Histoire & Visite

 

Château de Lucheux

 

Edifié au XIIe, il subit les dommages de la Guerre de Cent-Ans. Il aurait été racheté en 2017 ou 2018 par un Belge.

 

 

Historique & Histoire du château de Lucheux
source : source sur place, documentation diverses, Philippe des Forts et Raymond Dubois : voir bas de page pour plus de détail.

 

 

 

La partie qui suit a été en partie écrite par Raymond Dubois mais une grande partie a été empruntée à Philippe des Forts qui est l'un des premiers a avoir fait une recherche poussée et archélogique du château de Lucheux. Le lien des ouvrages sont en bas de pages.

 

PORTE DU BOURG

C'est la porte du Bourg qui va nous donner accès dans l'enceinte du château. Elle est flanquée de deux grosses tours en moellons avec toits en poivrière. Un fossé aujourd'hui comblé la protégeait ; elle a perdu son pont-levis dont deux longues rainures gardent le souvenir. Au-dessus de la porte en tiers-point se lisaient, sans doute, sur une pierre depuis martelée les armes des seigneurs de Lucheux.

Des percements de fenêtres rectangulaires ont malheureusement dénaturé les tours qui flanquent rentrée. Cependant quelques archères restent visibles. La porte donne accès à un passage couvert d'une voûte surbaissée que fermait une herse ; on remarque encore la rainure servant au passage de la herse et la trace laissée sur le mur par le contrepoids du pont-levis.

En 1472, un fu de meschief consuma la toiture de paille de la porte de la Ville. On ne la refit; toujours en paille, qu'en 1474 (2).

Au rez-de-chaussée de la tour située à droite de la porte en entrant existe une salle voûtée divisée en deux travées. La voûte est supportée par des ogives à quatre branches dans Tune des travées, à six branches dans l'autre ; les consoles, à feuilles détachées, sur lesquelles elles reposent, permettent de dater toute la construction du XIVe siècle. Il en est de même du profil des ogives. Quelques assises offrent le profil du XIVe siècle, tandis que les autres, composées de rectangles ornés de quarts de rond et de ressauts peu saillants, appartiennent à la Renaissance. Une cheminée monumentale est également de cette dernière époque.

Cette salle était la prison des bourgeois. Dans un coin de celle-ci, les fouilles, plus intéressées qu'intéressantes, entreprises vers 1925 par les commerçants propriétaires du château, ont révélé l'existence, sous la petite fenêtre carrée, d'une oubliette où ont dû disparaître, sans autre forme de procès, maintes victimes de la colère des barons de Lucheux .

Malheureusement pour les auteurs de cette découverte, un procès-verbal de visite du 12 mai 1717 contient une description de cette prison : elle n'était ni pavée, ni planchéiée, et dans un coin, sous la petite fenêtre de deux pieds carrés fermée de trois grilles, s'ouvrait, à l'usage des bourgeois prisonniers, une fosse... servant de latrines ! (2),

Entrons un instant dans la tour de gauche pour y voir une belle cheminée du XVIe siècle, restée suspendue à hauteur du plancher écroulé du premier étage.

Au-dessus de la porte du Bourg se trouvait l’auditoire de justice de la seigneurie. Le siège du bailli, siège d'angle en chêne précédé de quelques marches, n'a disparu qu'en 1923. A l'étage supérieur existait un appartement qui servait de logis au lieutenant du capitaine. On y accédait par la tourelle d'escalier à pans coupés qui date du XVe siècle.

 

CORPS DE LOGIS. 

A la porte du Bourg tait suite un long corps de logis. On l'appelle à Lucheux la Caserne. A son propos je me permettrai de me séparer de mon guide, M. des Forts. Celui-ci a pensé que ce bâtiment, sans grand intérêt, n'a jamais pu contenir les somptueux appartements mention-
nés par H. Dusevel dans son étude sur Le château de Lucheux (3) comme ayant dû s'y trouver. 

Dusevel avait relevé la mention de ces appartements dans les registres aux comptes du XVe siècle, perdus depuis. Il énumérait la chambre de Madame, la chambre des Enfants, la chambre aux étuves, voûtée d'ogives et revêtue de boiseries, et la chambre aux baigne ries, au ciel peint d'azur. De plus, M. des Forts, se basant sur l'aspect actuel de la construction, la date au plus tôt du commencement du XVIe siècle.

