le dit "Cachot de Jeanne d'Arc", dans la ferme de Drugy à Saint-Riquier anciennement un Château médiéval.
Le château de Drugy situé à l’extérieur de la cité médiévale de Saint-Riquier, a été édifié par Gilles de Machemont en 1272. Il est possible qu'il y ait eu en 1217 un précédent château mais aucune certitude à ce sujet. C’est dans ce château du XIIIe que Jeanne d’Arc est emprisonnée vers le 9 décembre 1430. Le château appartient dès sa conception aux différents Abbé de Saint-Riquier pendant plusieurs siècles avant d’être transformé en ferme.
Composé initialement d'une grosse tour et de huit tourelles [4], il est détruit pendant la guerre de Cent-Ans , reconstruit en 1457 par l’Abbé Pierre le Prêtre , il est à nouveau détruit par la suite. La ferme actuelle reprend en grande partie le tracé polygonale de l’ancien château. Les bâtiments que nous voyons aujourd’hui sont probablement pour une grande partie du XVIIIe et ultérieurs.
La ferme,qui est une des rares à être en forme polygonale, est une propriété privée mais accessible facilement à la visite uniquement sur demande ( voir ci-dessous ).
Informations
- Adresse : 14 rue de Drugy, 80135 Saint-Riquier
- Google Maps : Carte
- Téléphone : 06 67 35 84 45
- Email : marie-laure.miannay@laposte.net
- Site : http://www.saint-riquier.com
- Heures d'ouvertures & Visites & Météo :
- Marie-Laure Miannay, l'une des propriétaires de la ferme, vous ouvrira avec plaisir les portes de la ferme de l'ancien château de Drugy, uniquement sur demande à l'avance. Actuellement la visite est gratuite ( début 2012 ).
- Pour vous loger vous avez un gîte à Drugy à quelques mètres de la ferme et centaines de mètres de l'Abbaye de Saint-Riquier : www.lerelaisdedrugy.fr
La prison de Jeanne d'Arc à Drugy
Jeanne d'Arc - Histoire & Parcours est enfermée dans le château probablement vers le 9 décembre 1430, avant d'être emmenée à Crotoy comme prochaine étape de son parcours de captivité.
Son emprisonnement est attesté par le chroniqueur de la seconde moitié du XVe, Jean de la Chapelle. Curé du petit village d'Oneux, commune proche de Saint-Riquier, Il écrit en latin dans l'année 1492 le texte suivant :
« Dans le voyage de Compiègne à Rouen elle passe une nuit au château de Drugy, où elle fut visitée par Dom Nicolas Bourdon, prévôt, et Dom Jean de la Chapelle, aumônier, et plusieurs autres religieux de cette église. On parlera d'elle éternellement, parce que la haine des anglais était injuste ». La personne de Jean de la Chapelle dans le texte n'est probablement pas celui qui écrit la chronique, il s'agit d'un homonyme. Ce texte écrit tardivement après les faits, reprends très probablement les registres de l'Abbaye de Saint-Riquier qui ont été malheureusement presque tous détruits à la révolution.
On peut évidemment se poser la question de l'éloignement de Jeanne de la ville de Saint-Riquier. Malgré qu'il y ait une fortification à Saint-Riquier, la ville est tenue par un Bourgmestre. Peut-être a t'il refusé l'entrée des Anglais avec Jeanne ? pour des raisons diverses, ou tout simplement qu' ils préféraient enfermer Jeanne d'Arc en dehors de la ville pour éviter d'attirer l'attention dans un souci évident de discrétion.
Il faut remarquer qu'ils vont faire un détour important en partant du Château de Beaurevoir, Jeanne d'Arc appartenant à Jean de Luxembourg. Il n'y a pas d'explication précise pour ce grand détour de plusieurs dizaines de Km qui pour l'époque est une expédition. Mais on peut penser que les Anglais ont préféré choisir un parcours secret et imprévisible pour éviter toute tentative de récupération de Jeanne par les français, soit par embuscade et/ou une éventuelle trahison. C'est d'autant plus vraisemblable que La Hire, Etienne de Vignolles compagnon de Jeanne, se trouve à la mi-décembre à Louviers en plein territoire anglo-bourguignon dans la proche banlieue de Rouen, hasard ? c'est peu probable, La Hire est connu pour ses actions militaires en embuscade un peu comme son illustre prédécesseur Duguesclin, d'autant plus qu'il y reste jusqu'à la "Bataille du Berger" quelques temps après l'exécution de la pucelle d'Orléans. Voir cet article sur Charles VII a t'il abandonné Jeanne la Pucelle ?.
