Jeanne des Armoises, récit d'une imposture
 

Portrait probable de Claude des Armoises alias Jeanne des Armoises au Château de Jaulny. source wikipédia

Jeanne des Armoises, récit d'une imposture par Stéphane William Gondoin , webmaster du site Normannia sur l'histoire, patrimoine, culture & architecture, rédacteur en chef adjoint du magazine Patrimoine Normand  et auteur de nombreux articles sur l'histoire, l'architecture et la société médiévale. On lui doit également une quinzaine d'ouvrages, dont un consacré à l'épisode d'Orléans : Du siège d'Orléans à la bataille de Patay, Jeanne d'Arc sur le chemin de la victoire, Paris, Histoire et Collections, 2010.

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 Le 20 mai 1436, une nommée Claude apparaît à la Grange-aux-Ormes (Moselle) au sud de la ville de Metz. Bien vite, certains reconnaissent en elle la Pucelle d'Orléans, réputée brûlée vive à Rouen cinq ans plus tôt.

Parmi les témoins qui l'identifient se trouvent Pierre et Jehan du Lis, les propres frères de Jeanne. Depuis 1431, les deux hommes courent de désillusion en désillusion. Ils pensaient sans doute que les hauts faits de leur cadette leur vaudrait la reconnaissance royale et une position sociale privilégiée. Charles VII les a cependant quelque peu oubliés et ils vivent maintenant dans la gêne. Faut-il voir dans cette indigence et ce sentiment d'abandon les origines d'une mystification ? C'est très plausible. Mais en l'absence de preuves, nous ne dépasserons pas le stade de l'hypothèse. Difficile de faire ce que nous reprochons à d'autres et de bâtir des théories sur du vent. Les faits, rien que les faits.
 

  • La « résurrection »

Le plus ancien document évoquant le « retour » de Jeanne est la chronique d'un religieux de la ville de Metz, détenteur de la cure de Saint-Eucaire. Il existe deux versions de son texte. La première, probablement rédigée à chaud, laisse entendre qu'il n'y a aucun doute sur l'identité de la revenante : « Icelle année, le XXe jour de may, vint la Pucelle Jehanne qui avoit esté en France […] et se faisoit appeler Claude ». La seconde, à l'évidence modifiée peu après, parle - déjà - d'une supercherie :  « En celle année vint une jeune fille, laquelle se disoit la Pucelle de France, et jouant tellement son personnage que plusieurs en furent abusez. »

Quelques potentats locaux lui offrent tout de même armes, chevaux et vêtements. Elle part alors pour Arlon (Belgique actuelle), où elle rencontre le comte de Virnenbourg qui  l'emmène avec lui à Cologne (Allemagne). Elle apparaît sur un registre de cette ville sous le nom « Pucelle de France » à la date du 6 août 1436. Dans le même temps, des messagers ont galopé jusqu'à Orléans pour annoncer l'incroyable nouvelle. On découvre dans les comptes de la ville à la date du 9 août 1436, la somme de 48 sols « pour bailler à Fleur-de-lilz […] pour ce qu'il avoit apportées lectres à la ville de par Jehanne la Pucelle. » Le 21 août, c'est Jehan du Lis, frère de Jeanne, qui passe en val de Loire. En octobre enfin, les comptes nous apprennent le retour du héraut Cœur-de-Lis, que la ville a envoyé à Arlon pour vérifier la crédibilité de l'affaire.

 

Le bûcher de Jeanne d'Arc à Rouen, maquette de l'ancien musée aujourd'hui disparu. Il n'y a aucun élément sérieux qui permettrait de dire qu'elle ne fut pas exécutée à Rouen, même le roi d'Angleterre le confirme rapidement dans une lettre du 8 juin 1431  :  " Enfin, comme les sanctions canoniques l'ordonnent, pour ne pas porter pourriture aux autres membres du Christ, elle fut abandonnée au jugement de la puissance séculière qui décida que son corps devait être brûlé . (...)Telle fut l'issue, telle sa fin."

 

  • Drôle de luronne

Pendant ce temps, à Cologne, Claude/Jeanne s'est singulièrement illustrée. Le Formicarium de Jean Nider (1437), décrit une femme dévergondée, qui fréquente les bals, les banquets et effectue des tours de magie. Elle affirme même pouvoir faire un archevêque de Trèves, comme « elle avait auparavant fait de Charles le roi des Francs. » Deux concurrents se disputent à ce moment le prestigieux siège archiépiscopal. Dans le sillage de son ami le comte de Virnenbourg, Claude/Jeanne soutient le candidat proche des Bourguignons contre celui du pape. Le traité d'Arras de 1435 ne suffit pas à expliquer cette proximité soudaine avec la cour de Dijon. Étrange revirement... Nous avions une Jeanne armagnac, d'une bigoterie insondable, jetant volontiers l'anathème et priant sans cesse... Nous voici avec une Claude bourguignonne, forte en gueule, fêtarde et un brin paillarde...

L'affaire tourne mal pour elle. Excommuniée par l'inquisiteur local, elle file discrètement de Cologne et regagne Arlon. Là, elle épouse le sire Robert des Armoises, ce qui ne manque pas de piquant pour une jeune femme ayant promis de conserver sa virginité jusqu'au départ des Anglais du sol de France... Le bourgeois de Paris (ndla : auteur anonyme d'un journal sur la période 1405-1449) prête au couple deux enfants. Mais pour la jeune femme, la quête de richesses passe obligatoirement par Orléans.
 