On ne peut qu'être d'accord avec lui sur la date de la presque totalité de la façade actuelle vers la cour. On remarque toutefois en certaines parties de la façade des particularités qui dénotent une époque bien antérieure, le XIVe siècle probablement. Jusqu'à une hauteur de 90 centimètres du sol environ, l'angle extérieur des piédroits de certaines portes est orné d'un boudin formant colonnette qui repose sur une embase moulurée. D'autre part, à l'intérieur du bâtiment, subsistent quelques consoles décorées de feuillages et soutenant des retombées d'ogives.
Quant à la façade extérieure, aux murs d'une épaisseur peu commune, elle a été complètement dénaturée au XIXe siècle. En effet, un dessin portant la date 1834 et dû aux frères Duthoit, artistes connus pour leur fidélité, donne à la façade extérieure du corps de logis un tout autre aspect (1).


On remarque sur ce dessin, vers l'extrémité nord-ouest de la façade, deux grandes fenêtres en tiers-point, sans remplages, correspondant à l'emplacement des écuries actuelles. Elles ont pu éclairer au moins une partie des appartements décrits par Dusevel.

Au XVIe siècle a existé à l'autre extrémité de l'enceinte, vers la Forêt, un neuf corps de logis. Il a complètement disparu.

 

GRANDE SALLE

Les architectes du XIIIe siècle avaient fait de la grande salle la partie la plus riche du château. Contrairement à l'usage général du temps, elle occupait le rez-de-chaussée et non le premier étage. Les fenêtres s'ouvraient sur la cour d'honneur. La déclivité du terrain et la protection des remparts du bourg permettaient de ne donner qu’une faible hauteur à la partie du mur  'enceinte qui lui fait face et qu'elle domine. D'autre part, la façade était tournée dans la direction voulue pour laisser découvrir des fenêtres l'aspect le plus agréable de la vallée. La magnifique suite de fenêtres du XIIIe siècle qui constitue cette façade peut prendre place parmi les plus remarquables restes de l'architecture civile du moyen âge. Vers 1924 cet ensemble fut menacé de vente et d'enlèvement pour l'Amérique. 

Heureusement, grâce à l'intervention de M. Georges Durand, président de la Société des Antiquaires de Picardie, ce désastre fut évité ; le classement des parties anciennes du château survenu en 1924 vint couper court à ces tentatives de vandalisme.

De la façade de la grande salle il nous reste huit fenêtres sur quatorze, protégées par une petite toiture que le duc d'Uzès fit établir vers 1910. A l'extérieur, ces fenêtres, groupées deux à deux sous un arc en tiers-point, s'élèvent aussi sur un grand bahut qui en forme le soubassement. Un pilier
cantonné de neuf colonnettes sépare chaque groupe du groupe voisin. Parmi ces colonnettes, cinq plus fortes que les autres et en délit reçoivent les archivoltes ; les autres, appareillées, jouent simplement un rôle décoratif.
Toutes les bases se touchent et décrivent sur leurs socles carrés un tracé ondulé autour de la pile. Les chapiteaux sont ornés d'élégantes feuilles lancéolées, soit à courte tige s'arrêtant au tailloir, soit à longue tige se recourbant en crochets.

Quant aux archivoltes elles présentent entre elles le même profil. Des fleurs et une petite tête humaine meublent quelques-uns des congés ; le tympan des arcatures secondaires est orné de rinceaux, quand le grand tympan est lui-même nu et plein, et inversement le grand tympan est orné d'un trilobé lorsque le petit tympan ne présente pas de sculpture. A l'intérieur, les deux fenêtres s'ouvrent au fond d'un arc en plein cintre, contre les piédroits duquel s'adossaient des petits bancs de pierre.

La grande salle du château de Château de Saint-Ulrich à Ribeauvillé (Haut-Rhin) offrait, mais à l'étage, une disposition intérieure ressemblant beaucoup à celle de Lucheux. Des bancs semblables se voient encore au château d'Harcourt à Chauvigny (Vienne), à la grande salle du château de Boulogne et dans de nombreuses miniatures de manuscrits.

Le meneau à feuillure qui sépare les deux baies est à remarquer. Un trou dans le renflement central était destiné à laisser passer le verrou des volets ou des châssis.