La visite des moines dans la prison est par contre assez étonnante, tout d'abord parce qu'ils ont eu accès à Jeanne assez facilement semble-t-il, une situation qui sera plus complexe à Rouen où seul Pierre Cauchon et le capitaine du Château de Bouvreuil peuvent autoriser ou non une visite. Etonnante visite aussi car elle est restée qu'une seule nuit, la nouvelle est donc passée en interne de l'Abbaye assez rapidement. Mais la curiosité des moines sur Jeanne montre déjà l'intérêt grandissant de la prisonnière, preuve s'il en est que même en territoire Anglo-Bourguignon Jeanne suscite l'attention. Cependant on ne connait pas l'intention de cette visite des moines, compassions ? Curiosité ? Intrigues ? Rien ne permet de dire aujourd'hui leur attitude et ressentiment à son égard, sachant que le territoire est entièrement contrôlé par les Anglais et que l'église est particulièrement divisée à cette époque sur l'épopée de Jeanne. Il est d'ailleurs probable que les Anglais n'auraient pas emprisonnée Jeanne dans ce château s'il n'y avait pas l'assurance du soutien de l'Abbaye propriétaire du château de Grugy, surtout en laissant les moines venir à la rencontre de Jeanne.
On note la liberté de ton utilisé par Jean de la Chapelle à la fin « On parlera d'elle éternellement, parce que la haine des anglais était injuste ». Mais il faut rappeler qu'elle fut réhabilitée par l'église déjà depuis plusieurs années, il ne prend donc aucun risque, de plus le territoire est revenu aux français grâce à l'effort notamment du Comte Jean de Dunois - Bâtard d'Orléans compagnon de la pucelle. Il a cependant vu juste en disant qu'on parlerait d'elle éternellement, ce qui à l'époque n'était pas aussi certain. La fin de phrase « la haine des anglais était injuste » est-il un avis personnel ou un ressenti général à l'abbaye de Saint-Riquier ? Difficile à dire.
La prison que nous pouvons visiter actuellement est probablement du XIIIe, en tout cas nous avons une construction typique de cette époque en ce qui concerne la salle voutée polygonale de sept côtés et d'environ 8m de diamètre.
Ce type de voutes en arcs, dont les branches sont polygonales, est assez courant au XIIIe et XIVe, elles reposent sur des culots assez simples et caractéristiques du XIIIe également. Cette salle devait être probablement un cellier et il n'est pas impossible qu'un étage, disparu aujourd'hui, complétait l'ensemble. Le château ne possède pas de caves car le sol est extrêmement humide. Il est même possible que cette salle basse voûtée soit en réalitée la base de la grosse tour du XIIIe qui a été arrasée.
L'architecte qui a construit la salle a surement pris en compte la physionomie du terrain en édifiant une voûte sans pilier central pour soutenir la salle. La répartition des pressions sur l'ensemble de l'édifice, sur les culots qui eux-mêmes reposent sur un contrefort sur trois des cinq angles, permettent à l'ouvrage assez vaste en son sol de s'appuyer sur une surface plus grande et donc d'offrir une bonne stabilité sur un sol humide. On constate également que les voutes entres les croisées d'ogives sont assez applatis par rapport à ce qu'on peut voir habituellement, formant presque une coupole.
Les contreforts romans massifs, sont construits à la normande. Viollet-le-Duc décrit parfaitement la différence d'un contrefort normand en comparaison de ceux de Bourgogne ou de Champagne :
« D'ailleurs, contrairement à la méthode bourguignonne et champenoise, ces contreforts normands anciens, dans les constructions monumentales, sont élevés en assises basses, régulières, de même hauteur que celles composant les parements des murs et se reliant parfaitement avec elles » [3]
On notera juste que la hauteur est légèrement différentes des parements du mur, très probablement lié aux différentes modifications.
La corniche du cachot est par ailleurs différent des autres pans de l'enceinte médiévale, il serait intéressant d'y jeter un œil plus aguerri pour en connaitre les raisons et offrir une datation plus précise. On peut remarquer déjà qu'elle n'est pas conçue pour écouler l'eau à l'extérieur des parements, ce qui conduit à penser qu'ils ont été faits en même temps que le toit. La disposition des tuiles devaient initialement « expulser » l'eau des parements avec un léger avancement par-dessus la corniche, c'est d'ailleurs ce que nous voyons encore aujourd'hui sur la partie gauche en haut de la photo juste au dessus du contrefort ( voir photo de gauche ). :
Ces corniches, pour une partie, doivent dater des constructions du XVIIIe pour l'essentiel.
