracion en la manière qui en suit... Et dist plusieurs fois que, puisque les gens d’Eglise disoient que ses apparicions et révélacions n’estoient point à soustenir ni à croire, elle ne voulait soutenir; mais du tout s’en rapportait aux juges et à nostre mère saincte Eglise. Et ensuite la sentence fut prononcée par MM. les juges comme il sera exprimé ci-après.
1.24. CINQUANTE-TROISIÈME SÉANCE
JEUDI 24 MAI, APRÈS-MIDI.
A ladite heure (après-midi), nous frère Jean Lemaître, vicaire susdit, assisté de N. Midi, N. Loyseleur, Th. de Courcelles, Is. de la Pierre et plusieurs autres, nous sommes transportés dans la prison de Jeanne où elle était. Il lui a été exposé par nous et d’autres, que Dieu, en ce jour, lui avait fait une grande grâce, et aussi les ecclésiastiques, en la recevant en grâce et miséricorde de notre sainte mère l’Eglise; que, par ces motifs, elle devait obéir humblement à la sentence et au commandement des juges et ecclésiastiques; quelle devait abandonner tout à fait ses anciennes erreurs et inventions, sans y plus revenir. Nous lui avons signifié que si elle y retombait, l’Eglise ne la recevrait plus, mais l’abandonnerait totalement. Ensuite il lui a été dit qu’elle quittât ses habits d’homme et prît ceux de femme, comme il lui avait été commandé par l’Eglise. Ladicte Jeanne a répondu qu’elle prendrait volontiers l’habit de femme et qu’elle obéissait ponctuellement aux ecclésiastiques. Ayant donc reçu l’habillement féminin qui lui était présenté, elle le revêtit en dépouillant sur le champ son costume d’homme. Elle se baissa en outre enlever et raser les cheveux qu’elle portait auparavant taillés au rond.
1.25. DEUXIÈME JUGEMENT 1.26. CINQUANTE-QUATRIÈME SÉANCE
LUNDI 28 MAI 1431.
Le lundi suivant 28 mai, en présence de R. P. en J.-C. et seigneur Monseigneur l’évêque de Beauvais, et de religieuse personne frère Jean Lemaître, vicaire..., s’assemblèrent mes seigneurs maîtres : N. de Venderès, G. Haiton, Th. de Courcelles, frère Is. de la Pierre, Furent aussi présents : Jacques Camus, Nicolas Bertin, Julien Fbosquet et J. Gris. Par-devant lesquels comparut ladite Jeanne. Or, comme celle-ci était vêtue et habillée en homme, à savoir de robe courte, chaperon, gippon, et autres vêtements masculins, vêtements que, par ordre de mes seigneurs, elle avait naguère quittés pour reprendre. habit de femme, nous l’avons interrogée pour savoir quand et pourquoi elle avait repris habit d’homme. R. Qu’elle a nagaires reprins ledit abit d’omme, et lessié l’abit de femme. Interroguée pourquoy elle l’avait prins, et qui luy avoit fait prandre, R. Qu’elle l’a prias de sa vollenté, sans nulle contraincte, et qu’elle ayme mieulx l’abit d’omme que de femme. Item luy fut dit qu’elle avoit promis et juré non repprandre ledit abit d’homme, R. Que oncques n’entendi qu’elle eust fait le serement de non le prendre. Interroguée pour quelle cause elle l’avait reprins. R. Que, pour ce qu’il luy estait plus licite de le reprendre et avoir habit d’omme, estant entre les hommes, que de avoir habit de femme. Item dit qu’elle l’avait reprins, pour ce que on ne luy avait point tenu ce qu’on luy avait promis, cest assavoir qu’elle irait à la messe et recevrait son Sauveur, et que on la mectroit hors des fers. Interroguée s’elle avait abjuré et mesmement de celui habit non reprandre, R. Qu’elle ayme mieulx à mourir que de estre ès fers, mais se on la veult laisser aler à la messe et oster hors des fers et meictre en prison gracieuse, et qu’elle eust une femme, elle sera bonne et fera ce que l’Eglise vauldra. Interroguée se, depuis jeudi, elle a point ouy ses voix, R. Que ouil. Interroguée qu’elles luy ont dit, R. Qu’elles luy ont dit que Dieu luy a mandé par sainctes Katherine et Marguerite la grande pitié et trayson que elle consenty en faisant l’abjuracion et révocacion pour sauver sa vie; et que elle se dampnoit pour sauver sa vie. Item dit que, au devant de jeudi, que ses voix luy avoient dit ce que elle ferait, qu’elle fist ce jour. Dit oultre que ses voix luy disrent en l’escharfault que elle respondit à ce preseheur hardiement, et lequel prescheur elle appelait faulx prescheur, et qu’il avait dit plusieurs choses qu’elle n’avoit pas foictes. Item dist que, se elle disoit que Dieu ne l’avait envoyée, elle