La grande salle, très large, était couverte, semble-t-il, de voûtes de bois formant deux vaisseaux soutenus au centre par une rangée de colonnes.

A l'appui de cette opinion a été signalée l'existence de la belle console représentant trois têtes accolées — deux de femme et un d’homme — que l'on voit encore contre le mur sud de la salle. M. des Forts a pensé que « cette console restée en place marque le point de départ de l'arcature, ainsi que la hauteur et la largeur de la salle ». Je ne crois pas devoir le suivre jusque-là : cette console est visiblement rapportée. On ne peut tirer de sa situation actuelle des conclusions aussi nettes. Au milieu de la salle gît, renversé, un beau chapiteau à crochets du XIIIe siècle.

Une porte entièrement conservée débouche maintenant sur la cour d'honneur. Il semble bien qu'elle ait donné accès autrefois dans un autre bâtiment dont la façade formait un angle obtus avec la direction de celle de la grande salle. M. des Forts a noté une particularité intéressante de l'archivolte en boudin de cette porte : elle se recourbe à ses extrémités en deux petites volutes.  Il cite d'autres exemples d'archivoltes à volutes : portail de la « Vierge Dorée » à Amiens (de grandes dimensions), portes et fenêtres de l'église de Namps-au-val (Somme), du XIIe siècle. 
On peut ajouter le petit portail de Cavron-Saint-Martin (Pas-de-Calais), du XVe siècle.

Une courtine s'appuyait sur le massif de maçonnerie (disparu vers 1923) (pli séparait la chapelle de la grande salle et rejoignait une tour de l'enceinte.
La grande salle rejoignait directement cette courtine, comme le prouve un texte de 1550-1551, retrouvé par M. des Forts. La grande salle devait donc présenter un plan assez, irrégulier, ce qui ne saurait nous étonner.

Au centre de celle-ci se dressait, paraît-il, la statue d'un géant légendaire qu'aurait vaincu un ancien seigneur de Lucheux. Mais de si grands vaisseaux devaient être difficiles à chauffer ; aussi plusieurs cheminées étaient-elles nécessaires.

L'une d'elles, la grande cheminée de pierre, s'effondra sous les coups de grand vent en février 1474 ; on se borna à déblayer la grande quantité de pierre et autres immondices qui... fort empêchaient en le grant salle (4). C'était le commencement de la décadence. 

En 1560, on en était réduit à livrer deux petits camyons pour charroier hors de lad. grant salle
les terres et immondices y estons.

Près de la grande salle se trouvaient la chambre Virgile, la salle Saint-Jacques où une lampe brûlait toute la nuit, et la chambre au Griffon. L'entrée principale de ce corps de logis s'ouvrait.

 

LA CHAPELLE.

Avant d'en faire la description, signalons les faits historiques qui se rattachent à la chapelle, ou plutôt aux chapelles du château.

En 1199, dans la chapelle du comte à Lucheux, et en présence de celui-ci, Hugues Gelée, fils d'Adam, chevalier de Frévent, renonça solennellement aux biens usurpés par ses parents sur l'Abbaye de Cercamp.

En 1275, Guy II et sa femme fondèrent dans leur château trois nouvelles chapellenies, en sus de deux chapellenies déjà fondées par eux antérieurement.

En 1291, à la requête d'Hugues VI, le pape Nicolas V autorisa la célébration des saints mystères dans la chapelle de Lucheux selon le rite de Paris.

Enfin, en 1309, Guy et Marie de Bretagne instituèrent encore une nouvelle chapellenie : Avec la période de prospérité, celle des fondations allait bientôt cesser. 

En 1374, aux termes d'un aveu rendu au Roi par Mahaut, comtesse de Saint-Pol, la chapelle du château groupait sept chapelains et un vicaire. La majeure partie de leur revenu était assise sur le travers de Lucheux. La décadence économique rendit ce revenu insuffisant ; dès 1474, toutes les rentes ne pouvaient être payées. 

En 1569 il n'existait plus que quatre chapellenies et encore le produit de trois d'entre elles était si petit que les chapelains ne purent être nourris à cause de la cherté des vivres.

 

DESCRIPTION INTÉRIEURE. 

La chapelle est restée complète jusqu'en 1920, voûtée en bois et couverte d'un toit surmonté d'un clocheton. A l'heure présente elle est en voie de disparition totale. Des fouilles ridicules, de huit mètres de profondeur, entreprises en 1925 par les commerçants déjà cités au pied du mur nord, ont beaucoup contribué à produire ce résultat.

