En cette fin de XIIe siècle, le fracas des épées et le tumulte des croisades secouent les terres de Palestine. Les royaumes latins d’Orient, issus de la Première Croisade, peinent à se maintenir face à la puissance grandissante de Saladin, le sultan d’Égypte et de Syrie. L’année 1177 marque un tournant inattendu : alors que les croisés semblent affaiblis, c’est dans les plaines proches de Ramla, à Montgisard, qu’un affrontement décisif va surprendre le monde chrétien et musulman.
Le roi de Jérusalem, Baudouin IV, atteint de la lèpre mais déterminé, prend les armes aux côtés d’un petit contingent de chevaliers face à une armée ayyoubide bien supérieure en nombre. Ce qui s’annonce comme un massacre devient un exploit militaire retentissant, un de ces rares moments où la volonté d’un roi, la foi de ses hommes et l’audace stratégique renversent le cours de l’histoire.
Lors de la bataille de Montgisard, une grande partie des armées franques sont en Syrie. Saladin veut profiter de ce moment pour fondre sur Jérusalem. Saladin se dirigea d’abord sur Gaza mais les templiers prévenus de l’arrivée de Saladin ont fortifié à la hâte le Château. Saladin préféra donc contourner pour aller à la ville d'Alascon. Baudouin IV avec ses chevaliers fondit vers la ville pour la défendre. Saladin encore une fois préféra rebrousser chemin et se diriger directement vers Jérusalem.
Cependant, il va éparpiller une partie de son armée pour permettre le pillage et harceler par vagues d’attaques les positions chrétiennes. Saladin ne pensait pas que Baudouin IV représentait un danger avec si peu d’hommes, ce qui fut une erreur, comme nous le verrons plus tard. Saladin prit, sur le chemin, la ville de Ramla, et assiégea les villes de Lydda et d’Arsuf. Baudouin IV comprit qu’il avait une carte à jouer et réunit le plus de chevaliers disponibles possible, estimés à 300-400 chevaliers (1), environ 80 Templiers (1) et un millier de fantassins (1).
Le lieu où les forces franques de Baudouin IV et celles de Saladin se rencontrèrent fut Montgisard, à l’ouest de Jérusalem, vers Tell al-Safiya (lieu exact non déterminé aujourd’hui). Bien qu’une partie de l’armée de Saladin ait été fragmentée, les chevaliers se retrouvèrent dans un rapport d’au moins un contre vingt. Baudouin était accompagné par le tumultueux Renaud de Châtillon, seigneur de Kerak, de Balian d’Ibelin et – surtout – des reliques de la Sainte Croix, malgré les réticences des religieux. Ces reliques avaient un effet psychologique dévastateur sur les ennemis arabes, car elles étaient associées à de nombreuses victoires ; la croix portée en tête de l’armée était visible de très loin. Jusqu’à la bataille de Hattin, toutes les batailles menées avec la Sainte Croix avaient été victorieuses.
L’armée dirigée par Saladin, déjà battue par Baudouin IV en 1176, comptait environ 20 000 à 30 000 combattants (1). Il faut cependant nuancer : la grande majorité des armées musulmanes de l’époque étaient généralement peu entraînées et peu disciplinées. Cela n’enlève rien à l’exploit héroïque de l’armée franque, d’autant plus que la faiblesse tactique des armées arabes était largement compensée par leur supériorité numérique. On peut faire un parallèle inversé avec la bataille des Thermopyles, où, malgré la bravoure de Léonidas et de ses 300 hoplites spartiates, tous furent anéantis face aux milliers de Perses. Le nombre est souvent un facteur de succès militaire, surtout en raison de son impact psychologique… mais pas toujours !
C’est donc « comme une mer » que l’armée arabe se présente contre les forces de Baudouin IV. À ce moment-là, Saladin est totalement abasourdi ! Il ne s’attendait pas du tout à ce que Baudouin IV engage le combat : c’est une attaque surprise et, à première vue, suicidaire.
Il faut imaginer une marée humaine qui, pour l’époque, était déjà très impressionnante. Michel le Syrien dit :
« Quand le Dieu qui fait paraître sa force dans les faibles inspira le roi infirme... Il descendit de sa monture, se prosterna la face contre terre devant la Croix (saintes reliques) et pria avec des larmes. À cette vue, le cœur de tous ses soldats fut ému. Ils étendirent tous la main sur la croix et jurèrent de ne jamais fuir et, en cas de défaite, de considérer comme traître et apostat quiconque fuirait au lieu de mourir. »
Cette fin de phrase est assez emblématique de l’idéal chevaleresque français : une attitude souvent respectée mais qui mènera, par exemple, au désastre d’Azincourt. Les saintes reliques étaient souvent emportées pendant les combats. On peut imaginer l’émotion face à une telle armée, surtout en étant aussi peu nombreux.