  • Le rêve des Orléanais

Dans la ville autrefois délivrée par la Pucelle, on se prend à rêver. En 1437 et 1438, les livres de comptes ne contiennent aucune dépense pour les rituelles fêtes de Jeanne d'Arc. La nouvelle s'est répandue dans toute la France : un pari sur la mort ou la vie de Jeanne entre deux habitants d'Arles, est enregistré devant notaire vers 1437.
En 1439, Claude/Jeanne réapparaît dans la région du Mans. Une rémission accordée par le roi Charles VII en juin 1441 à un certain Jehan de Siquenville, nous apprend que deux ans plus tôt il a remplacé à la tête de l'armée de Gilles de Rais « une appelée Jehanne, qui se disoit Pucelle ». Le sire de Rais, autrefois compagnon de la véritable Jeanne d'Arc, a depuis longtemps sombré dans la folie et multiplie les sacrifices humains en espérant obtenir le secret de la fabrication de l'or. Il sera exécuté à Nantes en octobre 1440. Piètre garant de moralité...

Les livres de comptes d'Orléans se montrent de nouveau bavards à l'été 1439. On y note dès le mois de juillet des dépenses pour « dame Jehanne des Armoises ». Elle est sur place le 28 ou le 29. On descend ferme les pintes de vin agrémentées de belles viandes. Claude ressemble à l'évidence beaucoup à Jeanne et maintient l'illusion quelques temps. Rappelons toutefois que les Orléanais n'ont connu leur héroïne qu'une poignée de jours et que dix ans ont passé. Les corps et les visages changent. Le 1er août, Claude des Armoises reçoit 210 livres « pour le bien qu'elle a fait à la ville durant le siège. » Le soir même, alors qu'un banquet va être donné en son honneur, Claude s'est volatilisée « plus tost que ledit vin fust venu ». Le 4 septembre, du vin est encore payé pour Jehanne. Sa présence dans la ville y semble pourtant peu probable. Espère-t-on encore à Orléans ou s'agit-il d'un reliquat de créance à régler à un fournisseur ?

 

Claude des Armoises alias Jeanne des Armoises passe à Orléans en juillet 1439, encaisse 210 livres et file... à l'anglaise !
 

  • Démasquée

Nous retrouvons notre chère aventurière dans les Hardiesses des grands rois et empereurs de Pierre Sala, au début du XVIe siècle. L'auteur n'est pas un témoin direct, mais il a connu un valet de Charles VII qui lui a raconté la visite d'une « Pucelle affectée, qui moult ressembloit à la première ». Le nom de Claude/Jeanne des Armoises n'est pas avancé, mais la date semble correspondre : « dix ans après » (le couronnement de Reims ou la mort de Jeanne ? Impossible de trancher). Sous la plume de Pierre, le roi se méfie et se cache parmi ses courtisans, rejouant le coup de la rencontre de Chinon. Mais il est reconnu par la jeune femme parce qu'on lui a dit qu'il portait une bottine de cuir spéciale. Charles lui réserve finalement bon accueil : « Dieu sçait le secret qui est entre vous et moy. » Alors, subitement, la fausse Jeanne craque « et sur le champ confessa toutes les traysons. »

L'odyssée de Claude semble s'achever en 1440, à Paris. Selon le Journal du bourgeois de Paris, elle est traînée « bon gré, mal gré, et fut montrée au peuple au palais sur la pierre de marbre de la grande cour. » L'affaire risque de fort mal tourner si elle ne s'explique pas. Elle devient alors intarissable, l'amie Claude. Elle raconte notamment que plus jeune elle battait sa mère et qu'elle s'était rendue pour expier à Rome. Là elle avait combattu « vêtue comme un homme, et fut comme soudoyer en la guerre du Saint Père Eugène ». Guerrière, cette Claude ! Par bien des aspects elle ressemble à Jeanne, mais elle n'est pas Jeanne. Nul n'est plus dupe dès les années 1450. Il faut attendre le XIXe siècle pour que certains auteurs en mal de sensation reprennent au sérieux l'histoire de cette imposture.
 

  • Du pain béni pour les esprits à l'imagination fertile

Cette épopée surprenante a fait fantasmer les propagateurs de mythes jusqu'à très récemment. Gageons que cela n'est malheureusement pas fini. Il est sans doute intéressant, commercialement parlant, d'épingler sur la couverture de son ouvrage un bandeau du type « Jeanne d'Arc, la vérité enfin révélée ». Il suffit de ressortir, en les présentant comme fraîchement découvertes, les aventures de Claude des Armoises et de brandir la théorie du complot. Rien de neuf sous le soleil, pourtant... On ringardise ceux qui ne sont pas d'accord, en les qualifiant par exemple de « tenants de l'histoire officielle .» Il est vrai que dresser pour la énième fois le bûcher de Rouen ne laisse aucune place au suspens et n'emporte pas forcément l'adhésion des foules : l'histoire finit sans surprise, très mal, mais les faits sont les faits et ils sont têtus. C'est également beaucoup plus simple de partir de sa propre conclusion et de tordre ces mêmes faits, de modifier certaines pièces pour les emboîter dans sa construction, que de se livrer à un véritable travail d'analyse. Ces affaires d'usurpation d'identité sont pourtant fréquentes au cours de l'histoire. Qu'on se souvienne, par exemple, des cas de Martin Guerre ou de Jean-Marie Hervagault, l'un des nombreux faux Louis XVII. Et puis, comme chacun le sait, Elvis n'est pas mort et vit quelque part sur une île déserte avec Marilyn...

La plupart des pièces évoquées dans cet article sont publiées dans Jules Quicherat, procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d'Arc, Tome cinquième, Paris, 1849, pp. 321-336. L'ouvrage est consultable ici : https://archive.org/stream/procsdecondamn05joanuoft#page/320/mode/2up



 

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