Les constructeurs de la chapelle avaient estimé que la hauteur des murs et la présence des tours qui flanquaient le chevet leur offraient une sécurité relative au point de vue de la défense, car la chapelle est directement placée sur le bord du fossé. Le plan en est simple : c'est un rectangle dont les angles sont abattus, cantonné de deux tours.

Deux portes établissaient une communication entre la chapelle et la grande salle. Ces portes encadrées de colonnettes, dont les chapiteaux existaient encore il y a quelques années, étaient de la même époque que le corps de logis.

Deux fenêtres, datant de la seconde moitié du XIIIe siècle, et ayant gardé, quoique murées, leur remplage primitif, s'ouvraient dans le mur nord. Deux fenêtres semblables, surmontées d'une grande rose, éclairent le chevet plat. En 1504 Jehan du Bos, verrier à Doullens, remettait six losanges au remplage de cette rose. 

Suivant M. des Forts, cette chapelle a dû être voûtée en pierre. Dès 1910 il n'existait plus aucune trace de cette voûte. La restauration entreprise en 1630 a complètement modifié l'aspect primitif ; la voûte en bois qui aveuglait une partie de la rose datait de cette époque, ainsi que le mur sud percé d'une porte et d'une fenêtre en plein cintre. Les auteurs de cette restauration ont jeté à terre la flèche de pierre qui couronnait la chapelle pour la remplacer par le petit clocheton de bois que nous avons connu.

Dans les tours trouvaient place deux oratoires circulaires. Celui de la tour sud a été identifié avec la chapelle Saint-Jacques, l'une des chapellenies dont nous avons parlé. Il avait son autel entouré d'un grand arc en plein cintre enveloppé d'un boudin continu. Au fond de cet arc s'ouvre une grande fenêtre qui date au plus tôt du XV siècle. Une piscine-crédence et une petite cheminée complètent l'aménagement de cette chapelle que les textes du XVe siècle désignent peut-être sous le nom d'Oratoire des Dames. Il fut restauré en 1468, date qui peut s'accorder avec le style des débris du remplage de la fenêtre. Un petit escalier pris dans l'épaisseur du mur fait accéder à un étage supérieur, séparé du rez-de-chaussée par un simple plancher.

Une petite salle ronde voûtée en coupole, partie en pierre blanche, partie en grés, occupe le sous-sol de cette tour. On y pénètre par un escalier extérieur. Cette salle basse servait à la défense.

La tour du nord offrait, semble-t-il, une ordonnance analogue. L'oratoire qui y existait doit être identifié avec la chapelle Saint-Thomas dont parlent les comptes. On ignore comment on accédait à la salle basse.

La chapelle principale étant dédiée à la Sainte-Vierge, je ne sais où placer la chapelle Sainte-Marguerite dont parlent encore les comptes.

 

EXTÉRIEUR.

La disposition extérieure de la chapelle de Lucheux est celle que Ton retrouve, avec de plus grandes proportions, au Palais des Papes d'Avignon et au Mont-Saint-Michel. Deux grands arcs en tiers-point entourent les fenêtres du chevet et viennent retomber au centre sur un contrefort unique. Les deux tourelles contenant les chapelles flanquent le chevet ; l'une est ronde, l'autre remaniée au XV ou au XVIe siècle est extérieurement carrée. Elle est encore couverte d'essangles.
Des arcs sur contreforts encadraient aussi les deux fenêtres du mur nord, complètement écroulé depuis 1925.

 

TOURS DITES DU PAVILLON. 

La courtine qui formait le fond de la grande salle venait, comme nous l'avons remarqué, buter au nord-est contre une tourelle. Celle-ci existe encore et fait partie d'un ensemble de trois tourelles et d'autant de courtines, en fort mauvais état. Cet ensemble présente
la forme d'un rectangle ; les tourelles en marquent trois des angles et le tout s'avance comme un bastion sur les fossés. Son rôle militaire est facile à deviner : flanquement de la courtine de la grande salle au sud, et de la cour tine qui protégeait la base du donjon au nord.

