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Château du Fraisse
Étonnant ensemble constitué d'une maison forte et de deux corps de logis du XVIe siècle, le château du Fraisse figure parmi les demeures les plus remarquables du Limousin. Propriété de la même famille depuis le XIIIe siècle, il offre, outre l'exemple rare de la pérennité d'une lignée sur un même domaine, un beau témoignage de l'influence exercée, à la Renaissance, par les conceptions de l'architecte Sebastiano Serlio. Diplomate et évêque de Bayonne, Jean des Monstiers (1514-1569) fut à l'origine de la construction du corps de logis Renaissance du château du Fraisse[1].

Un Illustre Fondateur : Jean des Monstiers
Jean des Monstiers, seigneur du Fraisse, dont le buste surmonte le portail d'honneur du château, méritait par bien des aspects de passer à la postérité[2]. Entré dans les ordres, ce fils d'une vieille famille limousine, licencié en droit en 1536, fit montre d'un esprit curieux et s'attira la faveur de François Ier, qui l'utilisa à plusieurs reprises pour remplir de délicates missions diplomatiques, au Danemark, à Bruxelles et en Allemagne[3].
Devenu aumônier du roi en 1549, il fut nommé évêque de Bayonne l'année suivante. Henri II l'envoya comme ambassadeur auprès des Ligues suisses, où son habileté diplomatique fit merveille[4]. Revenu en France en 1554, ce « grand personnage en tout », comme disait Brantôme, choisit d'écouter l'avis de ses médecins et de se retirer dans son domaine pour ménager sa santé.
Incapable d'inactivité, le prélat humaniste, passionné par l'art de la Renaissance, mit à profit sa retraite pour étudier les livres d'architecture du célèbre Serlio et décida bientôt d'entreprendre un vaste chantier. De là naquit l'élégant château que nous connaissons aujourd'hui, curieusement accolé à une maison forte, massive et trapue, qui renvoie à des temps beaucoup plus anciens[5].
Jean des Monstiers représente l'apogée politique et religieux de la famille. Licencié en droit en 1536, il débute sa carrière comme curé de Villegagne puis comme prévôt ecclésiastique de Saint-Junien, acquérant rapidement une importante notoriété en Limousin.
Son ascension fut remarquable : en 1541, il devient diplomate du roi François Ier, participant à des négociations cruciales à Alençon, Bruxelles et Cologne. En 1546, il est nommé ambassadeur royal, puis en 1550, il atteint l'apogée de sa carrière en devenant évêque de Bayonne. Ultérieurement, il servira comme ambassadeur auprès des princes allemands et des ligues grises, consolidant l'importance de sa maison au cœur du pouvoir royal.
Les Héritiers : Continuité et Distinction
La famille continua à produire des militaires et des dignitaires de prestige :
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François-Louis-Martial des Monstiers (1608-1765), marquis de Mérinville, figura parmi les officiers distingués. Il participa à de nombreuses campagnes militaires, méritant le titre de Chevalier de Saint-Louis et accédant au rang prestigieux de Maréchal des Camps.
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Gallucci de l'Hospital (1697-1787) compte également parmi les figures éminentes de la région, dont le portrait a été peint par le célèbre H. Rigaud en 1756.
Les Origines : Ruine et Reconstruction
La terre du Fraisse relevait de la châtellenie de
Il existait à l'origine un logis noble entouré de fossés, protégé comme ses dépendances par de vastes étangs. En 1356, pendant la guerre de Cent Ans (qui débuta en 1337), le Prince Noir incendia la demeure, la réduisant en ruines[7]. Le château sera reconstruite au XVe siècle, après la fin du conflit, par Pierre des Monstiers. Comme de nombreux châteaux de la région, le Fraisse a subi les ravages de la Guerre de Cent Ans. Le logis fut brûlé et ruiné par les Anglais pendant ce conflit prolongé, rendant le château inhabitable pendant une période significative. L'absence de ressources et les menaces persistantes obligèrent les seigneurs à se réfugier derrière les murailles fortifiées de la ville voisine de Saint-Junien.