se dampneroit; que vray est que Dieu l’a envoyée. Item dist que ses voix luy ont dit depuis, que avait fait grande mauvestié de ce qu’elle avait fait, de confesser qu’elle n’eust bien fait. Item, dit que de paour du feu, elle a dit ce qu’elle a dit. Interroguée s’elle croist que ses voix soient saincte Marguerite et saincte Katherine, R. Que ouil et de Dieu. Interroguée de la couronne, R. « De tout je vous en ay dit la vérité au procès, le mieulx que j’ay sceu. » Et quant ad ce qui luy fut dit que en l’escharfault avoir dit, mansongeusement elle s’estoit vantée que s’estoient sainctes Katherine et Marguerite, R. Qu’elle ne l’entendoit point ainsi faire ou dire. Item dit qu’elle n’a point dit ou entendu révoquer ses apparicions, c’est assavoir que ce fussent sainctes Marguerite et Katherine ; et tout ce qu’elle a fait, c’est de paour de feu, et n’a rien révoqué que ce ne soit contre la vérité. Item dit qu’elle ayme mieulx faire sa pénitance à une fois, c’est assavoir à mourir, que endurer plus longuement paine en chartre. Item dit qu’elle ne fit oncques chose contre Dieu ou la foy, quelque chose que on luy ait fait révoquer ; et que ce qui estoit en la cédule de l’abjuracion, elle ne l’entendait point. Item dit qu’elle dist en l’eure [qu’elle était sur l’échafaud] qu’elle n’en entendoit point revoquer quelque chose, se ce n’estoit pourvu qu’il plust à nostre Sire (Dieu). Item dit que se les juges veullent, elle reprandra l’habit de femme ; du résidu, elle n’en fera autre chose.
1.27. CINQUANTE-CINQUIÈME SÉANCE
MARDI 29 MAI 1431.
[Dans la chapelle de l’archevêché, à Rouen.] Dernière délibération.
N. de Venderès : Jeanne doit être et est considérée hérétique. La sentence ayant été portée par les juges, Jeanne doit être abandonnée au bras séculier, avec prière de la vouloir traiter bien doucement. Gilles, abbé de Fécamp : Jeanne est relapse. Cependant il est bon de lui relire la cédule comminatoire qui lui a été lue dernièrement et de la lui expliquer en lui prêchant la parole divine. Cela fait, les juges ont à la déclarer hérétique, puis à l’abandonner au bras séculier avec prière de la traiter bien doucement. J. Pinchon: Elle est relapse. Pour le reste s’en rapporte aux théologiens. G. Erard : Relapse, et partant doit être abandonnée (comme M. de Fécamp). R. Gilbert, comme G. Erard. L’abbé de Saint-Ouen, J. de Châtillon, E. Emengard, G. Boucher, le prieur de Longueville, G. Haiton, A. Marguerie, J. Alépée, J. Garin, comme M. de Fécamp. D. Gastinel : Cette femme est hérétique et relapse ; elle doit être abandonnée au bras séculier sans recommandation de la traiter doucement. P. de Vaux: idem. P. de Houdenc, J. Nibat, Guillaume abbé de Mortemer, J. Guesdon, N. Coppequesne, G. du Desert, P. Maurice, Baudribosc, Cavai, Loyseleur, Desjardins, Tiphaine, du Livet, du Crotoy, P. Correl, Ledoux, Colombel, Morel, Ladvenu, Dugrouchet, Pigache, Delachambre médecin, comme M. de Fécamp. Th. de Courcelles, Is. de la Pierre, comme M. de Fécamp. Ils ajoutent que cette femme doit être encore avertie charitablement pour le salut de son âme, en lui représentant qu’elle n’a plus rien à espérer de sa vie temporelle. J. Mauget, comme M. de Fécamp.
1.28. L’EXÉCUTION SUR LA PLACE DU VIEUX MARCHÉ 30 Mai 1431.
1.29. CINQUANTE-SIXIÈME SÉANCE
MERCREDI 30 MAI, VERS 9 HEURES DU MATIN, A ROUEN, SUR LE VIEUX MARCHÉ.
Par exploit de Jean Massieu, prêtre, Jeanne, ayant été citée, comparaît: Présents et assistants : Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, et fr. Jean Lemaître, de l’ordre de Saint-Dominique, juges. [Henri de Beaufort, cardinal d’Angleterre 1.] Les évêques de Thérouanne et de Noyon. J. de Châtillon, A. Marguerie, N. de Venderès, R. Rousse!, D. Gastinel, G. le Bouchier, Th. de Courcelles, J. Alépée, P. de Houdenc, P. Maurice, G. Haiton, le prieur de Longueville, R. Gilebert, [J. Lefebvre,
1. Le cardinal d’Angleterre témoin au cimetière de Saint-Ouen ne figure pas parmi les membres présents au Vieux-Marché, Cf. L’Averdy. Notice des mss. du procès, in-4°, 1790, p. 155, n’°111. Il paraît toutefois certain, d’après divers témoignages, que le prélat assiste au prononcé et à l’exécution de la sentence, Quicherat, Procès, t. II, p. 6; t. III, p. 185; Vallet de Viriville, Procès, p. 240, notes.