La tourelle contiguë à la courtine de la grande salle contient un escalier à vis. Une poterne s'ouvre sur les fossés, dans un angle rentrant de la courtine, et permettait d'y accéder du dehors, Les deux autres tourelles, à étages, étaient garnies de cheminées. Une cheminée plus grande encore s’adosse à la courtine nord. Un fragment de la mouluration de cette cheminée a permis à M. des Forts de dater la construction du XIIIe siècle.

Dusevel avait vu dans cet ensemble la Tour du Pavillon dont parlent les comptes. Rien ne permet de le contredire, mais la lecture des extraits de ces comptes parvenus jusqu'à nous, m'engagerait à y voir la cuisine du château, qui était accompagnée de deux tourelles, et ses dépendances : fruiterie,
échansonnerie, etc…

 

DONJON. 

Dominant la tour du Pavillon comme il domine toute l'enceinte, le bourg et la vallée, le donjon s'élève sur une motte artificielle. Ses ruines représentent à peu près le tiers de la construction entière et permettent de reconstituer l'ensemble.

 

DISPOSITIONS GÉNÉRALES. EXTÉRIEUR.

Pour étudier le donjon il faut en faire en quelque sorte l'analyse ; à un siècle et demi de distance, deux donjons ont été construits sur le même emplacement. Les constructeurs du second, contemporains de saint Louis, ont utilisé et rhabillé la base du premier qui datait de l'époque romane.

Le plan carré de la base et le noyau central de la maçonnerie jusqu'à six mètres de hauteur environ appartiennent au donjon roman. Suivant l'usage ordinaire de l'époque, ce donjon était carré. La salle carrée du rez-de-chaussée, dégagée en partie depuis peu, est celle du donjon roman. 
Les parements intérieurs des murs conservés du donjon primitif ont été recouverts et ne sont visibles qu'en de rares endroits.

L'architecte de la seconde moitié du XIIIe siècle n'a pas modifié le plan de son devancier à hauteur du sol. Il a simplement flanqué chacun des angles d'une tour ronde et a appliqué au milieu de chacune des faces une demi-tourelle. Il ne reste que des vestiges de l'une d'elles. Suivant M. des Forts ces demi-tourelles étaient rondes. Suivant Enlart, au contraire, leur base était triangulaire, puisqu'il écrit (pie le rez-de-chaussée de la tour forme en plan une étoile à huit pointes ).

Quoi qu'il en soit, à quelques mètres du sol, l'architecte a abandonné le plan carré et a élevé un donjon cylindrique, toujours cantonné des quatre tours d'angle. Les demi-tourelles s'arrêtaient à cet endroit ; elles contribuaient à soutenir, au milieu de chacune des faces, la partie de la maçonnerie de la tour cylindrique qui débordait le plan carré de la base.

La maçonnerie de la partie cylindrique du donjon était encore soutenue, là où cela restait nécessaire, c'est-à-dire au-dessus de chacun des angles formés par le mur droit et les demi-tourelles, par un encorbellement extérieur. 
Tant au point de vue technique qu'au point de vue ornemental, cet encorbellement présente un intérêt de premier ordre. Enlart n'a pas hésité à apparenter la sculpture des feuillages qui le décorent à celle de la cathédrale d'Amiens.
La forme cylindrique des donjons est fréquente. D'autre part, le donjon de Houdan (XIIe siècle), et celui de Vincennes (ce dernier carré, on parle là du donjon de Vincennes sous Saint-Louis ), sont, eux aussi, composés d'une grosse tour flanquée de tourelles ; mais le passage, à une certaine hauteur du sol, d'un plan carré à un plan circulaire, n'existe qu'à Lucheux.

Le parement extérieur de la base du donjon, complètement refait en bel appareil de calcaire dur, cache complètement le noyau du donjon roman.

La pierre blanche du pays, de bonne qualité, ne commence que plus haut. La face du donjon qui nous a été conservée était la plus exposée ; aussi les ouvertures sont-elles extrêmement rares. Elle est simplement percée de quelques très longues archères.

Il semble bien, à voir ce qui reste de cette face, que le temps seul n'ait pu suffire à provoquer la ruine si complète des autres faces du donjon ; la sape et la mine, sous Richelieu ( ou à une autre époque ), ont dû y contribuer.

Une courtine, à laquelle on accédait par un passage étroit percé à travers la demi-tourelle nord-est, protégeait le pied du donjon et l'isolait des fossés.
On voit encore affleurer, au ras du sol, les fondations du mur en talus qui en formait la base.