À la surprise générale, les chevaliers francs fondirent courageusement sur les hommes de Saladin et, comme dans du beurre, éventrèrent l’armée arabe. Ce fut un véritable carnage : l’armée de Saladin fut complètement submergée par 400 chevaliers. Plusieurs officiers musulmans furent tués, et Saladin faillit perdre la vie.
Protégé par sa garde rapprochée de mamelouks, forte d’environ 1 000 hommes, les chevaliers fondent à nouveau comme une masse, au point de s’approcher dangereusement de Saladin. Il est à deux doigts d’être tué, mais parvient à s’échapper dans le désert à la faveur de la nuit tombante. L’armée de Saladin est presque anéantie, et les rares survivants s’éparpillent dans le désert.
La victoire fut écrasante et marqua profondément l’esprit de Saladin et de son armée. Les forces franques – on pourrait presque dire françaises, bien que ce soit anachronique – étaient déjà redoutées, et cette victoire à un contre vingt ne fit que renforcer leur aura. Saladin semblait avoir du respect pour Baudouin IV, et préférait parfois éviter l’affrontement, ce qui lui valut le surnom de « Saladin le Sage ». Une sagesse davantage motivée par le souci d’épargner son armée et d’éviter des massacres inutiles que par une quelconque générosité.
Cette victoire éclatante d’un roi diminué par la lèpre – une maladie terrible à l’époque, atroce et profondément mutilante – fit de Baudouin IV un roi légendaire, qui préféra mourir malade sur le champ de bataille plutôt que dans son lit, contrairement aux conseils prudents de la majorité de sa cour. Elle permit par ailleurs de conclure un accord entre Saladin et Baudouin IV, assurant environ quatre années de paix relative.
Compléments sur la bataille
(1) : Le chiffre exact n’est pas connu. On peut estimer qu’il y avait entre 400 et 500 chevaliers et Templiers, plus environ un millier de fantassins (archers, etc.) du côté des croisés, et entre 10 000 à 30 000 guerriers du côté de Saladin. Si le nombre de croisés est relativement bien établi, celui de Saladin est moins certain, car son armée, très nombreuse, était alors dispersée. Lors de la bataille de Montgisard, elle n’était pas au complet. On estime à 10 000 le nombre minimum de ses troupes présentes ; 20 000 semble plus probable, et 30 000 paraît excessif.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette victoire étonnante :
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La Sainte Croix : Sa présence galvanisait les troupes. Toutes les batailles où elle fut présente furent remportées, sauf Hattin. Le film Arn, chevalier du Temple illustre bien cet aspect : lorsqu’un Templier entre avec la Croix et dit “nous sommes protégés”, c’est crédible et plus réaliste que dans Kingdom of Heaven.
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Rien à perdre : Les croisés étaient peu nombreux, la majorité étant mobilisée ailleurs, notamment dans le Comté de Tripoli. L’attaque de Saladin devait être une surprise, mais c’est lui qui fut pris de court. À seulement 15 ou 16 ans, Baudouin IV n’avait pas le choix : laisser Jérusalem sans défense aurait été trop risqué. Il fallait frapper vite, fort et par surprise.
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Les Templiers : Ce n’était pas une armée ordinaire. Très bien entraînés, expérimentés, organisés, on pourrait les comparer à une force spéciale moderne. Leur présence dans une bataille était un atout décisif. Saladin le savait : à Hattin, il fit exécuter tous les Templiers et Hospitaliers capturés (plus de 300), les jugeant trop dangereux.
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Les grands chefs croisés : Arnaud de Toroge, Eudes de Saint-Amand, Raymond III de Tripoli, Baudouin IV et Philippe d’Alsace furent des piliers de la résistance. Leur disparition, en particulier celle de Toroge et de Baudouin IV, provoqua des divisions internes qui contribuèrent à la défaite d’Hattin.
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L’armée de Saladin : Nombreuse mais hétérogène. Elle était souvent constituée d’esclaves ou de soldats enrôlés de force, peu motivés, mal entraînés, issus de communautés disparates. Seules quelques unités, comme les mamelouks ou certains cavaliers arabes, étaient vraiment efficaces.
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La logistique : Une grande armée est lente, complexe à manœuvrer, surtout dans un relief accidenté ou désertique. Baudouin IV a exploité cette faiblesse en attaquant dans les montagnes. Le choc de l’attaque surprise a probablement semé la panique, provoquant des mouvements de foule dévastateurs. Des centaines, voire des milliers de soldats auraient pu mourir sans combattre.
L’armée de Baudouin IV n’avait pas cet inconvénient : peu nombreuse, proche de Jérusalem, son campement était idéalement situé ([Carte]).