Les ouvertures actuelles sont par contre à mon avis ultérieures à la construction initiale, le cellier était probablement fermé d'origine ou avec des ouvertures bien plus petites. La simplicité des voûtes et des culots en sont surement l'une des origines, en effet les celliers sont rarement richement ornés vu qu'habituellement ils offrent peu de lumières.
Il pourrait aussi s'agir de canonnières mises en place au XVe qui ont été éventrées par la suite pour offrir plus de lumière. Leur disposition ovale, la coupure assez nette au centre pour assembler les deux blocs, les pierres dans la salle offrant une plus large ouverture semble se rapprocher en tout cas de ce type de fonction. L'autre point qui pourrait être en faveur de canonnières modifiées est leurs dispositions : le soleil ne « frappe » pas les ouvertures sauf au coucher du soleil pour l'une d'entre elle, le soleil dans la journée éclaire l'autre face du cachot dont l'entrée principale. Elles n'ont donc pas de dispositions idéales en « ouverture de jour », de plus au moyen âge un chemin passait en face du cellier, la légende dit d'ailleurs que Jeanne d' Arc et ses geôliers seraient passés par cette route pour entrer dans le château tout en contournant Saint-Riquier.
Arrière de la ferme actuelle, on remarque les meurtrières sur la gauche. Selon la légende Jeanne d'Arc serait passée entre la ferme et le massif forestier sur l'ancien chemin menant directement au château.
Les canonnières de ce type apparaissent surtout au XVe et début XVIe, peut-être s'agit-il des modifications apportées au nouveau château par Pierre le Prêtre en 1457. On remarquera cependant que les ouvertures de jour dans la ferme dans les différents bâtiments du XVIIIe sont ovales également, très probablement il y a eu une volonté d'harmonisation on peut penser, mais de façon circonstancielle, que les modifications apportées aux « canonnières » sont de la même époque que les constructions des nouveaux bâtiments de la ferme.
Il n'y a aucune certitude sur la datation actuelle du cachot. Il pourrait s'agir d'une reconstruction du XVIIe selon un document récent que j'ai pu lire, mais cela me parait clairement impossible pour les voutes, les soubassements, les contreforts et les culots. Par contre en effet les ouvertures, la porte, la corniche peuvent avoir été modifiés ultérieurement ou alors nous aurions une construction civile du XVIIe en utilisant toutes les techniques du XIIIe-XIVe ce qui parait très improbable mais pas totalement impossible...sur quelle base ils ont pu se référer et quels documents ?( j'apporterai surement des modifications ultérieures à ce sujet ).
Une autre suggestion serait que le cellier aurait subi d'importantes modifications au XVe après la première destruction du château mais que l'ensemble initial serait bien du XIIIe comme l'atteste les voutes, les contreforts et les culots.
Au château de Guédelon, qui est une contruction typique du milieu du XIIIe, on a le même type de branches , la clef de voute est différente et l'ensemble est bien sur composé différement pour assurer le poids d'une tour plus haute. On peut supposer, au vu du terrain, que les tours ne devaient pas avoir une hauteur importante pour éviter l'affaissement du terrain et des bâtiments, ce qui expliquerait que les voûtes entre les croisés d'ogives soit particulièrements basses pour perdre de la hauteur et du poids. Notons que les constructions anglo-normande voutés ont souvent cette caractéristique particulière.
http://www.flickr.com/photos/fredart/3418195700/sizes/l/in/photostream/
On peut constater que le reste de l'enceinte extérieur, possédant encore des meurtrières, a subit également des modifications importantes du parement extérieur. Mais il faudrait une étude plus approfondie de la structure.
En tout état de cause il manque les documents sur les évolutions du château en ferme, d'autant que les révolutionnaires ont détruits les archives de l'abbaye de Saint-Riquier qui auraient permis d'en savoir plus.
Ferme de Drugy, intérieur de la cour. Les bâtiments sont du XVIIIe pour une grande partie. Le Cachot est au fond à gauche.
Mon avis, à l'heure actuelle mais peut être sujet à modifications ultérieures, est que nous avons bien, en intérieur du moins, le cachot tel qu'il pouvait être au XVe au moment où Jeanne d'Arc est enfermée à moins d'une reconstruction totale dans la seconde moitiée du XVe mais rien ne permet de le dire. Reste à savoir si elle fut enfermée dans le « cellier » ou dans un autre bâtiment du château composé d'une grosse tour et de huit tourelles [4] . La compacité actuelle de la ferme permet en tout cas de rendre crédible, mais pas certain, son enfermement dans le dit « cachot de Jeanne d'Arc ».