INTÉRIEUR.

Revenons à l'intérieur du donjon. Nous examinerons successivement la tour centrale et les tourelles d'angle.
Au rez-de-chaussée, la nécessité de donner aux murs une grande épaisseur a obligé, semble-t-il, l'architecte, à remplir chacun des angles de la salle carrée d'un massif de maçonnerie, destiné à supporter en ces endroits les portions des murs du donjon cylindrique qui sans cela se seraient trouvées en porte à faux à l'intérieur.

La grande salle du premier étage était octogonal et voûté d'ogives. Les huit branches rejoignent les formerets sur des culots ornés de feuillages.

On retrouve dans le profil de ces ogives et dans le style des feuillages les caractères de la seconde moitié du XIIIe siècle. Une fenêtre percée à travers la muraille nord éclairait cette salle, qu'un couloir réunissait à l'étage correspondant de la tourelle nord-est.

La salle du second étage, circulaire, était dépourvue de voûtes. Un passage conduit à une archère ; des escaliers à rampes droites descendaient, on verra bientôt pourquoi, au second étage des tourelles.
Un plancher séparait le second étage du troisième également circulaire.

Une plate-forme de plomb, sur charpente, couronnait le donjon ; d'où le nom de Tour Plombée que portait celui-ci. Les comptes sont pleins de mentions de refontes des plombs de cette terrasse. Les plommées de Lucheux étaient de leur temps un ouvrage réputé ; le duc Philippe-le-Bon, de passage à Lucheux en 1421, remit un « mouton d’or au plommier dud. chastel pour son vin de lui avoir monstre les ouvrages d'icellui chastel ». Un poste de guet muni d'une clochette couronnait le donjon. Le logement du lieutenant du capitaine était placé tout près.

La tourelle du nord-est, entièrement conservée, comprenait quatre étages au moins.

Au rez-de-chaussée est une petite salle rectangulaire voûtée en berceau. On peut y voir l'une des deux prisons du donjon baptisées « Jumelles ».

La petite salle du premier étage, demi-circulaire, est voûtée en cul de four. Elle communique de plain-pied avec la grande salle de la grosse tour par le couloir que nous connaissons.

La hauteur de cette petite salle étant beaucoup moindre que celle de la grande salle, il fallait, comme on l'a vu, descendre des marches pour passer du second étage de la tour au second étage des tourelles.

Deux étages se superposaient ensuite, sans communication avec l'intérieur de la grosse tour, et séparés par des planchers munis de trappes. Ils sont garnis de nombreuses archères disposées de façon à obtenir un flanquement complet de la grosse tour.

Les trois étages supérieurs de la tourelle sud-est étaient analogues à ceux de la tourelle que nous venons d'examiner ; mais à sa base, dans l'épaisseur de la maçonnerie, existait un escalier à vis qui remonte à l'époque romane.

Un couloir étroit menant à une archère débouchait dans cet escalier. Les comptes mentionnent l'existence d'un puits, situé dans l'une des deux tourelles disparues. Il devait assurer le ravitaillement en eau potable des défenseurs bloqués dans la Tour Plombée.

 

TOUR DU COLOMBIER.

Le plan cadastral (1811) et une lithographie des Voyages... dans Vancienne France (1835) (4) ont gardé le souvenir d'une grosse tour qui se dressait à l'angle nord de l'enceinte, au pied du donjon.

Dusevel l'identifiait avec la tour du Colombier. Il n'en reste aucune trace.

 

PORTE DU HAUT-BOIS.

La porte dite du Haut-Bois occupe le milieu du front nord de l'enceinte, vers la forêt. Elle était précédée d'un ponl-levis nommé pont du Wicquet.


Le passage, sous berceau en plein cintre, est pratiqué entre deux massifs de maçonnerie. Ceux-ci se présentent à l'extérieur sous l'aspect de deux épais contreforts, et à l'intérieur de l'enceinte au contraire sous la forme de deux contreforts plats. Le percement de la porte actuelle, au XIVe ou au XV siècle, a nécessité une diminution de l'épaisseur des contreforts intérieurs qui remontaient à l'époque romane. Leur partie supérieure est restée soutenue sur des encorbellements en quart de rond.
Les contreforts extérieurs, du XVe siècle vraisemblablement, sont couronnés d'assises circulaires ornées de moulures. Les deux échauguettes auxquelles elles ont servi de base ont disparu lorsque l'on a refait, à une époque relativement récente, la partie supérieure et la toiture de la porte.
Une chambre existe au-dessus du passage voûté.  Ce fut celle du guetteur.