J. Garin 1] et beaucoup d’autres seigneurs et maîtres, ecclésiastiques, fut amenée ladite Jeanne par-devant nous, par Jean Massieu, à la vue du peuple réuni en foule, et placée sur un échafaud ou ambon. Pour l’admonester salutairement et édifier les peuples, une prédication solennelle a été faite par illustre docteur eu théologie M. Nicolas Midi. Celui-ci a pris pour thème la parole de l’apôtre écrite au chapitre XIe de la Ire aux Corinthiens « Si un membre souffre, tous les autres membres souffrent. » La prédication finie, nous avons de nouveau averti ladite Jeanne qu’elle pourvût au salut de son âme; qu’elle songeât à ses méfaits pour en faire pénitence avec vraie contrition. Nous l’avons exhortée de croire aux conseils des clercs et notables hommes qui l’instruisaient et enseignaient touchant son salut; spécialement des deux vénérables frères qui l’assistaient et que nous y avions commis pour cet effet 2. Cela fait, nous évêque et vicaire, eu égard à ce qui précède. D’où il résulte que ladite femme, obstinée dans ses erreurs, ne s’est jamais sincèrement désistée de ses témérités et crimes infâmes; que, bien plus et loin de là, elle s’est montrée évidemment plus condamnable, par la malice diabolique de son obstination en feignant une contrition fallacieuse et une pénitence et amendement hypocrite, avec parjure du saint nom de Dieu et blasphème de son ineffable majesté; attendu qu’elle s’est montrée ainsi, — comme obstinée, incorrigible, hérétique et relapse — indigne de toute grâce et communion que nous lui avions miséricordieusement offertes dans notre première sentence; tout considéré, sur la délibération et conseil de nombreux consultants, nous avons procédé à notre sentence définitive, en ces termes. Au nom de Dieu, amen. Toutes les fois que le venin pestilentiel de l’hérésie s’attache à l’un des membres de l’Eglise, et le transfigure en un membre de Satan, il faut s’étudier avec un soin diligent à ce que l’infâme contagion de cette lèpre ne puisse gagner les autres parties du corps mystique de Jésus-Christ. Les préceptes des saints Pères ont en conséquence prescrit qu’il valait mieux séparer du milieu des justes les hérétiques endurcis que de réchauffer un serpent aussi pernicieux pour le reste des fidèles dans le sein de notre pieuse mère l’Eglise. C’est pourquoi nous, Pierre, etc., Jean, etc., juges compétents en cette partie, nous t’avons déclarée par juste jugement, toi, Jeanne, vulgairement appelée la Pucelle, être tombée en diverses erreurs et crimes de schisme, idolâtrie, invocation des démons et beaucoup d’autres délits. Néanmoins comme l’Eglise ne ferme pas son sein au pécheur qui y retourne, nous, pensant que tu avais de bonne foi abandonné ces erreurs et ces crimes, attendu que certain jour tu les as désavoués, que tu as publiquement juré, voué et promis de n’y plus retourner sous aucune influence ou d’une manière quelconque, mais que tu préférais demeurer fidèlement et constamment dans la communion, ainsi que dans l’unité de l’Eglise catholique et du pontife romain, comme il est plus explicitement contenu dans ta cédule souscrite de ta propre main; attendu néanmoins que, après cette abjuration, séduite dans ton coeur par l’auteur de schisme et d’hérésie, tu es retombée dans ces délits, ainsi qu’il résulte de tes déclarations, ô honte! itératives, comme le chien retourne à son vomissement; attendu que nous tenons pour constant et judiciairement manifeste que ton abjuration était plutôt feinte que sincère. Pour ces motifs, nous te déclarons retombée dans les sentences d’excommunication que tu as primitivement encourues, relapse et hérétique, et par cette sentence émanée de nous siégeant au tribunal, nous te dénonçons et prononçons, par ces présentes, comme un membre pourri, qui doit être rejeté et retranché de l’unité ainsi que du corps de l’Eglise, pour que tu n’infectes pas les autres. Comme elle, nous te rejetons, retranchons et t’abandonnons à la puissance séculière, en priant cette puissance de modérer son jugement envers toi en deçà de la mort et de la mutilation des membres, priant aussi que le sacrement de pénitence te soit administré, si en toi apparaissent les vrais signes de repentir. Suit la sentence spéciale d’excommunication.
1. Ces noms figurent dans un acte spécial dressé pour commémorer les condainsiations et produit en justice lors du procès de réhabilitation. Cf. Quicherat, Procès, t. III, p. 386. 2. Fr. Isambard de la Pierre et fr. Martin Ladvenu, dominicains.