La Seigneurie du Fraisse
Le domaine du Fraisse trouve ses origines dans les lignées féodales limousines. Au cours de ses premières années, la seigneurie était de modeste importance, avec des droits honorifiques limités dans l'église de Nouie et une mouvance s'étendant modestement à travers les terres environnantes. Après le seigneur de Rochelidoux, les Fraisse occupaient une position secondaire dans la hiérarchie féodale régionale.
Le « Vieux Château » du XVe siècle
Ce « vieux château », qui occupe la partie droite de la cour d'honneur, se compose d'un corps de logis flanqué de deux tours. L'une, celle de gauche, a conservé ses mâchicoulis à triple révolution, l'autre est aujourd'hui découronnée[8].
Au centre de la façade principale, éclairée par des fenêtres dont les meneaux ont conservé leurs moulures prismatiques, s'élève une tourelle d'escalier dont la porte principale offre un remarquable exemple de décoration gothique. Cette porte, de forme rectangulaire, s'encadre dans un cadre en accolade surmonté d'un fleuron. Le tympan porte un écusson supporté par deux anges aux ailes éployées. Le tout est surmonté d'un larmier rectangulaire dont les deux bras retombent sur des consoles sculptées, l'une d'un personnage vêtu d'une robe plissée, l'autre d'un chien[9].
Une Lignée à Travers les Siècles
En 1507, André des Monstiers épouse une riche héritière, Isabeau de Soubmoulin, de la maison d'Allas, en
Depuis cette époque, le Fraisse est resté dans la famille des Monstiers, lignée de noblesse d'épée qui fut admise aux honeurs de la Cour et qui comptera de nombreuses illustrations, tant dans l'armée que dans l'Église[11]. On peut citer, parmi les noms qui sont restés dans l'histoire :
- François des Monstiers (1609-1672), comte de Mérinville, qui fut gouverneur de
Provence , deNarbonne , deRosas et du château de laTrinité en Catalogne [12]. - René des Monstiers-Mérinville (1742-1829), évêque de
Dijon , puis deChambéry , et aumônier de la reine Marie-Antoinette, dont les portraits sont toujours conservés au château[13].
Le Bel Art de la Renaissance
Une Architecture d'Influence Serlienne
Jean des Monstiers était un bon connaisseur de l'architecture de son époque, et notamment des traités de l'Italien Sebastiano Serlio (1475-v. 1554), le constructeur d'
Description de la Composition
Initialement entouré sur trois de ses côtés de douves et bordé, au nord, par des communs, le château du XVIe siècle se compose d'un long corps de logis à sept travées, prolongé par une aile en retour d'équerre à laquelle il s'articule, côté parc, par un pavillon carré. L'angle rentrant, sur cour, est occupé par une tour d'escalier coiffée d'une toiture en dôme polygonal à ressauts[16].
Sur le corps principal, les travées, régulièrement disposées et couronnées par de hautes lucarnes, s'ordonnent autour d'une travée centrale qui constitue un véritable morceau de bravoure architectural. Au rez-de-chaussée, la porte d'entrée, aux écoinçons ornés de disques de marbre polychrome, s'encadre dans un portique à colonnes jumelées supportant un entablement[17].
Le Portail d'Honneur
Au-dessous de l'entablement figure un riche décor à l'italienne dans lequel se détachent deux médaillons représentant un homme casqué et une femme aux cheveux crépus. À l'étage, une niche, abritant, au-dessus des armes de la famille, un buste de Jean des Monstiers, installé au XIXe siècle, s'intercale entre deux petites baies à meneaux horizontaux[18].
La lucarne qui termine cette composition triomphale s'orne à sa base de deux ailerons, motif décoratif employé peut-être pour la première fois en France[19].
Le Décor Intérieur
À l'intérieur du château, on remarque particulièrement la qualité de deux portes situées au premier étage. La première, encadrée de deux pilastres cannelés, arbore, aux écoinçons de son archivolte, deux disques de marbre, motif décoratif que l'on retrouve très fréquemment au Fraisse. La seconde présente des pilastres ioniques supportant un entablement chargé de plaques de marbre, sous un fronton orné de volutes et de mascarons[20].
Les cheminées, qui datent du XVIe siècle, sont richement ornées. Celle de la grande salle possède une hotte revêtue de plaques de marbre polychromes. Son manteau s'agrémente d'une peinture représentant le château à l'époque de sa construction[21].