Complément historique
Gilles de Machemont est né à Chevincourt, chapelain du Pape il est élu abbé en 1257. Il gouverne pendant plus de 30 ans environ, ce qui va lui permettre d'édifier un grand nombre de constructions diverses [1].
Le château pourrait exister déjà en 1217, mais c'est seulement lorsque Gilles de Machemont construit ou modifie le château en 1272 que le château est réellement attesté. En 1361 Philippe du Fossé reconstruit le château pour 400 écus d'or. Entre 1457 et 1465 , Pierre le Prêtre reconstruit le château qui selon sa chronique est en ruine. En 1475 , Saint-Riquier est brûlé par Louis XI et le château de Drugy n'est pas épargné. Il reste habité jusqu'en 1709 par Pierre de Cosnac. Au XVIIIe, le château déjà fort réduit est aménagée en ferme, une des granges a comme datation 1766 sur l'un des pignons. Le cachot dit de Jeanne d'Arc, sans préjugé de son authenticité probable, est inscrit à l'inventaire des monuments historique par arrêté du 7 septembre 1943. Les autres bâtiments du XVIIIe pour l'essentiel ne sont pas inscrit dans l'inventaire.
La construction à l'écart de Saint-Riquier s'explique probablement par la relation conflictuelle qu'il entretenait avec le Bourgmestre ( maïeurs, équivalent du maire aujourd'hui ) et les échevins ( juges ) de Saint-Riquier qui prétendaient avoir des droits sur 1 lieue à la ronde de Saint-Riquier soit environ 3 à 4km environ autour de la ville, ce qu'il contestât fermement par des procès. Avec l'appui de la Reine Blanche il gagne ses divers procès et permet de déterminer les limites de la juridiction qui ne comprend donc plus Drugy. L'Abbé aurait donc construit le château pour affirmer son autorité, délimiter et protéger son territoire.
Saint-Riquier pendant l'époque romaine s'appelle Centule jusqu'au IXe siècle, selon la légende le mot « Centule » proviendrait de sa centaine de tours de l'enceinte de fortification. Ce qui est quasi impossible, Saint-Riquier ne pouvait contenir une centaine de tours, alors que des fortifications aussi vaste que Coucy contiennent une trentaine de tours et Carcassonne environ une cinquantaine. Même avec forte concentration de tour, il aurait fallu une superficie relativement importante très au-delà de ce qu'on peut connaître aujourd'hui. Sachant que Saint-Riquier n'est pas sur une voie romaine de première importance, qu'elle n'est décrit que succinctement à l'époque gallo-romaine, son nom de Centule ne peut en toute logique venir de cent tours. Il semble par ailleurs qu'il n'y ait aucune trace de cette fortification aujourd'hui, ce qui rends peu crédible cette version même plusieurs siècles après.
Plusieurs théories sur le nom de « Centule » n'ont pas permis de découvrir l'origine du nom, même si elle pourrait provenir du mot écossais « Candir » , en faisant un rapprochement avec le comté de Kent , originairement du nom de Cantir, appelé par Jules César « Cantyum ». On aurait alors une évolution avec le mot « villa » et « Cantyum » : Cantium Villa, Cantuille, puis Centule. [2] Une explication plus réaliste que les cent tours.
Le monastère crée par Riquier en 625 à Centule dans le Ponthieu, riche propriétaire converti au Christianisme par les moines Gallois Caidoc et Fricoren . Centule vers le IXe siècle prendra plus tard le nom de Saint-Riquier en souvenir de l'abbé.
En 1421 Jacques d'Harcourt prends Saint-Riquier et les châteaux de la Ferté ainsi que Drugy [5]
Plusieurs prisonniers de guerre seront enfermés pendant la première et la seconde guerre mondiale .
Graffiti d'un prisonnier. Un grand nombre de graffitis sont encore présents dans le cachot, principalement daté de 14-18.
[1] Histoire de Cinq ville et de trois cents villages, hameaux et fermes.
[2] Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie, volume 4, pages 243-245
[3] Dictionnaire Raisonné d’Architecture, Tome 4, Viollet-le-Duc
[4] Base Mérimée Certains documents expliquaient qu'il y avait 4 tours et 8 tourelles, cela me semble improbable au vue de l'ensemble du bâtiment. La base mérimée semble s'approcher plus de la réalité. Il n'est pas impossible que la salle voutée du XIIIe soit en fait initialement la grosse tour mais arrasée.
[5] Histoire de Cinq Villes, Ernest Prarond, page 81, selon une chronique de Monstrelet