Jean-Charles-Guillaume le Prévôt de Beaumont

 

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Jean-Charles-Guillaume-Le-Prevot-de-Beaumont

 

Jean-Charles-Guillaume Le Prévôt de Beaumont, né à Beaumont-le-Roger le 24 novembre 1726 et mort à 97 ans dans la ville de Bernay le 22 décembre 1823 .

Il fait parti des prisonniers injustement emprisonné, qui par son histoire aura contribué au fil de l'histoire à apporter de l'eau au moulin des révolutionnaires lors des moments de terreurs.

Secrétaire du Clergé de France, il est emprisonné pendant 22 ans environ, dont un an à la Bastille et 15 ans au donjon de Vincennes, Il est libéré le 5 octobre 1789. Condamné pour avoir dénoncé , après la découverte de correspondances entre plusieurs personnalités, un pacte de famine concerté entre les ministres suivants : L'Averdy, Sartine, Boutin, Amelot, Lenoir, Vergennes.

Ce pacte était , alors que la famine était générale d'où son nom, d'entreposer le blé acheté à bas prix pendant les bonnes périodes dans le but de le raréfier et d'en faire augmenter artificiellement le tarif pendant les périodes de disette.

Ces pactes existaient peut être déjà sous Louis XIV, ils pourraient être en partie responsables des famines de : 1693, 1694, 1718, 1720, 1725, 1740, 1750, 1760, 1767 & 1768.

Son arrestation et son emprisonnement, va jouer par la suite après la révolution et sa libération sur le sentiment général sur le rôle de la Monarchie couvrant les pires méfaits de ministres. On ne peut accuser, Louis XIV, Louis XV ou Louis XVI d'y avoir participé, ce n'était franchement pas dans leur intérêt surtout au vu de la situation déjà très tendue. Cette situation cependant a laissé et fait planer le doute sur une conspiration à l'échelle nationale pour s'enrichir sur le dos du peuple, alors que ce dernier est déjà très mal en point. Cette histoire est utilisée par les révolutionnaire pour faire guillotiner les ministres concernés.

Clément Charles François de Laverdy, marquis de Gambais, le principal accusé dans la conspiration est guillotiné pendant la révolution pour avoir contribué à l'établissement d'un pacte de famine. Cependant L'averdy et Choiseul ont très probablement suivi une partie des recommandations des Physiocrates, l'ancêtre du libéralisme ou de l'économie de marché, en supprimant tout entrave au commerce des grains, mais cette nouvelle méthode va s'avérer désastreuse en 1768, Clément Charles François de Laverdy est  relevé de ses fonctions bien avant d'être guillotiné.

Pour autant le prévôt n'est pas libéré. Il faut dire qu'Antoine de Sartine est nommée en 1774 secrétaire d'état à la Marine, qu'Antoine-Jean Amelot est intendant des Finances également en 1774, Charles Gravier de Vergennes est lui nommé ,toujours en 1774, Secrétaire d'État des Affaires étrangères... dans ses conditions la requête du Prévot avait peu de chance d'aboutir .

Lettre émouvante et idéaliste du prévôt de Beaumont à Chrétien-Guillaume de Lamoignon Malesherbes ( alors secrétaire d'état de la Maison du Roi ), huit ans après son incarcération. Elle a été écrite probablement au Donjon de Vincennes en 1775 qui était accompagnée d'une lettre d'accusation particulièrement grave ( contre les ministres ) à l'attention de Louis XVI. L'ensemble de l'écrit a été édité dans les "mémoires historiques et authentiques sur LA BASTILLE" dans le troisième tome. Une édition faite en 1789 à partir , selon l'éditeur, de documents de la forteresse rangé par époque depuis 1475 à 1789 [v]. Si elle a été retrouvée dans les archives de la Bastille en 1789, on peut imaginer qu'elle ne fut jamais transmise .

Sire,

Vos ministres, depuis huit ans, m'ont mis en pénitence pour leur crime, pour l'avoir découvert, et de peur que je ne le découvre ( il parle ici de le révéler ) . Quoique je ne doute pas, SIRE, qu'il n'est jamais permis de le taire, quand il s'agit de sauver tout le monde, est cependant aussi désagréable que malheureux pour moi, qui suit le plus petit de vos sujets, d'être obligé , n'ayant point de haîne contre vos ministres, de les accuser, du fond d'un cachot, de causer seuls volontairement presque tous les maux de votre Monarchie. Le respect leur est dû, l'obéissance même; mais pour leur plaire, on ne doit pas inculper injustement la bonté de mon souverain des crimes de ses mauvais serviteurs. Il vaut mieux, dit Saint-Cyprien, découvrir les maux qu'on nous a faits, que de les cacher, sans espérances de remède; à quoi le Docteur Nicole ajoute que le mal qu'on couvre en le taisant est pire que celui qu'on découvre en parlant; car quiconque peut empêcher le mal en le dénonçant, et qui ne le fait pas , s'en rends responsable devant Dieu & devant les hommes, comme s'il l'avait commis.

Je ne pourrais donc taire des conjurations sans y participer, trahir par le silence, sans être traître, ni renoncer mon Dieu, mon Roi, ma Patrie, sans m'en déclarer l'ennemi. Ce n'est pas seulement l'exécution du mal projeté contre le Prince ou contre son état que l'on deviens criminel, disait M. Le comte de Brionne, occupant la même place que Monseigneur Amelot, sous la régence de la Reine, mère de Louis XIV; mais par le moindre effort, dans lequel on se montre capable de le concevoir et de le tenter.