Les Métamorphoses d'une Grande Demeure
Exemple très pur de l'art du XVIe siècle, le Fraisse fera ultérieurement l'objet de transformations qui n'ont pas, fort heureusement, altéré la cohérence de l'ensemble.
La Façade Principale
Avant sa réorientation, la façade principale du château donnait au sud. Elle était encadrée par deux piles monumentales supportant une arche imposante, créant un point d'entrée architectural de grande importance. Cette composition classique, bien que remaniée au fil du temps, subsiste encore partiellement dans le château contemporain, témoignant de l'originalité et de l'ambition du projet initial.
Le Portail de la Cour Intérieure
Le château présente un portail remarquable dans sa cour intérieure, formé par deux pilastres supportant un fronton surbaissé. Au centre de ce fronton s'inscrit un élégant cercle de marbre, élément décoratif caractéristique du style Renaissance. La porte en plein cintre, exécutée dans le même appareil de construction, crée une harmonie architecturale soignée.
Les détails ornementaux sont sobres mais élégants, composés de faisceaux de volutes figées et d'éléments décoratifs subtils. Cette retenue dans l'ornementation privilégie l'équilibre des proportions et la pureté des formes — une approche typique de la Renaissance classique française.
Le Portail d'Honneur
Le portail d'honneur, situé côté arrière, offre une conception architecturale nettement plus riche et élaborée. Contrairement à la sobriété du portail intérieur, celui-ci affiche une ornementation généreuse reflétant son importance cérémoniale.
La porte en plein cintre est encadrée par des imposants supports latéraux, dont chaque côté arbore deux colonnes doriques. L'ordre dorique, avec ses proportions massives et ses cannelures, confère au portail une solidité et une gravité majestueuses.
Un détail particulièrement distinctif de ce portail est l'emploi de cordées décoratives ornant le vide du portail, créant une richesse visuelle qui contraste remarquablement avec les parties restantes de la façade. Ces éléments témoignent du savoir-faire des artisans et de l'importance accordée à cette entrée principale.
Les Modifications du XVIIe Siècle
Dans le cours du XVIIe siècle, François des Monstiers fait combler les douves pour aménager, devant la façade ouest, un grand parterre, et transforme les douves situées au levant en un canal qu'enjambe un pont de pierre, et dote la cour d'honneur d'un portail d'ordonnance classique, encadré par deux pilastres qui supportent un fronton surbaissé[22].
Les Aménagements du XVIIIe Siècle
En 1725, sont bâties les écuries, que l'on réunit au château en démolissant une tour. Quelques années plus tard, une campagne de transformations, qui porte principalement sur les intérieurs, épargne finalement le « vieux château », dont la démolition était projetée[23].
La Grande Campagne du XIXe Siècle
Dans les dernières années du XIXe siècle, le Fraisse se transforme, sous la direction de l'architecte Godfroy, en un vaste chantier. Les lucarnes du corps de logis et de l'aile méridionale sont refaites sur le modèle de l'hôpital du Lude, dans la
Un Mode de Vie Seigneurial
Jusqu'à la Première Guerre mondiale, les Monstiers, qui résidaient au Fraisse durant la période estivale et le reste de l'année à
Jean des Monstiers, maire de
L'Alliance avec la Famille des Monstiers
Un tournant décisif arrive avec le mariage de Quitterie du Fraisse avec Urbain (ou Turban) des Monstiers, vers 1530. Cette union apporte à la famille des Monstiers l'importante seigneurie du Fraisse en dot, marquant le début de l'ascension du domaine. Des membres successifs de cette famille enrichiront et développeront le patrimoine au fil des générations.
Références :
Références
[27] Société Archéologique et Historique du Limousin, Archives et études historiques sur le patrimoine architectural du Limousin
Source principale : Châteaux de Famille - Auvergne-Limousin (XVe-XIXe siècles), Éditions Atlas, 2004. Auteurs : Hervé Degand, Yves Manhès, Valentine Palfrey, Jean-Baptiste Rendu, Patrick de Sinety, Aude de Tocqueville, Catherine Zerdoun.