Les fenêtres qui ('éclairent ont été complètement remaniées. Un passage pratiqué à travers le mur débouchait sur le chemin de ronde du rempart voisin.

La porte romane du XIIe siècle a été conservée tout contre la porte qui vient d'être décrite. Au rez-de-chaussée un passage voûté en berceau aboutissait à une porte en plein cintre de petites dimensions. 

A l'étage, également Voûté en berceau, et utilisé comme porche de la chambre du guetteur, de
longues archères permettaient de battre en tous sens les alentours de la porte.

TOUR CORNIÈRE.

L'angle nord-ouest de l'enceinte était défendu, à l'endroit où les remparts de la ville la rejoignaient, par la tour Cornière, où Dusevel plaçait, d'après les comptes, l'arsenal et la fauconnerie. il n'en restequ'une  partie du parement intérieur, engagé dans le mur.


REMPART DU HAUT-BOIS.

Un rempart encore intact réunissait la tour Cornière à la porte du Haut-Bois. II mérite de retenir toute notre attention. avait pour but de faire ricocher ou rejaillir ce que Ton laissait tomber du
dessus pour gêner l'assaillant. Cette disposition de détail est rare à l'époque romane. Elle apparaît cependant dans des édifices qui possèdent des mâchi coulis apparentés de très près à ceux de Lucheux et dont nous reparlerons.


Des archères très hautes, mordant sur ce talus, étaient percées dans la muraille, dans l'axe des arcs. A l'intérieur le rempart a été complètement rhabillé en briques ; il semble bien toutefois que les archères correspon daient à trois ébrasements en plein cintre, dont trois renfoncements rectan gulaires du mur marquent remplacement sans en garder la forme.

Sur la lithographie déjà citée des Voyages... dans l'ancienne France figurent, entre la porte du Haut-Bois et la tour du Colombier, des mâchicoulis semblables à ceux qui viennent d'être décrits. On n'en trouve plus trace.
Ce type de mâchicoulis, dit mâchicoulis-arcades, est unique dans la France du Nord, On le rencontre plus fréquemment dans le Midi où il resta employé fort tard.  Les plus remarquables exemples de mâchicoulis à arcs sur contreforts sont ceux de la cathédrale d'Agde (entre 1150 et 1178),  de celle de Maguelonne (3' quart du XII siècle) (4), du prieuré de Champdieu (Loire, XIIe siècle) (5) et du Donjon de Niort (vers 1160). Toutefois, M. Raymond Rey qui a étudié les mâchicoulis de Lucheux pour les comparer à ceux du Midi (7), a pensé que les mâchicoulis de Lucheux pouvaient compter parmi les plus anciens.

Les mâchicoulis-arcades, qui ont précédé les mâchicoulis sur consoles, apparaissent en France, comme on vient de le voir, dans la seconde moitié du XIP siècle. On en rencontre au Crac des Chevaliers en Syrie (8), et ils paraissent avoir été importés d'Orient par les Croisés. Or Hugues IV Campdavaine, comte de Saint-Pol, qui témoigna beaucoup d'intérêt à sa châtellenie de Lucheux, s'était croisé avec le comte de Flandre et Richard Cœur de Lion en 1189.

Au château des comtes de Flandre à Garni, construit vers 1180, de semblables mâchicoulis paraissent encore inconnus. Si les mâchicoulis du Château de Château-Gaillard  ont existé avant la reconstitution de Viollet-le-Duc, ils remontent à 1157-1198. Ces rapprochements permettent de supposer que  les mâchicoulis de Lucheux ont été établis par Hugues IV à son retour de la troisième croisade. Ils seraient ainsi à la lois les plus anciens et les seuls spécimens conservés de mâchicoulis à aies sur contreforts dans la France du Nord. D'autre part il n'est pas prouvé que ceux du Midi soient antérieurs.

 

Sources :

Philippe des Forts : première édition 1910, source : gallica.bnf.fr

Raymond Dubois : edité en 1935, source gallica.bnf.fr livre 2

 

 

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