Le plus grand ministre que la France peut citer, le généreux & vaillant Sully dit, au vingtième livre de ses Mémoires, qu'il n'y a eu que trop de ministres infidèles pour le malheur de l'état, que leur conduite est toujours équivoque par quelqu'en endroit; qu'il n'est pas rare d'en voir qui soient disgraciés par leur cupidité, leurs trahisons & leurs prévarications; qu'il n'est pas rare non plus qu'ils méritent ce traitement par des procédés reprochables.

La loi universelle de tous les états, aussi ancienne que les Etats mêmes, fondée sur la loi naturelle, qui fut renouvelée en 1477 par Louis XI, déclare bien positivement que celui d'entre tous les sujets de la Monarchie, qui aura connaissances d'une conjuration contre la personne du Roi ou contre l'Etat, & qui ne viendra pas pas la révéler, sera puni comme les auteurs mêmes du crime, & encourra les mêmes peines de la perte des biens, de l'honneur & de la vie.

Si en conséquence de cette loi , qu'il ferait plus que jamais nécessaire de promulguer, & remettre en vigueur en France, où il y a tant de traîtres aujourd'hui, le célèbre président de Thou perdit la vie sur un échafaud, non pour avoir conjuré , il n'en était pas capable, mais seulement pour n'avoir pas dénoncé la conjuration de Cinq-Mars, son ami; Combien de fois serais-je coupable, si, indifférent aux maux de ma patrie, je n'osais par crainte , ou par lâcheté; par respect humain, ou par complaisance; par intérêt personnel, ou par connivence, informer mon souverain de l'entreprise de ses Ministres ! Certainement, s'il se pouvait qu'il y eût neuf millions de Ministres coupables au service de S. M., les onze millions de vos sujets, qui ne sont pas moins mes frères que Mes Seigneurs les Ministres, seraient à préférer.

Maintenant grâces à Dieu & louanges à mon Roi, me voilà déchargé, pour la seconde fois, de ce terrible fardeau, entre les mains de Monseigneur Amelot. Si vous est plus fidèle que Monseigneur de Malesherbes , & si je ne fuis pas encore délivré , j'ai du moins lieu de l'espérer de la justice de mon Roi, à qui j'aurai encore à dénoncer, aussitôt que je serai en liberté, d'autres consipirations étrangères à ses Ministres , dont je n'ai parlé à personne ( on voit ici qu'il essaye en désespérance de cause de trouver un arrangement sur sa libération en échange d'informations, en réalité cette phrase là ne peut que le desservir vu ce qu'il a écrit auparavant dans le sens qu'il n'a pas dénoncé une conspiration avant son arrestation pour une autre conspiration...monnayer des informations à son niveau était trop tard voir contre productive, qu'elle information aurait pu t'il révéler d'aussi importante 8 ans après son arrestation, c'est une manoeuvre désespéré d'un honnête homme ). Je sais où sont les preuves ; mais fut combien d'autres objets d'importance mon zèle & mon courage m'animeront à servir Votre Majesté aussi bien que l'état, sans aucun vue d'intérêt personnel, si je pouvais seulement obtenir la protection.

Veuille mon Souverain, remédiant à toutes choses, mais usant de la clémence ordinaire, pardonner à tous Mes Seigneurs ses ministres que j'ai été obligé d'accuser; & quand il lui en faudra un pour la guerre, n'en point choisir que le grand Maréchal de Broglie. Il y a longtemps que les voeux du public à cette place, que lui déférent les lumières, les vertus et son désintéressement. Certainement Votre Majesté ne sera jamais trahis par celui qui, après l'avoir déjà bien servie, est encore plus capable de servir à nouveau. Le vrai mérite ne s'offre pas, au lieu que l'ambition, l'amour-propre & l'incapacité n'intriguent souvent pour occuper tous les plus hauts rangs.

Veuillez aussi Monseigneur de Monseigneur de Malesherbes, pour faciliter, en un point de conséquence, l'exercice de son ministère, & de la charge de conscience , ne pas désapprouver, mais au contraire appuyer , auprès de Votre Majesté le projet ci-joint, par lequel elle pourrait tout d'un coup extirper des milliers d'abus qui règnent de tout temps dans les prisons d'état; quoiqu'elle le soit réservé , depuis deux ans, la connaissance des lettres de cachet, & qu'elle ait voulu par-là en arrêter l'abusive prostitution , M. de Sartine a bien trouvé les contrefaçons d'ordres, les transactions, les récelements ( recelles ) & les tyrannies. Mais ce projet, si Votre Majesté, daigne l'agréer, préviendra tous les abus & tous les maux.

Note personnelle : Je n'ai aucune idée de la véracité des propos du prévôt et je ne sais pas si les preuves éventuelles ont été utilisées lors des procès des ministres en question. Mais au vu du contexte historique, de la continuité des accusations malgré son lourd emprisonnement, il n'est pas impossible que ces ministres aient profité de la situation pour s'enrichir sur le dos du peuple. Il n'est pas certain cependant qu'ils aient réellement contribué à la famine , mais plutôt par opportuniste malsain, de s'enrichir profitant de la flambée des prix , ce qui vu leur position est tout aussi grave. De plus il parait difficilement concevable au vu de la position du prévôt qu'il ait pu accuser les ministres sans avoir de preuves suffisantes et crédibles. Au delà de la véracité de ses accusations, il en était en tout cas intimement convaincu, on peut qu'admirer le courage , la ténacité et l'honnêteté intellectuelle de Jean-Charles-Guillaume Le Prévôt de Beaumont , tout cela au péril de sa vie et de sa liberté alors que sa position était très enviable.